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Ariane Web: Conseil d'État 367816, lecture du 23 octobre 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:367816.20151023

Décision n° 367816
23 octobre 2015
Conseil d'État

N° 367816
ECLI:FR:CECHS:2015:367816.20151023
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Jean-Marc Anton, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR, avocats


Lecture du vendredi 23 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le grand port maritime de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de le décharger de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre de l'année 2010. Par un jugement n° 1004664 du 19 février 2013, le tribunal administratif a fait droit à sa demande et mis à la charge de l'Etat la somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un pourvoi, enregistré le 17 avril 2013, le ministre délégué, chargé du budget demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des ports maritimes ;
- le code des transports ;
- la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 ;
- le décret n° 2008-1034 du 9 octobre 2008 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Anton, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat du grand port maritime de Bordeaux ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le port autonome de Bordeaux a été transformé en un grand port maritime par décret du 9 octobre 2008 et a pris le nom de grand port maritime de Bordeaux ; qu'il a reçu un avis d'imposition, au titre de l'année 2010, par lequel l'administration fiscale a désigné l'Etat comme redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison d'installations de stockage d'hydrocarbures situées sur le territoire de la commune de Bassens, édifiées sur un terrain appartenant à l'Etat et exploitées par la société les Docks des Pétroles d'Ambès dans le cadre d'un contrat de gérance conclu le 5 juin 1967 avec le port autonome de Bordeaux ; que le grand port maritime de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de le décharger de cette imposition ; que le ministre demande l'annulation du jugement du 19 février 2013 par lequel ce tribunal a fait droit à la demande du grand port maritime de Bordeaux ;

2. Considérant qu'une décision ministérielle du 11 août 1942, publiée au bulletin officiel des contributions directes de la même année, indique qu'un arrêté du 31 janvier 1942 a prévu que les ports autonomes seraient passibles à compter du 1er janvier 1942 de tous les impôts et taxes dus par les entreprises privées similaires mais reporte " à titre exceptionnel, au 1er janvier de l'année suivant celle de la cessation des hostilités l'application de l'arrêté du 31 janvier 1942 en tant qu'il est susceptible de modifier le régime des impôts directs applicables aux chambres de commerce maritimes et aux ports autonomes " ; que la réponse du ministre du budget à M. A..., député, publiée au journal officiel de l'Assemblée nationale du 23 février 1981, rappelle que, si " les terrains affectés à l'exploitation portuaire, de même que les constructions et installations appartenant aux ports autonomes sont, en principe, imposables à la taxe foncière sur les propriétés bâties (...) des décisions ministérielles prises après 1945, et maintenant une solution arrêtée pendant la seconde guerre mondiale, ont suspendu l'application de ces règles aux installations portuaires " ; qu'enfin, selon la documentation administrative de base référencée 6 C-121 du 15 décembre 1988, relative aux exonérations de taxe foncière sur les propriétés publiques, applicable aux impositions en litige : " en vertu de décisions ministérielles des 11 août 1942 et 27 avril 1943, le régime d'exonération des propriétés publiques antérieur au régime actuel qui résulte de l'article 4 de la loi du 28 juin 1941, continue de s'appliquer aux immeubles et installations dépendant des ports gérés par des ports autonomes ou des chambres de commerce " ; qu'il résulte de ce qui précède que l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue par la décision ministérielle du 11 août 1942, reprise par la réponse ministérielle à M. A... et par la documentation administrative, bénéficie aux immeubles des ports autonomes ;

3. Considérant que la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a ajouté aux catégories des ports maritimes et de pêche, notamment à celle des ports autonomes, la catégorie des grands ports maritimes ; que les dispositions de cette loi interdisent aux grands ports maritimes d'exploiter les outillages utilisés pour les opérations de chargement, de déchargement, de manutention et de stockage liées aux navires à l'issue d'un délai qui ne peut excéder deux ans à compter de l'adoption de leur projet stratégique et prévoient la cession à des opérateurs de terminaux de la propriété de ces outillages ou, le cas échéant, des droits réels qui leur sont attachés ; que la loi prévoit également la conclusion, avec l'Etat et, le cas échéant, les collectivités territoriales intéressées ou leurs groupements, de contrats pluriannuels aux fins de préciser les modalités de mise en oeuvre du projet stratégique des grands ports maritimes, ainsi que leur politique de versement de dividendes à l'Etat ; qu'ainsi, eu égard aux différences substantielles entre les grands ports maritimes créés par la loi et les ports autonomes, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue pour les seconds par la décision ministérielle du 11 août 1942, reprise par la réponse ministérielle à M. A... et par la documentation administrative mentionnées au point 2, ne saurait être regardée comme applicable aux premiers ;

4. Considérant que le tribunal administratif a jugé qu'il résultait de cette interprétation formelle de la loi fiscale que le ministre avait entendu exonérer les grands ports maritimes du paiement de la taxe foncière sur les propriétés bâties et a regardé comme sans influence sur la solution du litige la circonstance que l'établissement requérant, devenu un grand port maritime, n'était plus un port autonome ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il a ainsi commis une erreur de droit ; qu'ainsi et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque ;

5. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 1400 du code général des impôts: " Sous réserve des dispositions des articles 1403 et 1404, toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel " ; qu'aux termes de l'article 1403 du même code : " Tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue d'être imposé au rôle.... " ; qu'aux termes de l'article 1415 du même code : " La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition " ;

7. Considérant qu'il résulte des termes de la loi du 4 juillet 2008 et de ses décrets d'application que les biens appartenant à l'Etat mais déjà remis en gestion au port autonome sont transférés en pleine propriété à la nouvelle structure du grand port maritime et qu'il doit être réalisé un inventaire contradictoire de ces biens entre les services de l'Etat et le grand port maritime ; qu'en tout état de cause, le transfert de propriété doit être formalisé par la publication d'un acte translatif de propriété à la conservation des hypothèques ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'avis d'imposition relatif à l'année 2010 que la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas été mise à la charge du grand port maritime de Bordeaux mais à celle de l'Etat ; que le ministre soutient, sans être contredit, qu'à la date de l'imposition contestée, il n'avait été procédé ni à l'inventaire ni au transfert des biens qui appartenaient à l'Etat et dont faisaient partie les immeubles en cause, et qu'aucune publication du transfert de propriété n'avait été effectuée ; que, par suite, le grand port maritime de Bordeaux ne pouvait être redevable de l'imposition contestée ; que, dès lors, ses conclusions tendant à la décharge de cette imposition, lesquelles ont été établies à bon droit au nom de l'Etat, sont irrecevables et doivent être rejetées ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 19 février 2013 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La demande présentée par le grand port maritime de Bordeaux devant le tribunal administratif de Bordeaux et les conclusions présentées par le grand port maritime de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et au grand port maritime de Bordeaux.