Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 370166, lecture du 27 avril 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:370166.20150427

Décision n° 370166
27 avril 2015
Conseil d'État

N° 370166
ECLI:FR:CESJS:2015:370166.20150427
Inédit au recueil Lebon
1ère SSJS
M. Laurent Cytermann, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
FOUSSARD ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du lundi 27 avril 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme G...F...et Mme B...C...ont demandé à la commission départementale d'aide sociale (CDAS) du Puy-de-Dôme d'annuler la décision du président du conseil général du Puy-de-Dôme du 16 novembre 2009 de récupérer à leur encontre la somme de 36 732,79 euros au titre de la prestation spécifique dépendance versée à leur mère, Mme D...H..., du 1er juillet 1998 au 31 décembre 2001. Par une décision 28 juin 2010, la CDAS du Puy-de-Dôme a rejeté leur demande.

Par une décision n° 110409 du 15 avril 2013, la Commission centrale d'aide sociale a rejeté l'appel formé par Mmes F...et C...contre la décision de la CDAS du Puy-de-Dôme.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 15 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mmes F...et C...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision de la Commission centrale d'aide sociale du 15 avril 2013 ;

2°) de mettre à la charge du département du Puy-de-Dôme la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux dépens, y compris la contribution pour l'aide juridique mentionnée par l'article R. 761-1 du même code.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat de Mmes F...etC..., et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du département du Puy-de-Dôme.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un acte notarié du 3 mars 1973, M. E...H...et Mme D...H...ont consenti une donation-partage en faveur de leurs trois enfants, Mme B...C..., M. A...H...et Mme G...F.... Par un acte notarié du 20 novembre 2004, Mme D... H...a consenti une donation-partage en faveur de ses deux filles, incluant les biens qui avaient été attribués à M. A...H..., décédé le 5 mars 2004, lors de la première donation-partage et qui lui étaient revenus en vertu du droit de retour stipulé par cet acte. Mme D...H...ayant bénéficié de la prestation spécifique dépendance du 1er juillet 1998 au 31 décembre 2001, le président du conseil général du Puy-de-Dôme, par une décision du 16 novembre 2009, a demandé à Mme F...et à Mme C...de lui rembourser, au titre de la donation-partage du 20 novembre 2004, la somme de 36 732,79 euros correspondant au versement de la prestation spécifique dépendance dont avait bénéficié leur mère.

2. L'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Des recours sont exercés, selon le cas, par l'Etat ou le département : (...) 2° Contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande (...) ". Selon l'article 951 du code civil : " Le donateur pourra stipuler le droit de retour des objets donnés soit pour le cas du prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendants. / Ce droit ne pourra être stipulé qu'au profit du donateur seul ". Selon l'article 1075 du même code, dans sa rédaction applicable aux donations-partages en cause : " Les père et mère et autres ascendants peuvent faire, entre leurs enfants et descendants, la distribution et le partage de leurs biens. / Cet acte peut se faire sous forme de donation-partage ou de testament-partage. Il est soumis aux formalités, conditions et règles prescrites pour les donations entre vifs dans le premier cas (...) ".

3. Il n'y a matière à question préjudicielle que si la question posée relève d'un autre ordre de juridiction, soulève une difficulté sérieuse et est nécessaire à la solution d'un litige. En l'espèce, les requérantes contestaient la qualification de donation à propos des biens initialement attribués à M. A...H.... En vertu de l'article 951 du code civil, le décès de ce dernier a fait revenir dans le patrimoine de sa mère les biens qui lui avaient été attribués par la donation-partage du 3 mars 1973. Dès lors, l'interprétation de l'acte notarié du 20 novembre 2004 ne soulevait pas de question sérieuse et la Commission centrale d'aide sociale a pu légalement juger, sans renvoyer au juge judiciaire une question préjudicielle sur ce point, que c'était par une nouvelle donation-partage que Mme D...H...avait décidé de la redistribution des biens en cause à ses deux enfants survivants.

4. Toutefois, pour l'application des dispositions de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, il appartient aux juridictions de l'aide sociale, statuant en qualité de juges de plein contentieux, de se prononcer sur le bien-fondé de l'action engagée par la collectivité publique d'après l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de leur propre décision. Elles ont la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, d'aménager les modalités de cette récupération et, le cas échéant, d'en réduire le montant ou d'en reporter les effets dans le temps.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les requérantes avaient demandé à la Commission centrale d'aide sociale de limiter la somme mise à leur charge en raison de leur situation financière et de l'aide qu'elles avaient apportée à leur mère pour financer son séjour en maison de retraite. En se bornant à répondre qu'il appartenait le cas échéant aux requérantes de solliciter l'octroi de délais auprès du Trésor public pour s'acquitter de la somme leur incombant, alors qu'elle avait la faculté, en fonction des circonstances particulières de l'espèce, d'en réduire le montant, la Commission centrale d'aide sociale s'est méprise sur son office.

6. Il résulte de ce qui précède Mmes F...et C...sont fondées à demander l'annulation de la décision de la Commission centrale d'aide sociale qu'elles attaquent.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme F...et de MmeC..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme demandée à ce titre par le département du Puy-de-Dôme. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département le versement à Mme F...et Mme C...d'une somme de 1 000 euros chacune au titre des mêmes dispositions et de celles de l'article R. 761-1 du même code.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : La décision de la Commission centrale d'aide sociale du 15 avril 2013 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Commission centrale d'aide sociale.
Article 3 : Le département du Puy-de-Dôme versera à Mme F...et à Mme C... une somme de 1 000 euros chacune au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du département du Puy-de-Dôme présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme G...F..., à Mme B...C...et au département du Puy-de-Dôme.