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Ariane Web: Conseil d'État 370430, lecture du 27 juillet 2015, ECLI:FR:CESEC:2015:370430.20150727

Décision n° 370430
27 juillet 2015
Conseil d'État

N° 370430
ECLI:FR:CESEC:2015:370430.20150727
Publié au recueil Lebon
Section
Mme Clémence Olsina, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public


Lecture du lundi 27 juillet 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 66921 du 21 mai 2013, la Cour des Comptes a constitué M. A... C..., comptable du service des impôts des entreprises de Saint-Brieuc Est, débiteur envers l'Etat, au titre de l'exercice 2005, d'une somme de 113 323 euros, et, au titre de l'exercice 2007, d'une somme de 5 336 euros, augmentées des intérêts de droit à compter du 16 novembre 2012.

Par un pourvoi, enregistré le 22 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la Cour des comptes en tant qu'il constitue M. C... débiteur envers l'Etat, au titre de l'exercice 2007, d'une somme de 5 336 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 16 novembre 2012 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de mettre à la charge de M. C...une somme plafonnée à un et demi millième du montant du cautionnement du poste comptable, soit 179 euros.

Le ministre soutient qu'en jugeant que le manquement commis par M. C..., tenant à ce qu'il n'avait pas déclaré la créance fiscale dont M. B...était redevable auprès du liquidateur de son entreprise dans le délai prescrit par le code de commerce, avait causé un préjudice financier à l'Etat, alors qu'il ressortait de l'état de reddition des comptes dressé à l'issue de la procédure de liquidation judiciaire que cette créance fiscale était irrécouvrable, la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique.

Un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2013, a été présenté par le parquet général près la Cour des comptes, qui conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que le moyen soulevé par le pourvoi n'est pas fondé.

Un mémoire en réplique, enregistré le 7 mars 2014, a été présenté par ministre délégué, chargé du budget, qui conclut aux mêmes fins que son pourvoi.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- la loi n° 63-156 du 23 février 1963, modifiée notamment par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Clémence Olsina, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;



1. Considérant qu'aux termes du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, qui définit les obligations qu'il incombe au comptable public de respecter sous peine de voir sa responsabilité personnelle et pécuniaire engagée : " Outre la responsabilité attachée à leur qualité d'agent public, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public, désignées ci-après par le terme d'organismes publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent. / Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. / La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes. / (...) " ; qu'aux termes du VI du même article : " La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent. (...) / Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l'espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au II. / Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante. / (...) " ; qu'aux termes du IX du même article : " Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au deuxième alinéa du VI ne peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. / Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l'obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI. / (...) " ; qu'aux termes de l'article 11 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable : " Les comptables publics sont seuls chargés : / De la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs (...) ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : " La somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré " ;

2. Considérant que ces dispositions instituent, dans l'intérêt de l'ordre public financier, un régime légal de responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics distinct de la responsabilité de droit commun ; qu'il résulte de leurs prescriptions que, lorsqu'un comptable public n'a pas recouvré une recette qu'il a prise en charge, le juge des comptes apprécie, d'abord, s'il y a lieu d'engager sa responsabilité ; qu'à ce titre, si le juge des comptes doit s'abstenir de toute appréciation du comportement personnel du comptable intéressé et ne peut fonder ses décisions que sur les éléments matériels des comptes, il lui appartient de se prononcer sur le point de savoir si le comptable s'est livré aux différents contrôles qu'il lui incombe d'assurer et s'il a exercé dans des délais appropriés toutes les diligences requises pour le recouvrement de la créance, lesquelles diligences ne peuvent être dissociées du jugement du compte ; que lorsque le juge des comptes estime, au terme de cette appréciation, que le comptable a manqué aux obligations qui lui incombent au titre du recouvrement des recettes, faute d'avoir exercé les diligences et les contrôles requis, le manquement du comptable doit en principe être regardé comme ayant causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ; que le comptable est alors dans l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme non recouvrée ; que, toutefois, lorsqu'il résulte des pièces du dossier, et en particulier des éléments produits par le comptable, qu'à la date du manquement, la recette était irrécouvrable en raison notamment de l'insolvabilité de la personne qui en était redevable, le préjudice financier ne peut être regardé comme imputable audit manquement ; qu'une telle circonstance peut être établie par tous documents, y compris postérieurs au manquement ; que dans le cas où le juge des comptes estime qu'au vu de ces éléments, le manquement du comptable n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, il peut alors décider, sur le fondement non plus du troisième mais du deuxième alinéa du VI de l'article 60, d'obliger le comptable à s'acquitter d'une somme qu'il arrête en tenant compte des circonstances de l'espèce ;

3. Considérant d'une part, qu'en vertu des articles L. 622-7 et L. 641-3 du code de commerce, l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, prononcée par un jugement du tribunal de commerce dans les conditions prévues à l'article L. 641-1 du même code, emporte en principe de plein droit, sauf exceptions prévues par le code de commerce, interdiction de payer toute créance née antérieurement comme postérieurement au jugement d'ouverture ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 622-24, L. 622-26, L. 641-3, R. 622-24 et R. 641-25 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au liquidateur dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, faute de quoi ils ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes de la liquidation et leurs créances deviennent inopposables au débiteur pendant la durée de la procédure de liquidation ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 643-9 du même code : " (...) lorsque la poursuite des opérations de liquidation judiciaire est rendue impossible en raison de l'insuffisance de l'actif (...) la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée par le tribunal (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 631-10 du même code : " Le liquidateur procède à la reddition des comptes. Il est responsable des documents qui lui ont été remis au cours de la procédure pendant cinq ans à compter de cette reddition " ; qu'aux termes de l'article R. 626-39 du même code, applicable à la procédure de liquidation judiciaire en vertu de l'article R. 643-19 du même code : " Lorsque l'administrateur ou le mandataire judiciaire a accompli sa mission, il dépose au greffe un compte rendu de fin de mission. Tout intéressé peut en prendre connaissance " ; qu'aux termes de l'article R. 626-40 du même code, applicable à la procédure de liquidation judiciaire : " Le compte rendu de fin de mission comporte : / 1° La reddition des comptes telle qu'elle ressort de l'édition analytique du mandat dans la comptabilité spéciale de l'administrateur ou du mandataire judiciaire. Le classement analytique distingue, par nature, les opérations de recettes et dépenses (...) " ;

5. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'entreprise de M.B..., redevable d'un montant de 5 336 euros de taxes sur la valeur ajoutée pris en charge par le comptable le 13 février 2004, a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ouverte par un jugement du tribunal de commerce de Saint-Brieuc du 13 novembre 2006, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 1er décembre suivant ; que M.C..., comptable du service des impôts des entreprises de Saint-Brieuc Est en charge du recouvrement de cette créance, ne l'a pas déclarée au liquidateur dans le délai de deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture de la liquidation comme le prescrivent les dispositions citées ci-dessus ; qu'ainsi, à compter du 2 février 2007, l'Etat a été privé de la possibilité d'être admis dans la répartition de l'actif liquidé en vue du recouvrement de cette créance ; que, ce faisant, ainsi que l'a jugé la Cour des comptes, sans que ce point ne soit d'ailleurs contesté par le pourvoi, M. C...a commis un manquement aux diligences lui incombant, justifiant que sa responsabilité personnelle et pécuniaire soit engagée ;

6. Considérant qu'il résulte toutefois des termes de l'arrêt attaqué que, pour soutenir que son manquement n'avait pas causé de préjudice financier à l'Etat, M. C...a fait valoir devant la Cour des comptes que les créances privilégiées n'avaient pas pu être désintéressées dans la procédure de liquidation de l'entreprise de M.B..., clôturée pour insuffisance d'actif par un jugement du tribunal de commerce de Saint-Brieuc du 16 juin 2008 ; que le comptable se prévalait à ce titre de l'état de reddition des comptes établi le 21 juillet 2008 par le liquidateur de l'entreprise de M. B...; qu'en estimant que le manquement de M. C... avait causé un préjudice financier à l'Etat, sans rechercher si, au vu des pièces produites par le comptable, ce dernier établissait qu'à la date du manquement retenu à son encontre, la créance fiscale était irrécouvrable en raison de l'insolvabilité de l'entreprise redevable, la Cour des comptes a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il déclare M. C...débiteur envers l'Etat d'une somme de 5 336 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 16 novembre 2012 ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la Cour des comptes du 21 mai 2013 est annulé en tant qu'il déclare M. C... débiteur envers l'Etat d'une somme de 5 336 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 16 novembre 2012.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics, au parquet général près la Cour des comptes et à M. A... C....



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