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Ariane Web: Conseil d'État 385534, lecture du 14 septembre 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:385534.20150914

Décision n° 385534
14 septembre 2015
Conseil d'État

N° 385534
ECLI:FR:CESSR:2015:385534.20150914
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème / 5ème SSR
M. Laurent Huet, rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public


Lecture du lundi 14 septembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a transmis au tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, sa décision du 10 juillet 2014 par laquelle elle a constaté l'absence de dépôt du compte de campagne de M. B...C..., candidat aux élections municipales du 23 mars 2014 dans la commune de Valenton (Val-de-Marne). Par un jugement n° 1403098, 1403109 et 1406688 du 9 octobre 2014 le tribunal administratif de Melun a déclaré M. C... inéligible aux fonctions de conseiller municipal pendant une durée d'un an à compter de la notification du jugement, a annulé son élection et proclamé à sa place Mme F...D...élue en qualité de conseiller municipal de Valenton.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 6 novembre 2014, 10 février 2015 et 10 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il statue sur la saisine de la CNCCFP ;

2°) de rejeter cette saisine et de fixer le montant du remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne à la somme de 9 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de la CNCCFP la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Huet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;



1. Considérant que, saisi de plusieurs protestations dirigées contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 dans la commune de Valenton pour la désignation des conseillers municipaux, le tribunal administratif de Melun y a joint, pour statuer par la même décision, la saisine par laquelle la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques lui transmettait, sur le fondement des dispositions de l'article L. 52-15 du code électoral, sa décision du 10 juillet 2014 constatant l'absence de dépôt du compte de campagne de M.C..., qui dirigeait l'une des listes en présence ; que par son jugement du 9 octobre 2014, le tribunal administratif a rejeté les protestations dirigées contre les opérations électorales mais, statuant sur la saisine de la commission, a déclaré M. C...inéligible aux fonctions de conseiller municipal pendant une durée d'un an, a annulé son élection et proclamé à sa place Mme D...élue en qualité de conseiller municipal de la commune de Valenton ; que M. C...fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il a statué sur la saisine de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, tant la saisine de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques que le courrier avisant M. C...de l'audience au cours de laquelle le tribunal a statué sur cette saisine ont été envoyés à l'intéressé par le tribunal administratif de Melun à une adresse qui n'était plus celle à laquelle il résidait ; que ces courriers ont néanmoins, par une erreur du service postal, été réceptionnés par un destinataire qui n'avait pas qualité pour le faire et qui n'en a pas assuré la transmission à M. C...; que ce dernier est par suite fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, à en demander l'annulation en tant qu'il a statué sur la saisine de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques ;

3. Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 120 du code électoral pour statuer sur la saisine de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques est expiré ; que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer immédiatement sur cette saisine ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. (...). / Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte. (...) " ;

Sur la saisine du juge par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection " ;

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ces dispositions que la procédure contradictoire qu'elles prescrivent à la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques de suivre, avant de saisir le juge de l'élection, ne concerne que les cas où elle entend rejeter ou réformer un compte de campagne déposé conformément aux dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral et non celui de l'absence de dépôt du compte ; que, par suite, M. C...ne peut utilement invoquer les irrégularités qui entachent, selon lui, la mise en demeure que lui a adressée la commission avant de constater l'absence de dépôt de son compte de campagne, pour soutenir que le juge de l'élection n'aurait pas été régulièrement saisi ;

7. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté par M.C..., que son compte de campagne, envoyé par lui à une adresse erronée, n'a jamais été reçu par la commission ; qu'ainsi, alors même qu'il avait procédé à cet envoi à une date permettant en principe de respecter le délai fixé par l'article L. 52-12 du code électoral, la commission a pu, à bon droit, constater que le compte de campagne de M. C...n'avait pas été déposé dans le délai légal ;

Sur l'inéligibilité :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, (...), le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12.(...) L'inéligibilité déclarée sur le fondement des premier à troisième alinéas est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections (...) " ;

9. Considérant que, compte tenu du caractère substantiel de l'obligation méconnue par lui et de ce que, en outre, près de la moitié des dépenses du candidat, représentant plus de 42 % du plafond des dépenses, n'ont pas été payées par son mandataire financier, M. C... encourt la sanction d'inéligibilité prévue par les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 118-3 du code électoral ; que, dans les circonstances de l'espèce, la durée de son inéligibilité qui doit, en vertu de ces mêmes dispositions, s'appliquer à toutes les élections ne saurait, contrairement à ce que soutient l'intéressé, être inférieure à une année ;

10. Considérant, toutefois, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'inéligibilité prononcée par le tribunal administratif de Melun l'a été pour seulement un an et limitée aux seules fonctions de conseiller municipal ; qu'en application d'un principe général du droit des sanctions, une sanction infligée en première instance ne peut être aggravée sur le seul appel de la personne sanctionnée ; que l'inéligibilité prononcée contre M. C...par la présente décision doit, par suite, être limitée à une année et aux seules fonctions de conseiller municipal ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'élection de M. C...et, en application des dispositions de l'article L. 270 du code électoral, de proclamer élu en qualité de conseiller municipal MmeD..., candidate dont le nom figure immédiatement après celui du dernier élu de la liste conduite par M. C...;

12. Considérant, enfin, qu'il résulte également de ce qui précède que les conclusions par lesquelles M. C...demande au Conseil d'Etat de fixer à 9 000 euros le montant du remboursement de ses frais de campagne doivent être rejetées ; qu'il en est de même de ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er à 3 du jugement du tribunal administratif de Melun du 9 octobre 2014 sont annulés.
Article 2 : L'élection de M. C...en qualité de conseiller municipal de la commune de Valenton est annulée. Mme D...est proclamée élue en qualité de conseiller municipal de la commune de Valenton.
Article 3 : M. C...est déclaré inéligible aux fonctions de conseiller municipal pour une durée d'un an à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. C...est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...C..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à Mme E...A...et à Mme F...D....


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