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Ariane Web: Conseil d'État 393173, lecture du 23 novembre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:393173.20151123

Décision n° 393173
23 novembre 2015
Conseil d'État

N° 393173
ECLI:FR:CESSR:2015:393173.20151123
Inédit au recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
M. Pierre Lombard, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du lundi 23 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

A l'appui de sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du préfet de Paris du 15 juillet 2015 lui notifiant l'attribution de sa dotation globale de fonctionnement (DGF) pour l'année 2015, le département de Paris a produit un mémoire, enregistré le 30 juillet 2015 au greffe du tribunal administratif de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1511755,1513095 du 31 août 2015, enregistrée le 3 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la deuxième section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande du département de Paris, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales.

A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par deux mémoires, enregistrés les 25 septembre et 3 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de Paris soutient que l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales, applicable au litige et dans sa version en vigueur à la date de la décision litigieuse, méconnaît les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que les principes constitutionnels d'égalité entre collectivités territoriales et de libre administration de celles-ci, garantis respectivement par les articles 72-2 et 72 de la Constitution. Il soutient, en outre, qu'à supposer même que l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales ait été déclaré conforme à la Constitution par la décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004 du Conseil constitutionnel, celui-ci doit être saisi de la présente question prioritaire de constitutionnalité eu égard au changement de circonstances intervenu depuis lors.

Par un mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 19 octobre 2015, le ministre de l'intérieur soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et notamment que la question soulevée ne présente pas de caractère sérieux.

La question a été transmise au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Lombard, auditeur,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du Département de Paris ;



1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 49 de la loi de finances pour 2005, disposait que : " A compter de 2005, la dotation forfaitaire de chaque département, à l'exception du département de Paris, est constituée d'une dotation de base et, le cas échéant, d'une garantie. [...] A compter de 2005, la dotation forfaitaire du département de Paris est égale à la dotation forfaitaire qu'il a perçue l'année précédente indexée selon le taux de progression fixé en application des deux alinéas précédents (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, depuis 2005, alors que la dotation forfaitaire des départements était calculée en fonction de leur population, celle du département de Paris a été calculée, de manière dérogatoire, à partir du montant de la dotation de l'année précédente, auquel était appliqué un taux de progression fixé par le comité des finances locales ; que, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, applicable au litige, le I de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales dispose que : " A compter de 2015, la dotation forfaitaire de chaque département est égale au montant perçu l'année précédente au titre de cette dotation. Pour chaque département, à l'exception du département de Paris, cette dotation est majorée ou minorée du produit de la différence entre sa population constatée au titre de l'année de répartition et celle constatée au titre de l'année précédant la répartition par un montant de 74,02 ? par habitant " ; que ces dispositions ont pour conséquence de maintenir les effets de la dérogation introduite par le législateur en 2004 pour le calcul de la dotation forfaitaire du département de Paris ; que les effets de cette dérogation se cumulent avec ceux de la minoration introduite en vertu des lois de finances pour 2014 et 2015 pour contribuer au redressement des finances publiques, dont le montant peut excéder celui perçu au titre de la dotation forfaitaire de l'année de répartition et entraîner des prélèvements ainsi que, en ce qui concerne le département de Paris, des remboursements à la commune de Paris, dans les conditions prévues au III de l'article L. 3334-3 ;

3. Considérant que le département de Paris soutient que ces dispositions méconnaissent, d'une part, les principes constitutionnels d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques et d'égalité entre collectivités territoriales, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 72-2 de la Constitution, en ce qu'elles introduisent une différence de traitement entre le département de Paris et les autres départements, et, d'autre part, le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, garanti par l'article 72 de la Constitution, en ce qu'elles conduisent à une diminution du montant de sa dotation forfaitaire de nature à faire obstacle à son autonomie financière ;

4. Considérant que le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004, a déclaré l'article 49 de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 conforme à la Constitution ; que, cependant, compte tenu des modifications substantielles dont à fait l'objet l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales depuis 2005, introduites notamment en vertu des lois de finances pour 2014 et 2015, les dispositions en cause ne peuvent être regardées comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

5. Considérant, en premier lieu, que le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que le département de Paris, compte-tenu de ses caractéristiques économiques, géographiques et démographiques, est placé dans une situation différente de celle des autres départements ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la dérogation prévue pour la fixation de la dotation forfaitaire du département de Paris méconnaîtrait le principe d'égalité, est dépourvu de caractère sérieux ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il suit de ce qui a été dit au point précédent que le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels pour instaurer un dispositif dérogatoire de calcul de la dotation forfaitaire du département de Paris et que cette dérogation ne peut être regardée comme créant par elle-même une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques est dépourvu de caractère sérieux ;

7. Considérant, enfin, que le département de Paris fait valoir que les dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales portent atteinte aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales, dès lors que les effets cumulés de la dérogation analysée au point 2 et la réduction de la dotation globale de fonctionnement prévue au même article, entravent son autonomie financière ; que toutefois la réduction de la dotation globale de fonctionnement du département de Paris en 2015 n'a pas pour effet de diminuer la part, dans l'ensemble de ses ressources, de ses ressources propres et, partant, de porter atteinte à son autonomie financière ; qu'elle n'est pas non plus d'une ampleur telle qu'elle entraverait sa libre administration ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales est dépourvu de caractère sérieux ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Paris.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au département de Paris et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Paris.