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Ariane Web: Conseil d'État 389044, lecture du 17 juin 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:389044.20150617

Décision n° 389044
17 juin 2015
Conseil d'État

N° 389044
ECLI:FR:Code Inconnu:2015:389044.20150617
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème SSR
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du mercredi 17 juin 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Les Moulins a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes :
1° d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la délibération du 12 février 2015 du conseil municipal de la commune de La Guérinière autorisant le maire à résilier la convention de délégation de service public conclue en vue de la gestion du camping municipal dénommé " Domaine des Moulins " ainsi que de la décision du 13 février 2015 du maire de la commune prononçant la résiliation de cette convention ;

2° d'ordonner la reprise provisoire des relations contractuelles jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité des décisions contestées.

Par une ordonnance n° 1501521 du 11 mars 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Par un pourvoi et un mémoire, enregistrés les 27 mars et 22 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Moulins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Guérinière la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Les Moulins et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la commune de la Guérinière ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 juin 2015, présentée par la société Les Moulins ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune de La Guérinière a confié à la société Les Moulins, par une convention de délégation de service public, l'exploitation du camping municipal dénommé " Domaine des Moulins " ; que, par une délibération du 12 février 2015, le conseil municipal de la commune a autorisé le maire à résilier cette convention ; que la résiliation a été prononcée, avec effet immédiat, par une décision du maire en date du 13 février 2015 ; que la société Les Moulins a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de la délibération du 12 février 2015 et de la décision du 13 février 2015 et à la reprise provisoire des relations contractuelles ; que, par une ordonnance du 11 mars 2015, dont la société demande l'annulation, le juge des référés a rejeté cette demande ;

2. Considérant que, contrairement à ce que soutient la commune de La Guérinière, la circonstance qu'une mesure de résiliation d'un contrat a été entièrement exécutée ne prive pas d'objet le recours introduit par une des parties contestant la validité de cette résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles si le terme du contrat n'est pas dépassé ou si le contrat n'a pas épuisé ses effets ; qu'ainsi, la circonstance que la commune a repris en régie les installations du camping le 27 mars 2015 ne prive pas d'objet le pourvoi de la société Les Moulins contre l'ordonnance du 11 mars 2015 du juge des référés ;

3. Considérant que le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ; qu'elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation ; que de telles conclusions peuvent être assorties d'une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises ;

4. Considérant, dans ce dernier cas, qu'il incombe en premier lieu au juge des référés, après avoir vérifié que l'exécution du contrat n'est pas devenue sans objet, de prendre en compte, pour apprécier la condition d'urgence, d'une part les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l'exercice même de son activité, d'autre part l'intérêt général ou l'intérêt de tiers, notamment du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s'attacher à l'exécution immédiate de la mesure de résiliation ; qu'il lui incombe en second lieu, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse et à justifier en conséquence qu'il soit fait droit à la reprise des relations contractuelles, d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à une telle reprise des relations contractuelles ; que, toutefois, dans le cas où une irrégularité est invoquée devant lui ou ressort manifestement des pièces du dossier qui lui est soumis, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il lui incombe d'apprécier, en l'état de l'instruction et à la date à laquelle il statue, si cette irrégularité serait de nature à conduire le juge du contrat, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation ; que, s'il estime en conséquence qu'il existe un doute sérieux sur la validité du contrat, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que le juge des référés, devant lequel la société Les Moulins contestait la validité de la convention, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'il lui incombait d'examiner si les irrégularités invoquées seraient de nature à conduire le juge du contrat à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, l'annulation du contrat ; que, s'il a commis une erreur de droit en relevant que les effets attachés à l'annulation d'un contrat, contrairement à ceux attachés à sa résiliation, ne sauraient être différés, celle-ci, qui a été sans incidence sur l'ordonnance attaquée, ne peut par suite conduire à son annulation ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de ce que le juge des référés aurait commis une erreur de droit en se plaçant, pour apprécier si le juge du contrat estimerait que l'annulation du contrat porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, à la date où le juge du contrat allait statuer, manque en fait, le juge des référés s'étant placé à la date à laquelle il a statué ;

7. Considérant, enfin, que la société requérante ne peut utilement critiquer en cassation les motifs surabondants par lesquels le juge des référés a estimé que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'était pas satisfaite ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Les Moulins doit être rejeté ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de La Guérinière qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Les Moulins le versement à la commune au même titre de la somme de 3 000 euros ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Les Moulins est rejeté.

Article 2 : La société Les Moulins versera à la commune de La Guérinière la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Les Moulins et à la commune de La Guérinière.


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