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Ariane Web: Conseil d'État 374401, lecture du 25 mars 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:374401.20150325

Décision n° 374401
25 mars 2015
Conseil d'État

N° 374401
ECLI:FR:CESSR:2015:374401.20150325
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
M. Stéphane Decubber, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public


Lecture du mercredi 25 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 janvier 2014 et 10 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation des articles R. 57-6-5, D. 115-15, D. 115-16 et D. 115-18 du code de procédure pénale ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger les articles R. 57-6-5, D. 115-15, D. 115-16 et D. 115-18 du code de procédure pénale ;

3°) à défaut, d'enjoindre au Premier ministre d'abroger les références au cinquième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale dans les articles D. 115-15 et D. 115-16 de ce même code ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment son article 14 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 6 ;

Vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment son article 51 ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, notamment son article 25 ;

Vu la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, notamment ses articles 13 et 54 ;

Vu la décision n° 2014-408 QPC du 11 juillet 2014 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Decubber, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;



1. Considérant que M. B...a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice d'une demande tendant à l'abrogation des articles R. 57-6-5, D. 115-15, D. 115-16 et D. 115-18 du code de procédure pénale ; qu'il demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande et de lui enjoindre d'abroger ces dispositions ;

Sur l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. (...) " ; qu'aux termes de l'article 25 de la même loi : " Les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats " ; qu'aux termes de l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale : " Le permis de communiquer est délivré aux avocats, pour les condamnés, par le juge de l'application des peines ou son greffier pour l'application des articles 712-6, 712-7 et 712-8 et, pour les prévenus, par le magistrat saisi du dossier de la procédure. / Dans les autres cas, il est délivré par le chef de l'établissement pénitentiaire " ; qu'aux termes de l'article R. 57-6-6 du même code, relatif aux relations des personnes détenues avec leur défenseur : " La communication se fait verbalement ou par écrit. Aucune sanction ni mesure ne peut supprimer ou restreindre la libre communication de la personne détenue avec son conseil " ;

3. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'il résulte de ces dispositions que les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats ; que ce droit implique notamment qu'ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l'avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée à priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges ; que, toutefois, ce droit s'exerce dans les limites inhérentes à la détention ; qu'ainsi, si les dispositions de l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale prévoient que les avocats doivent obtenir un permis de communiquer pour pouvoir rencontrer leurs clients lorsque ceux-ci sont détenus, afin de préserver le bon ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'obtention de ce permis à l'exercice par l'autorité chargée de délivrer le permis, d'un contrôle portant sur l'opportunité ou la nécessité de telles rencontres ; que ces dispositions n'imposent pas au détenu ou à l'avocat de mentionner les motifs justifiant la nécessité qu'ils puissent communiquer, mais leur imposent seulement d'identifier la procédure juridictionnelle au titre de laquelle l'avocat est sollicité ; que, dans ces conditions, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la confidentialité de la relation entre les avocats et les détenus ; que, d'autre part, l'article R. 57-6-6 du code de procédure pénale prévoit que les détenus placés en cellule disciplinaire ne sont pas privés du droit de recevoir les visites de leurs avocats ; que le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les dispositions relatives au permis de communiquer seraient de nature à priver les détenus placés en cellule disciplinaire de contacts avec leurs avocats ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses de l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale méconnaîtraient le principe de libre communication des personnes détenues avec leurs avocats, garanti par l'article 25 de la loi du 24 novembre 2009, doit être écarté ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;

5. Considérant que, du fait des contraintes inhérentes à la détention et des nécessités du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, les personnes prévenues se trouvent dans une situation différente selon qu'elles sont placées en détention provisoire ou laissées libres, le cas échéant, sous contrôle judiciaire, notamment pour l'exercice de leur droit à rencontrer leur avocat ; que la différence de traitement résultant de la nécessité, pour les personnes prévenues placées en détention provisoire, que leur avocat obtienne un permis de communiquer pour pouvoir les rencontrer est en rapport direct avec l'objet de la norme, qui est de préserver le bon ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires ; que cette différence de traitement n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cet objet ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions litigieuses de l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale auraient méconnu le principe d'égalité ;

6. Considérant qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : (...) b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix " ; qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Tout accusé a droit notamment à : (...) / b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) " ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats, dans les limites inhérentes à la détention ; que les dispositions de l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale ne portent par elles-mêmes aucune atteinte aux droits garantis par les stipulations citées ci-dessus ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ne peut qu'être écarté ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative au cinquième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale :

7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

8. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable à la date du refus d'abrogation contesté : " Chaque condamné bénéficie d'un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d'un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de sept jours par mois ; pour les peines supérieures à un an, le total de la réduction correspondant aux sept jours par mois ne peut toutefois excéder deux mois " ; qu'aux termes des cinquième et sixième alinéas du même article : " En cas de nouvelle condamnation à une peine privative de liberté pour un crime ou un délit commis par le condamné après sa libération pendant une période égale à la durée de la réduction résultant des dispositions du premier alinéa et, le cas échéant, du deuxième alinéa du présent article, la juridiction de jugement peut ordonner le retrait de tout ou partie de cette réduction de peine et la mise à exécution de l'emprisonnement correspondant, qui n'est pas confondu avec celui résultant de la nouvelle condamnation. / Lors de sa mise sous écrou, le condamné est informé par le greffe de la date prévisible de libération compte tenu de la réduction de peine prévue par le premier alinéa, des possibilités de retrait, en cas de mauvaise conduite ou de commission d'une nouvelle infraction après sa libération, de tout ou partie de cette réduction. Cette information lui est à nouveau communiquée au moment de sa libération " ;

9. Considérant que le requérant soutient que le cinquième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale est contraire au principe non bis in idem ainsi qu'au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;

10. Considérant, cependant, qu'il résulte des dispositions de l'article 721 du code de procédure pénale que les crédits de réduction de peine prévus par le premier alinéa de cet article peuvent donner lieu à retrait, notamment dans les cas prévus par le cinquième alinéa, ce dont le condamné est d'ailleurs informé lors de sa mise sous écrou, en application du sixième alinéa du même article ; que le retrait de crédit de réduction de peine faisant suite à une condamnation de l'intéressé à une peine privative de liberté pour un crime ou un délit commis après sa libération pendant une période correspondant à la réduction dont il a bénéficié a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement ; que ce retrait ne constitue donc ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le retrait d'une réduction de peine serait contraire au principe non bis in idem ainsi qu'au principe de nécessité et de proportionnalité des peines est inopérant ; que par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le cinquième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur la légalité des articles D. 115-15, D. 115-16 et D. 115-18 du code de procédure pénale :

11. Considérant qu'aux termes de l'article D. 115-15 du code de procédure pénale : " Si un condamné a exécuté successivement plusieurs peines privatives de liberté, le délai pendant lequel la commission d'une nouvelle infraction par le condamné peut donner lieu à une décision de retrait prise par la juridiction de jugement en application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 721 court à compter de la levée d'écrou concernant la dernière peine exécutée, pour une durée égale au total des crédits de réduction de peine dont il a bénéficié diminué, le cas échéant, du total des retraits qui ont pu être ordonnés " ; qu'aux termes de l'article D. 115-16 du même code : " Le délai pendant lequel, en application du cinquième alinéa de l'article 721, la commission d'une nouvelle infraction par le condamné peut donner lieu à une décision de retrait par la juridiction de jugement n'est pas suspendu en cas de nouvelle incarcération de ce dernier " ; qu'aux termes de l'article D. 115-18 du même code : " Lorsqu'il est procédé à la levée d'écrou du condamné, y compris pour un condamné faisant l'objet d'une semi-liberté, d'un placement à l'extérieur ou d'un placement sous surveillance électronique, le greffe de l'établissement pénitentiaire l'informe, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 721, de la possibilité d'une décision de retrait par la juridiction de jugement en cas de commission d'une nouvelle infraction, en lui indiquant la date jusqu'à laquelle la commission d'une nouvelle infraction pourra donner lieu à ce retrait. Il lui est à cette fin remis un document dont le modèle est établi par le ministre de la justice " ;

12. Considérant qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 4 du septième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat " ; qu'aux termes du paragraphe 7 de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays " ; que, toutefois, le dispositif de retrait d'une réduction de peine en cas de nouvelle condamnation prévu par le cinquième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale, qui a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement, ne constitue pas, en tout état de cause, une nouvelle condamnation pour des faits pour lesquels la personne concernée a déjà été définitivement condamnée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses auraient été prises sur le fondement de dispositions législatives contraires aux stipulations citées ci-dessus ne peut qu'être écarté ;

13. Considérant qu'il résulte des stipulations de son article 51 que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse " aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union " ; que les dispositions dont l'abrogation est demandée n'ayant pas pour objet de mettre en oeuvre le droit de l'Union européenne, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de cette charte ne peuvent être utilement invoqués à leur encontre ;

14. Considérant que les dispositions de l'article D. 115-15 du code de procédure pénale ont pour objet de préciser, dans le cas où une personne condamnée a exécuté successivement plusieurs peines privatives de liberté, le point de départ du délai pendant lequel une nouvelle condamnation à une peine privative de liberté peut entraîner le retrait des réductions de peine ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de prévoir que le retrait de réduction de peine pourrait être mis en oeuvre dans des cas qui ne seraient pas ceux énoncés par les dispositions du cinquième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale ;

15. Considérant, enfin, qu'à la date de la décision de refus d'abrogation contestée, l'article 721 du code de procédure pénale comptait six alinéas ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les références au cinquième alinéa de cet article dans les articles D. 115-15 et D. 115-16 du même code étaient dépourvues de base légale ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision refusant d'abroger les dispositions litigieuses ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B....

Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


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