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Ariane Web: Conseil d'État 391872, lecture du 14 octobre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:391872.20151014

Décision n° 391872
14 octobre 2015
Conseil d'État

N° 391872
ECLI:FR:CESSR:2015:391872.20151014
Inédit au recueil Lebon
8ème / 3ème SSR
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public


Lecture du mercredi 14 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



M. Jean-ClaudeA..., à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 1202995 du 25 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2006, 2007 et 2008 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 19 octobre 2006 au 31 décembre 2008, a produit des mémoires, enregistrés les 24 avril et 9 juillet 2015 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 14LY01530 du 16 juillet 2015, enregistrée le 20 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 5e chambre de la cour administrative d'appel de Lyon, avant qu'il soit statué sur la requête d'appel de M. A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistré le 24 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...soutient que l'article L. 85 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 est applicable au litige et n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; qu'il méconnaît le principe de loyauté dans l'administration de la preuve et de respect des droits de la défense, le principe de respect de la vie privée et les exigences constitutionnelles de proportionnalité et de nécessité régissant la poursuite de l'objectif constitutionnel de répression de la fraude fiscale.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;




1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées ... " ; qu'aux termes de l'article L. 85 du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure en cause dans le litige soumis à la cour administrative d'appel de Lyon : " Les contribuables doivent communiquer à l'administration, sur sa demande, les livres dont la tenue est rendue obligatoire par les articles L. 123-12 à L. 123-28 du code de commerce ainsi que tous les livres et documents annexes, pièces de recettes et de dépenses ... " ; que M. A...soutient que ces dernières dispositions méconnaissent le principe de respect de la vie privée ainsi que le principe de loyauté dans l'administration de la preuve et de respect des droits de la défense ;

3. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent le droit au respect de la vie privée qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789 et les droits de la défense et, d'autre part, la lutte contre la fraude fiscale, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ;

4. Considérant, d'une part, que l'exercice du droit de communication prévu à l'article L. 85 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige, ne concerne que les documents comptables et financiers et les documents de toute nature pouvant justifier le montant des recettes et dépenses ; que le droit de communication exercé auprès des entreprises industrielles ou commerciales a seulement pour objet de permettre à l'administration fiscale de demander à un tiers ou, éventuellement, au contribuable lui-même, des renseignements disponibles sans que cela ne nécessite d'investigations particulières ou, dans les mêmes conditions, de prendre connaissance et, le cas échéant, copie de certains documents existants qui se rapportent à l'activité professionnelle de la personne auprès de laquelle ce droit est exercé, dans le seul objectif d'établissement et de contrôle de l'imposition ; que l'administration n'est fondée à faire état, à l'encontre d'un contribuable, de renseignements qu'elle a recueillis sur des tiers en usant du droit de communication que dans la mesure où ces renseignements sont nécessaires à la détermination des bases d'imposition du contribuable vérifié ; que l'administration, enfin, est tenue, lorsqu'elle communique au contribuable vérifié la teneur et l'origine des documents obtenus de tiers sur lesquels elle fonde le redressement de ses bases d'imposition, de veiller au respect des dispositions législatives protégeant, notamment, la vie privée ; que, compte tenu des conditions ainsi posées à son exercice, et du fait que les informations recueillies à cette occasion par l'administration fiscale sont soumises à l'obligation de secret professionnel prescrite par l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, l'exercice du droit de communication prévu aux articles L. 81 et L. 85 du livre des procédures fiscales, qui contribue à l'objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale, n'est pas susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée du contribuable ou de toute autre personne ;

5. Considérant, d'autre part, que si, dans le cadre du droit de communication, l'administration fiscale peut demander communication de données personnelles figurant dans des fichiers, au sens de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, comme le prévoit d'ailleurs l'article 3 de cette loi pour toutes les autorités légalement habilitées dans le cadre de l'exercice d'un droit de communication, M. A... n'indique pas en quoi l'exercice de ce droit méconnaîtrait les principes qu'il invoque de loyauté dans l'administration de la preuve et de respect des droits de la défense ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Lyon.