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Ariane Web: Conseil d'État 390265, lecture du 12 novembre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:390265.20151112

Décision n° 390265
12 novembre 2015
Conseil d'État

N° 390265
ECLI:FR:CESSR:2015:390265.20151112
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème / 3ème SSR
Mme Esther de Moustier, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public


Lecture du jeudi 12 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mai et 20 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes 1 et 130 de l'instruction fiscale BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10 publiée au bulletin officiel des finances publiques-impôts le 20 avril 2015, les paragraphes 370 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 et 480 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-20 toutes deux publiées au même bulletin le 14 octobre 2014, ainsi que les paragraphes 80 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 et 10 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-10 toutes deux publiées à ce bulletin le 20 mars 2015, en tant d'une part qu'ils écartent l'application de l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du code général des impôts aux plus-values en report d'imposition antérieures au 1er janvier 2000, d'autre part, qu'ils prévoient l'application de cet abattement aux moins-values de cession ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, notamment son article 10 ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, notamment son article 17 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Esther de Moustier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;



1. Considérant que l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a modifié l'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisées à compter du 1er janvier 2013, notamment en soumettant ces plus-values au barème de l'impôt sur le revenu, tout en prévoyant un dispositif d'abattement sur le montant des gains nets de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, selon la durée de détention de ces valeurs ; que l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction issue de cet article, dispose désormais que : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci diminué, le cas échéant, des réductions d'impôt effectivement obtenues dans les conditions prévues à l'article 199 terdecies-0 A, ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation. / Les gains nets résultant de la cession à titre onéreux ou retirés du rachat d'actions, de parts de sociétés, de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés à l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7,7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...) " ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant que Mme B...soutient que les dispositions des I et III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en tant qu'elles prévoient que l'abattement pour durée de détention désormais prévu par le 1 de l'article 150-0 D précité du code général des impôts s'applique aussi aux moins-values retirées de cessions de valeurs mobilières et en tant qu'elles excluent du bénéfice de cet abattement les plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition, méconnaissent d'une part, le principe d'égalité devant la loi garanti par les articles 1er de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'autre part, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la même Déclaration ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, les dispositions citées plus haut du 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts " s'appliquent aux gains réalisés et aux distributions perçues à compter du 1er janvier 2013 " ; qu'elles ne peuvent dès lors s'appliquer aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition, la circonstance que la cession mettant fin à ce report intervient après le 1er janvier 2013 étant sans incidence à cet égard ;

5. Considérant, d'une part, que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité ;

6. Considérant que Mme B...soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi en tant qu'elles introduisent une différence de traitement injustifiée entre, d'une part, les plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2000, d'autre part, les plus-values bénéficiant à compter du 1er janvier 2000 du régime du sursis d'imposition ; que, toutefois, cette différence de traitement, qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps, ne méconnaît pas, par elle-même, le principe d'égalité ; qu'elle est en outre en rapport direct avec l'objet de la loi qui, en réservant l'application de l'abattement pour durée de détention aux cessions intervenues à compter du 1er janvier 2013, vise à encourager la détention longue de valeurs mobilières ;

7. Considérant, d'autre part, que l'imposition au barème de l'impôt sur le revenu, sans abattement pour durée de détention, des plus-values placées en report d'imposition et sur lesquelles peuvent venir s'imputer les moins-values de même nature réalisées au cours de la même année ou reportées dans les conditions prévues au 11 de l'article 150-0 D du code général des impôts n'est ni dénuée de relation avec la capacité contributive du contribuable, ni confiscatoire ; qu'ainsi, elle ne méconnait pas le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

8. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du 1 du I de l'article 150-0 A du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (...) de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu. " ; que le 2 de l'article 200 A du même code dispose que : " Les gains nets obtenus dans les conditions prévues à l'article 150-0 A sont pris en compte pour la détermination du revenu net global défini à l'article 158 " ; que le 6 bis de l'article 158 du même code précise que : " Les gains nets de cession de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés sont déterminés conformément aux articles 150-0 A à 150-0 E. (...) " ; qu'enfin, le 11 de l'article 150-0 D du même code énonce que : " Les moins-values subies au cours d'une année sont imputables exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des dix années suivantes " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les gains nets imposables sont calculés après imputation par le contribuable sur les différentes plus-values qu'il a réalisées, avant tout abattement, des moins-values de même nature qu'il a subies au cours de la même année ou reportées en application du 11 précité, pour le montant et sur les plus-values de son choix, et que l'abattement pour durée de détention s'applique au solde ainsi obtenu, en fonction de la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître les plus-values subsistant après imputation des moins-values ;

9. Considérant que, dès lors que l'abattement pour durée de détention désormais prévu par le 1 de l'article 150-0 D précité du code général des impôts ne s'applique pas, ainsi qu'il vient d'être dit, aux moins-values retirées de cessions de valeurs mobilières, le moyen tiré de ce que les dispositions du I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ne pouvaient prévoir l'application de l'abattement à ces moins-values sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut qu'être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de la renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les paragraphes litigieux des instructions attaquées portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur la légalité des instructions attaquées :

11. Considérant qu'aux termes de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10 : " 1. La présente section précise le champ d'application de l'abattement pour durée de détention de droit commun prévu au 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts (CGI). / Cet abattement s'applique aux gains nets (plus-values et moins-values) de cession à titre onéreux réalisés à compter du 1er janvier 2013 et aux distributions imposables suivant le régime des plus-values mobilières des particuliers perçues à compter de cette même date. / Cet abattement s'applique également aux gains nets de cession ou rachat de titres mentionnés aux 3, 4 bis, 4 ter, 5 et 6 du II de l'article 150-0 A du CGI et, le cas échéant, au 2 du III du même article, réalisés à compter du 1er janvier 2014 " ; qu'aux termes de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 : " 80. Le montant de la moins-value imputable ou le cas échéant reportable est le montant de la moins-value constatée réduit des abattements prévus au 1 de l'article 150-0 D du CGI et à l'article 150-0 D ter du CGI, lorsque les conditions d'application de ces abattements sont remplies (BOI-RPPM-PVBMI-20-20 et BOI-RPPM-PVBMI-20-30). / Remarque : Concernant les moins-values constatées lors de la cession de titres issus de la levée d'options sur titres ou de l'acquisition d'actions gratuites, des précisions sont apportées au I-B-2 § 70 à 87 du BOI-RSA-ES-20-10-20-20 " ; qu'enfin, aux termes de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-10 : " 10. Le montant de la plus-value de cession, ainsi que celui de la moins-value de cession, sont donc réduits de l'abattement pour durée de détention " ; que ce dernier paragraphe est assorti d'exemples de calculs portant sur la prise en compte des abattements ;

12. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 8 que les mots " et moins-values " figurant au paragraphe 1 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, le paragraphe 80 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 ainsi que les mots " ainsi que celui de la moins-value de cession " figurant au premier alinéa et les six derniers alinéas du paragraphe 10 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-10, en prévoyant que le montant des moins-values de cessions à titre onéreux réalisées à compter du 1er janvier 2013 doit, avant leur imputation sur les plus-values réalisées, être réduit de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D cité plus haut du code général des impôts, ne se bornent pas à expliciter la loi mais y ajoutent des dispositions nouvelles qu'aucun texte ne les autorisait à édicter ; que la requérante est dès lors fondée à en demander l'annulation ;

13. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les paragraphes 130 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, 370 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 et 480 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-20, en prévoyant que l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts ne s'applique pas aux plus-values réalisés avant le 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition, se bornent à expliciter la loi sans y ajouter aucune règle nouvelle ; que la requérante n'est, par suite, pas fondée à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros à MmeB..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MmeB....
Article 2 : Les mots " et moins-values " figurant au paragraphe 1 de l'instruction référencée BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10 publiée le 20 avril 2015, le paragraphe 80 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 publiée le 20 mars 2015 ainsi que les mots " ainsi que celui de la moins-value de cession " figurant au premier alinéa et les six derniers alinéas du paragraphe 10 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-10 publiée le même jour sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Mme B...la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Voir aussi