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Ariane Web: Conseil d'État 373321, lecture du 9 novembre 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:373321.20151109

Décision n° 373321
9 novembre 2015
Conseil d'État

N° 373321
ECLI:FR:CESJS:2015:373321.20151109
Inédit au recueil Lebon
6ème SSJS
Mme Marie-Françoise Guilhemsans, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP BOULLEZ, avocats


Lecture du lundi 9 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 août 2009 par lequel le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a prononcé à son encontre la sanction de la mise à la retraite d'office. Par un jugement n° 1000756 du 17 mars 2011, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 11VE01812 du 19 septembre 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 novembre 2013 et 18 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, notamment son article 19 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 86-592 du 18 mars 1986 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Françoise Guilhemsans, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boullez, avocat de M. B...;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 26 août 2009, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a prononcé à l'encontre de M. A...B..., gardien de la paix, la sanction de mise à la retraite d'office au motif qu'en divulguant des informations confidentielles et nominatives, obtenues illégalement et communiquées en contrepartie d'avantages, il avait adopté un comportement contraire à ses obligations statutaires et déontologiques et ainsi commis une faute professionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec la qualité et les fonctions de policier ; que par un jugement du 17 mars 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. B...tendant à l'annulation de cet arrêté ; que par un arrêt du 19 septembre 2013, contre lequel M. B...se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'intéressé contre le jugement du 17 mars 2011 ;

2. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; qu'en se bornant à rechercher si l'auteur de la décision attaquée n'avait pas commis une erreur manifeste d'appréciation, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, M. B...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces de la procédure que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué n'aurait pas été signé, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience manque en fait ;

5. Considérant, en second lieu, que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments soulevés par M. B...à l'appui de ses moyens, ont répondu au moyen qui leur était soumis, tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité par les membres du conseil de discipline et son président ;

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

6. Considérant, en premier lieu, qu'en l'absence de disposition législative ou réglementaire le prévoyant pour les agents soumis aux dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, le défaut de communication de l'avis du conseil de discipline, préalablement à la mise en oeuvre d'une mesure disciplinaire, est sans incidence sur la régularité de celle-ci ; que, par suite, le fait que le ministre chargé de l'intérieur aurait communiqué à M. B... un avis incomplet n'est, en tout état de cause, pas susceptible d'entacher d'illégalité la décision contestée ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 10 du décret susvisé du 28 mai 1982 : " Les représentants de l'administration, titulaires et suppléants, au sein des commissions administratives visées à l'article 2 sont nommés par arrêté du ou des ministres intéressés ou par décision de l'autorité auprès de laquelle sont placées les commissions dans les quinze jours suivant la proclamation des résultats des élections prévues aux articles 19 à 23 du présent décret. Ils sont choisis parmi les fonctionnaires de l'administration intéressée ou exerçant un contrôle sur cette administration, appartenant à un corps classé dans la catégorie A ou assimilé, et comprenant notamment le fonctionnaire appelé à exercer la présidence de la commission. (...) / Pour la désignation de ses représentants, l'administration doit respecter une proportion minimale d'un tiers de personnes de chaque sexe. Cette proportion est calculée sur l'ensemble des membres représentant l'administration, titulaires et suppléants. (...) " ; qu'aux termes des dispositions de l'article 31 du même décret : " Les suppléants peuvent assister aux séances de la commission sans pouvoir prendre part aux débats. Ils n'ont voix délibérative qu'en l'absence des titulaires qu'ils remplacent " ;

8. Considérant que M.C..., qui a été nommé en qualité de représentant suppléant de l'administration au sein de la commission administrative paritaire interdépartementale compétente à l'égard des fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application de la police nationale par arrêté du préfet de police du 6 mars 2009, n'était pas appelé à suppléer exclusivement M.D..., membre titulaire de cette commission, mais l'un quelconque des treize titulaires désignés aux termes de cet arrêté ; que, par suite, en application des dispositions citées au point précédent et en l'absence de certains membres titulaires représentant l'administration, M. C...a pu valablement siéger avec voix délibérative lors de la séance de la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire du 3 juin 2009, alors même que M. D...était présent ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission administrative paritaire du 3 juin 2009 doit être écarté ;

9. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient M. B..., il ne ressort pas des pièces du dossier que le président du conseil de discipline aurait manifesté une animosité personnelle à l'égard du requérant ou fait preuve de partialité à son encontre ; que, par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que le principe d'impartialité aurait été méconnu ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que M. B...soutient qu'il n'a divulgué aucune information qui aurait été monnayée et qu'il n'a reçu des deux personnes avec lesquelles il entretenait des relations cordiales afin d'obtenir des informations de leur part qu'une seule bouteille d'alcool au moment des fêtes de Noël ; que, toutefois, il ressort des constatations de fait qui sont le support nécessaire du dispositif de l'arrêt du 23 mars 2009 de la cour d'appel de Paris, constatations qui s'imposent au juge administratif avec l'autorité de la chose jugée au pénal, que l'intéressé a effectué, pour le compte de ces personnes, diverses recherches dans les fichiers de police, qu'il leur a communiqué des informations de manière illicite et qu'en contrepartie, ces personnes lui ont notamment prêté un véhicule et offert des bouteilles d'alcool ; que le juge pénal a relevé que, de tels échanges de services étaient constitutifs d'un pacte de corruption ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux serait entaché d'une erreur de fait doit être écarté ;

11. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 66 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office (...) " et qu'aux termes de l'article 6 du décret susvisé du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police nationale : " Tout manquement aux devoirs définis par le présent code expose son auteur à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. " ;

12. Considérant que les faits reprochés à M. B...sont de nature à justifier une sanction disciplinaire ; qu'eu égard à leur nature et leur particulière gravité, ainsi qu'à la qualité de gardien de la paix de l'intéressé, le ministre de l'intérieur n'a pas prononcé une sanction disproportionnée avec les fautes commises en infligeant à M. B...la sanction de la mise à la retraite d'office ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 17 mars 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de ces mêmes dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 septembre 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : La requête de M. B...devant la cour administrative d'appel de Versailles est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Monsieur A...B...et au ministre de l'intérieur.