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Ariane Web: Conseil d'État 377261, lecture du 27 mars 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:377261.20150327

Décision n° 377261
27 mars 2015
Conseil d'État

N° 377261
ECLI:FR:CESJS:2015:377261.20150327
Inédit au recueil Lebon
1ère SSJS
M. Yannick Faure, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


Lecture du vendredi 27 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SCI Chaptal a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 6 février 2014 par laquelle le président de la communauté d'agglomération de Montpellier a décidé d'exercer le droit de préemption sur la parcelle cadastrée AX n° 59 sur le territoire de la commune de Saint-Jean-de-Védas (Hérault). Par une ordonnance n° 1400774 du 25 mars 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a suspendu l'exécution de cette décision.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 23 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération de Montpellier demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 25 mars 2014 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de suspension de la SCI Chaptal ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Chaptal la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la communauté d'agglomération de Montpellier, et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SCI Chaptal.




Considérant ce qui suit :

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris : " Dans les zones d'aménagement différé, un droit de préemption, qui peut être exercé pendant une période de six ans renouvelable à compter de la publication de l'acte qui a créé la zone, sous réserve de ce qui est dit à l'article L. 212-2-1, est ouvert soit à une collectivité publique ou à un établissement public y ayant vocation, soit au concessionnaire d'une opération d'aménagement. / L'acte créant la zone désigne le titulaire du droit de préemption ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 212-2-1, dans sa rédaction issue de la même loi du 3 juin 2010 : " Par dérogation à l'article L. 212-2, la date de publication de l'acte délimitant le périmètre provisoire de zone d'aménagement différé se substitue à celle de l'acte créant la zone d'aménagement différé pour le calcul du délai de six ans renouvelable pendant lequel le droit de préemption peut être exercé ". La loi du 3 juin 2010, qui a modifié la durée d'exercice du droit de préemption dans les zones d'aménagement différé et qui est entrée en vigueur le 6 juin 2010, dispose toutefois au II de son article 6 que : " Les zones d'aménagement différé créées avant l'entrée en vigueur de la présente loi prennent fin six ans après cette entrée en vigueur ou, si ce délai est plus court, au terme du délai de quatorze ans prévu à l'article L. 212-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la présente loi ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, dans les zones d'aménagement différé créées avant l'entrée en vigueur de la loi relative au Grand Paris, le droit de préemption peut être exercé soit pendant six ans à compter du 6 juin 2010 soit, si ce délai est plus court, jusqu'au terme d'un délai de quatorze ans à compter de la publication de l'acte créant la zone ou, le cas échant, de l'acte délimitant le périmètre provisoire de zone d'aménagement différé.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la zone d'aménagement différé de la commune de Saint-Jean-de-Védas, au sein de laquelle se situe la parcelle préemptée, a été créée par arrêté du préfet de l'Hérault du 30 août 2006. En application des dispositions combinées du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010 et des articles L. 212-2 et L. 212-2-1 du code de l'urbanisme, le droit de préemption dans cette zone peut être exercé jusqu'au 5 juin 2016. Par suite, le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de ce que le droit de préemption ne pouvait plus être exercé en raison de l'expiration du délai de six ans prévu par l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme était de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse.

4. En second lieu, aux termes des premier et troisième alinéas de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une collectivité exerce dans une zone d'aménagement différé le droit de préemption dont elle est titulaire à des fins de constitution de réserves foncières en se référant aux motivations générales de l'acte qui crée cette zone, elle n'a pas à justifier de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement à la date de sa décision.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par la décision litigieuse du 6 février 2014, le président de la communauté d'agglomération de Montpellier a décidé d'exercer le droit de préemption dont la communauté est titulaire sur une parcelle située dans la zone d'aménagement différé créée sur la commune de Saint-Jean-de-Védas par l'arrêté du 30 août 2006, en se référant aux motivations générales de cet arrêté. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en jugeant que le moyen tiré de l'absence de réalité du projet d'action ou d'opération d'aménagement ayant fondé la décision litigieuse était de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité, le juge des référés a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération de Montpellier est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque. Les moyens d'erreur de droit accueillis aux points 3 et 5 suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté :

8. A l'appui de sa demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 6 février 2014 par laquelle le président de la communauté d'agglomération de Montpellier a exercé le droit de préemption de la communauté sur la parcelle cadastrée AX n° 59 à Saint-Jean-de-Védas, la SCI Chaptal soutient que ni cette décision ni sa notification ne sont motivées, que cette décision méconnaît l'article L. 212-2-1 du code de l'urbanisme en ce qu'elle intervient plus de six ans après la création de la zone d'aménagement différé concernée, que les dispositions du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010 sont incompatibles avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la décision méconnaît l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, faute que la réalité du projet d'action ou d'opération d'aménagement poursuivi soit établie, et que la règlementation de la zone 4AUa, dans laquelle se situe la parcelle, ne permet pas de mettre en oeuvre les objectifs de la décision litigieuse. Aucun de ces moyens n'apparaît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

9. Il résulte de ce qui précède que la SCI Chaptal n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du 6 février 2014. La condition relative à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de cette décision n'étant pas remplie, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'urgence justifie une telle suspension ni de statuer sur la recevabilité de la demande.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la communauté d'agglomération de Montpellier, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Chaptal les sommes que la communauté d'agglomération de Montpellier demande au même titre.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 25 mars 2014 est annulée.

Article 2 : La demande de suspension présentée par la SCI Chaptal devant le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la communauté d'agglomération de Montpellier et de la SCI Chaptal présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération de Montpellier et à la SCI Chaptal.
Copie en sera adressée pour information à M. A...B....