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Ariane Web: Conseil d'État 374745, lecture du 14 octobre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:374745.20151014

Décision n° 374745
14 octobre 2015
Conseil d'État

N° 374745
ECLI:FR:CESSR:2015:374745.20151014
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
M. Romain Victor, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP BOULLEZ ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 14 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de refus opposée par le maire de Paris à son recours administratif du 23 mars 2009 tendant à ce que son contrat de travail conclu avec la Ville de Paris soit requalifié en contrat à durée déterminée, en application des dispositions de l'article 15-I de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005. Par un jugement n° 09122111 du 28 décembre 2011, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12PA01013 du 19 novembre 2013, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel que Mme A...a formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 20 janvier, 22 avril et 17 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;
- le décret n° 94-415 du 24 mai 1994 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Victor, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boullez, avocat de Mme A...et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 octobre 2015, présentée par la Ville de Paris ;



1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans leur rédaction antérieure à la loi du 12 mars 2012, que les collectivités territoriales ne peuvent recruter par contrat à durée déterminée des agents non titulaires que, d'une part, au titre des premier et deuxième alinéas de cet article, en vue d'assurer des remplacements momentanés ou d'effectuer des tâches à caractère temporaire ou saisonnier définies à ces alinéas et, d'autre part, s'agissant des dérogations, énoncées aux quatrième, cinquième et sixième alinéas du même article, au principe selon lequel les emplois permanents sont occupés par des fonctionnaires, lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer certaines fonctions, lorsque, pour des emplois de catégorie A, la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient et, dans les communes de moins de 1 000 habitants, lorsque la durée de travail de certains emplois n'excède pas la moitié de celle des agents publics à temps complet ; que ces dispositions sont applicables aux personnels des administrations parisiennes en vertu des articles 4 et 6 du décret du 24 mai 1994 portant dispositions statutaires relatives aux personnels des administrations parisiennes ;

2. Considérant qu'aux termes des septième et huitième alinéas du même article 3 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique : " Les agents recrutés conformément aux quatrième, cinquième, et sixième alinéas sont engagés par des contrats à durée déterminée, d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables, par reconduction expresse. La durée des contrats successifs ne peut excéder six ans. / Si, à l'issue de la période maximale de six ans mentionnée à l'alinéa précédent, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée " ; qu'aux termes du I de l'article 15 de la loi du 26 juillet 2005 précitée : " Lorsque l'agent, recruté sur un emploi permanent, est en fonction à la date de publication de la présente loi (...), le renouvellement de son contrat est soumis aux conditions prévues aux septième et huitième alinéas de l'article 3 (...). / Lorsque, à la date de publication de la présente loi, l'agent est en fonction depuis six ans au moins, de manière continue, son contrat ne peut, à son terme, être reconduit que par décision expresse pour une durée indéterminée " ;

3. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour les agents contractuels de la fonction publique territoriale recrutés sur un emploi permanent, en fonction au moment de la publication de la loi du 26 juillet 2005, le renouvellement de contrat régi par le I de l'article 15 de cette loi doit intervenir selon les règles fixées par les septième et huitième alinéas de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 et ne peut donc concerner que les titulaires de contrats entrant dans les catégories énoncées aux quatrième, cinquième et sixième alinéas de ce même article ; que le droit ainsi reconnu aux agents dont le contrat, correspondant à un besoin permanent, fait l'objet d'une reconduction, d'en bénéficier pour une durée indéterminée n'est subordonné ni par cette disposition, ni par aucune autre disposition régissant la fonction publique territoriale, à la condition que le contrat soit conclu pour un service à temps complet ; que, si l'article 55 du décret du 24 mai 1994 énonce que les fonctions des personnels des administrations parisiennes qui, correspondant à un besoin permanent, impliquent un service à temps non complet, sont assurées par des agents non titulaires, cette disposition réglementaire est sans incidence sur l'application à tous les contrats correspondant à un besoin permanent, qu'ils soient ou non conclus pour un service à temps complet, des dispositions de l'article 15 de la loi du 26 juillet 2005 ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...a été recrutée le 1er octobre 1990 par la Ville de Paris en qualité de professeur d'anglais en vertu d'un contrat à durée déterminée à temps incomplet qui a fait l'objet de renouvellement successifs ; que, par une lettre du 23 mars 2009, elle a demandé la requalification de son engagement en contrat à durée indéterminée ; que, pour confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 décembre 2011 rejetant sa demande qui tendait à l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Paris avait refusé de lui donner satisfaction, la cour a jugé que si les dispositions combinées de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 55 du décret du 24 mai 1994 permettent, dans des cas limitativement énumérés, de déroger, en recrutant des agents contractuels, aux dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en vertu desquelles les emplois permanents à temps complet sont occupés par des fonctionnaires, elles n'ont néanmoins ni pour objet ni pour effet de permettre le recrutement d'agents contractuels pour assurer des fonctions qui, tout en correspondant à un emploi permanent, impliquent un service à temps incomplet ; qu'elle en a déduit qu'alors même qu'elle justifiait d'une durée de services de plus de six ans à la date de la publication de la loi du 26 juillet 2005, MmeA..., qui avait été recrutée par la Ville de Paris dans le cadre de contrats à durée déterminée conclus pour un temps incomplet, ne pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 15 de cette loi ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit ; que Mme A...est dès lors fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 19 novembre 2013 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La Ville de Paris versera à Mme A...une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la Ville de Paris présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et à la Ville de Paris.


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