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Ariane Web: Conseil d'État 375209, lecture du 9 novembre 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:375209.20151109

Décision n° 375209
9 novembre 2015
Conseil d'État

N° 375209
ECLI:FR:CESJS:2015:375209.20151109
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème SSJS
Mme Marie-Françoise Guilhemsans, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON, avocats


Lecture du lundi 9 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1) Sous le n° 375209, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 février et 2 mai 2014 et le 6 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-1123 du 4 décembre 2013 portant création de la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative.



2) Sous le n° 383932, par une requête transmise par ordonnance n° 1404215-5 du 21 août 2014 du président du tribunal administratif de Grenoble en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 25 août 2014, M. A...B...demande d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 4 décembre 2013 mentionné ci-dessus, en tant qu'il inclut 14 hectares, 18 ares et 94 centiares du domaine de Mérieu.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Françoise Guilhemsans, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 332-1 du code de l'environnement : " I - Des parties du territoire d'une ou de plusieurs communes peuvent être classées en réserve naturelle lorsque la conservation de la faune, de la flore, du sol, des eaux, des gisements de minéraux et de fossiles et, en général, du milieu naturel présente une importance particulière ou qu'il convient de la soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader. Le classement peut affecter le domaine public maritime et les eaux territoriales françaises. / II - Sont prises en considération à ce titre : / 1° La préservation d'espèces animales ou végétales et d'habitats en voie de disparition sur tout ou partie du territoire national ou présentant des qualités remarquables ; / 2° La reconstitution de populations animales ou végétales ou de leurs habitats ; / 3° La conservation des jardins botaniques et arboretums constituant des réserves d'espèces végétales en voie de disparition, rares ou remarquables ; / 4° La préservation de biotopes et de formations géologiques, géomorphologiques ou spéléologiques remarquables ; / 5° La préservation ou la constitution d'étapes sur les grandes voies de migration de la faune sauvage ; / 6° Les études scientifiques ou techniques indispensables au développement des connaissances humaines ; / 7° La préservation des sites présentant un intérêt particulier pour l'étude de l'évolution de la vie et des premières activités humaines " ; qu'aux termes de l'article L. 332-2 du code de l'environnement : " I. - Le classement d'une réserve naturelle nationale est prononcé pour assurer la conservation d'éléments du milieu naturel d'intérêt national ou la mise en oeuvre d'une réglementation européenne ou d'une obligation résultant d'une convention internationale. / II. - Le projet de création de la réserve est soumis à une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier et transmis pour avis à toutes les collectivités locales intéressées ainsi que, dans les zones de montagne, aux comités de massif. / III. - La décision est prise par décret après accord de l'ensemble des propriétaires concernés, tant sur le périmètre de la réserve que sur la réglementation envisagés. A défaut d'accord de l'ensemble des propriétaires concernés, le classement est prononcé par décret en Conseil d'Etat. " ; que le décret attaqué du 4 décembre 2013, qui a été pris en application des dispositions qui viennent d'être rappelées, porte création de la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français ;

2. Considérant que les requêtes de l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " et de M. B...sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 375209 de l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 332-1 du Code de l'environnement : " Après consultation du Conseil national de la protection de la nature, sur la base d'une étude scientifique attestant d'un intérêt écologique au regard des objectifs prévus aux articles L. 332-1 et L. 332-2, de l'indication des milieux à protéger et de leur superficie approximative ainsi que de la liste des sujétions envisagées, le ministre chargé de la protection de la nature saisit le préfet du projet de classement d'un territoire comme réserve nationale pour qu'il engage les consultations nécessaires. (... ) " ; que la circonstance que le comité permanent du conseil national de protection de la nature a examiné le projet de réserve naturelle le 20 décembre 2006, alors que le ministre chargé de la protection de la nature a saisi le préfet de l'Isère du projet de création de la réserve le 16 décembre 2006 et l'a désigné à cette date préfet coordonnateur, est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie, dès lors qu'il n'est pas contesté que les avis exigés par la réglementation en vigueur ont été rendus postérieurement à la consultation de ce comité ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 332-1 du code de l'environnement ne peut en conséquence être accueilli ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que les divers moyens tirés de ce que les consultations du comité permanent du conseil national de protection de la nature, de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et de la commission départementale des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature seraient irrégulières ne sont pas assortis de précisions de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé ;

5. Considérant, en troisième lieu, que le moyen tiré de ce que dix-sept membres du conseil national de protection de la nature seulement auraient siégé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 133-7 du code de l'environnement qui imposent la présence de dix-huit membres, manque en fait ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les ministres intéressés ont été consultés sur le projet litigieux, en application de l'article R. 332-9 du code de l'environnement ; que, contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions n'imposent pas d'obtenir l'accord exprès de ces ministres ; que le moyen tiré de l'irrégularité de leur consultation doit être écarté ;

7. Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte de l'article R. 11-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa version alors en vigueur, qu'un avis au public faisant connaître l'ouverture de l'enquête est, par les soins du préfet, publié en caractères apparents huit jours au moins avant le début de l'enquête et rappelé dans les huit premiers jours de celle-ci dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département ou tous les départements intéressés ; que, pour les opérations d'importance nationale, cet avis est, en outre, publié dans deux journaux à diffusion nationale, huit jours avant le début de l'enquête ; que la réserve naturelle du Haut-Rhône français, qui concerne treize communes et s'étend sur 26 kilomètres le long du Rhône, comporte une superficie totale de quelque 17 km2, dont près de 6 km2 relèvent du domaine public fluvial ; que, d'une part, son classement comme réserve nationale n'implique pas qu'elle doive être regardée comme un projet d'importance nationale au sens et pour l'application de l'article R. 11-4 précité ; que, d'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle constituerait, au regard de ses caractéristiques et notamment eu égard à son objet et à la surface concernée, un tel projet d'importance nationale ; que, dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de publicité de l'avis d'ouverture de l'enquête publique, faute que ce dernier ait été publié dans deux journaux à diffusion nationale, doit être écarté ;

8. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article R. 332-3 du code de l'environnement : " Le dossier soumis aux consultations et à l'enquête comprend : / 1° Une note indiquant l'objet, les motifs et l'étendue de l'opération ainsi que la liste des communes intéressées et comportant, pour chaque commune, l'indication des sections cadastrales correspondantes ; / 2° Un plan de délimitation, à une échelle suffisante, du territoire à classer et, le cas échéant, du périmètre de protection ; / 3° Les plans cadastraux et états parcellaires correspondants ; / 4° Une étude sur les incidences générales et les conséquences socio-économiques du projet ; / 5° La liste des sujétions et des interdictions nécessaires à la protection de la réserve ainsi que les orientations générales de sa gestion ; / 6° Un résumé de l'étude scientifique prévue à l'article R. 332-1. " ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier soumis aux consultations et à l'enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de ces consultations que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ;

9. Considérant que, d'une part, un document parcellaire corrigeant des inexactitudes de l'annexe relative à l'état parcellaire initialement jointe au dossier d'enquête publique, d'ailleurs regardées comme mineures par la commission d'enquête, a été communiqué au public le 5 février 2012, soit dans un délai suffisant avant la clôture de l'enquête publique, le 12 février 2012, pour permettre au public de présenter utilement des observations ; que l'association requérante n'établit pas l'existence d'omissions ou d'insuffisances des documents parcellaires qui auraient été de nature à nuire à l'information complète de la population ou à exercer une influence sur le sens de la décision de l'autorité administrative ;

10. Considérant que, d'autre part, en vertu de l'article R. 332-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable en l'espèce, le dossier soumis aux consultations et à l'enquête publique comprend notamment une note indiquant l'objet, les motifs et l'étendue de l'opération ainsi qu'une étude sur les incidences générales et les conséquences socio-économiques du projet ; que si le dossier de la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français ne comporte pas de document intitulé " note de présentation ", son tome 1 procède à une présentation générale du projet, notamment de son contexte, des aménagements, du site, de la réserve et de son périmètre de protection, et est assorti d'une analyse précise du foncier ; qu'il comporte également, une analyse détaillée du contexte socio-économique et des enjeux et objectifs de la réserve, notamment dans les domaines hydroélectrique, agricole, touristique et de loisirs, de chasse et de pêche ainsi qu'en matière de protection de l'environnement ; qu'il ne ressort pas du dossier soumis à l'enquête publique qu'il présente, au regard des exigences de l'article R. 332-3 du code de l'environnement, des omissions ou des insuffisances susceptibles d'avoir nui à l'information complète de la population ou d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l'autorité administrative ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 332-3 du code de l'environnement doit donc être écarté ;

11. Considérant, en septième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les registres d'enquête ont été mis à la disposition du public en mairie du 25 janvier 2010 au 12 février 2010 inclus ; que les consultations avec les élus locaux et les usagers ont été organisées du 23 avril 2007 au 15 janvier 2009 ; que ces consultations, ainsi qu'il ressort de l'avis motivé de la commission d'enquête, ont permis d'exposer les composantes du projet dans chaque département aux conseils municipaux, aux représentants des fédérations de chasseurs et des pêcheurs, des forestiers privés et du centre régional de la propriété forestière, du syndicat du Haut-Rhône, des chambres d'agriculture, de la compagnie nationale du Rhône, de l'Office national de la forêt ; que des consultations en préfecture ont débuté le 7 mai 2009 avec les maires et les représentants des administrations ; que deux réunions ont été tenues avec les élus des communes concernées, puis avec les principaux acteurs, les 16 et 19 novembre 2009 ; que si le rapport de la commission d'enquête fait notamment état, ainsi que le relève l'association requérante, d'insuffisances dans le déroulement des consultations, l'avis rendu a été favorable ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les insuffisances alléguées auraient été de nature, dans les circonstances de l'espèce, à entacher d'irrégularité l'enquête publique ;

12. Considérant, en huitième lieu, qu'aux termes de l'article R. 11-10 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa version en vigueur : " (...) / Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l'opération. / (...). " ; que les conclusions émises par le commissaire-enquêteur à l'issue de l'enquête publique doivent être motivées ; que ces règles imposent à la commission d'enquête ou au commissaire enquêteur d'indiquer au moins sommairement, en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de cet avis, mais ne l'obligent pas à répondre à chacune des observations présentées lors de l'enquête ; que ses réponses peuvent revêtir une forme synthétique ; qu'il ressort du rapport de la commission d'enquête qu'elle a tenu compte des critiques émanant du conseil municipal de Brégnier-Cordon, d'ailleurs précisément analysées, ainsi que de celles dirigées contre le rapport scientifique ; qu'après avoir souligné les qualités indéniables du projet et la grande valeur écologique du site, la commission d'enquête a indiqué qu'elle était favorable à la création de la réserve, en assortissant son avis de diverses recommandations tenant compte des critiques exprimées ; qu'en se prononçant ainsi, la commission d'enquête a satisfait aux exigences rappelées ci-dessus ;

13. Considérant, en neuvième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier de l'enquête publique et notamment du rapport scientifique, dont il n'est pas établi qu'il reposerait sur des analyses erronées, et de l'avis de la commission d'enquête, que le site du Haut-Rhône, qui constitue l'un des derniers vestiges des grands systèmes alluviaux fluviaux, présente, en dépit de la présence de divers équipements hydro-électriques, de travaux de dragage et de la persistance de certaines sources de pollution, une grande valeur écologique ; que la richesse de sa faune et de sa flore justifie, eu égard à la fragilité de cet éco-système, une protection renforcée face aux diverses menaces dont il est l'objet ; que la création de la réserve a pour objet de concilier, sans les interdire, les diverses activités qui s'y déroulent, notamment en matière de tourisme, de chasse, de pêche et d'agriculture, avec cet objectif de protection ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en créant la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français l'auteur du décret attaqué n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 332-1 et L. 332-2 du code de l'environnement ;

14. Considérant, en dixième et dernier lieu, que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " n'est pas fondé a demander l'annulation du décret attaqué ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'association requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Sur la requête n° 383932 de M. B...:

16. Considérant, en premier lieu, que M. B...ne peut en tout état de cause utilement exciper à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué des circonstances, à les supposer même établies, que des représentants d'une association auraient pénétré sur sa propriété sans y être autorisés, pour procéder à des inventaires de la faune et de la flore et y prendre des photographies, utilisées sans son accord, et de ce que l'administration lui aurait illégalement opposé un refus de communication d'informations relatives à l'intégration de parcelles de son domaine dans le réseau Natura 2000 et dans la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français ;

17. Considérant, en second lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'auteur du décret attaqué se serait illégalement cru lié par l'avis émis par le conseil municipal de Creys-Mépieu ; que l'irrégularité de la procédure d'élaboration du plan local d'urbanisme de cette commune est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;

18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes n° 375209 de l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône " et n° 383932 de M. B...sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association " Sauvegarde de notre patrimoine rural du Haut-Rhône ", à M. A...B..., au Premier ministre et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.



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