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Ariane Web: Conseil d'État 384204, lecture du 2 décembre 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:384204.20151202

Décision n° 384204
2 décembre 2015
Conseil d'État

N° 384204
ECLI:FR:Code Inconnu:2015:384204.20151202
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 1ère SSR
Mme Clémence Olsina, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public


Lecture du mercredi 2 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 384204, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 3 septembre 2014 et le 4 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération des moulins de France, l'association des riverains de France, l'association départementale des amis des moulins de l'Indre, l'association Ibbai Erekak et le syndicat de défense des ouvrages hydrauliques et de l'eau demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 7 et 17 du décret n° 2014-750 du 1er juillet 2014 harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 384287, par une requête, enregistrée le 3 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération française des associations de sauvegarde des moulins et M. B...A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 7 du même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2005-805 du 18 juillet 2005 ;
- la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le Conseil d'Etat n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au soutien de la requête n° 384204 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Clémence Olsina, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;



1. Considérant que les requêtes nos 384204 et 384287 sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations ne figurant pas à la nomenclature des installations classées, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants.(...) " ; qu'aux termes de l'article L. 214-2 du même code : " Les installations, ouvrages, travaux et activités visés à l'article L. 214-1 sont définis dans une nomenclature, établie par décret en Conseil d'Etat après avis du Comité national de l'eau, et soumis à autorisation ou à déclaration suivant les dangers qu'ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques compte tenu notamment de l'existence des zones et périmètres institués pour la protection de l'eau et des milieux aquatiques. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 214-3 du même code sont soumis à autorisation de l'autorité administrative : " les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. ", l'arrêté d'autorisation fixant alors les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, les moyens de surveillance, les modalités des contrôles techniques et les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident ; que, selon le même article L. 214-3, sont soumis à déclaration " les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n'étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. " ; qu'en vertu du II de l'article L. 214-4 du même code, l'autorisation peut être retirée, sans indemnité : " / 1° Dans l'intérêt de la salubrité publique, et notamment lorsque ce retrait ou cette modification est nécessaire à l'alimentation en eau potable des populations ; / 2° Pour prévenir ou faire cesser les inondations ou en cas de menace pour la sécurité publique ; / 3° En cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation ; / 4° Lorsque les ouvrages ou installations sont abandonnés ou ne font plus l'objet d'un entretien régulier " ; qu'en vertu du II bis du même article, l'autorisation peut être modifiée, sans indemnité " A compter du 1er janvier 2014, en application des objectifs et des orientations du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux classés au titre du I de l'article L. 214-17 " et dès que le fonctionnement des ouvrages ou des installations ne permet pas la préservation des espèces migratrices vivant alternativement en eau douce et en eau salée ;

3. Considérant, d'autre part, qu'en vertu du II de l'article L. 214-6 du même code, dans sa rédaction résultant notamment de l'ordonnance du 18 juillet 2005 portant simplification, harmonisation et adaptation des polices de l'eau et des milieux aquatiques, de la pêche et de l'immersion des déchets : " Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre. " ; qu'en vertu du VI du même article, " Les installations, ouvrages et activités visés par les II, III et IV sont soumis aux dispositions de la présente section " ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus que les installations et ouvrages fondés en titre sont soumis, en vertu du VI de l'article L. 214-6 du code de l'environnement, aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-11 du code de l'environnement, qui définissent le régime de la police de l'eau, notamment à celles qui définissent les conditions dans lesquelles, en vertu de l'article L. 214-4, l'autorisation peut être abrogée ou modifiée sans indemnisation ;

Sur la légalité des dispositions des articles R. 214-18-1 et R. 216-12 du code de l'environnement, issues de l'article 7 du décret attaqué :

5. Considérant qu'aux termes du I de l'article R. 214-18-1, introduit dans le code de l'environnement par le I de l'article 7 du décret attaqué : " Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation " ; qu'aux termes du II du même article, le préfet peut, au vu des éléments d'appréciation ainsi portés à sa connaissance, " prendre une ou plusieurs des dispositions suivantes : / 1° Reconnaître le droit fondé en titre attaché à l'installation ou à l'ouvrage et sa consistance légale ou en reconnaître le caractère autorisé avant 1919 pour une puissance inférieure à 150 kW ; / 2° Constater la perte du droit liée à la ruine ou au changement d'affectation de l'ouvrage ou de l'installation ou constater l'absence d'autorisation avant 1919 et fixer, s'il y a lieu, les prescriptions de remise en état du site ; / 3° Modifier ou abroger le droit fondé en titre ou l'autorisation en application des dispositions du II ou du II bis de l'article L. 214-4 ; / 4° Fixer, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires dans les formes prévues à l'article R. 214-17 " ; qu'en vertu de l'article R. 216-12 du même code, dans la rédaction que lui a donnée le II de l'article 7 du décret attaqué, la méconnaissance de cette obligation d'information préalable du préfet est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ;

6. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que c'est en vertu de l'article L. 214-6 du code de l'environnement, et non par l'effet du décret attaqué, que les installations et ouvrages fondés en titre sont désormais soumis aux dispositions du même code définissant le régime de la police de l'eau, notamment à celles de l'article L. 214-4 en vertu desquelles l'autorisation peut être abrogée ou modifiée sans indemnisation ; qu'en particulier, les dispositions contestées, autorisant le préfet à modifier ou abroger le droit fondé en titre au vu des éléments d'appréciation portés à sa connaissance à l'occasion de cette information préalable, trouvent leur fondement dans les dispositions combinées du II et du II bis de l'article L. 214-4 de ce code et du VI de son article L. 214-6 ; que, d'autre part, sur le fondement des dispositions législatives citées aux points 2 et 3, le décret attaqué a pu, sans excéder l'étendue de la compétence du pouvoir réglementaire, prévoir l'obligation d'information définie par le I de l'article R. 214-18-1 ; qu'enfin, il était loisible au pouvoir réglementaire de prévoir la peine d'amende contraventionnelle instituée par l'article R. 216-12 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour édicter les dispositions en cause de l'article 7 du décret attaqué doit être écarté ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dispositions citées au point 5, autorisant le préfet, au vu des éléments portés à sa connaissance, à constater la perte d'un droit fondé en titre liée à la ruine ou au changement d'affectation de l'ouvrage ou de l'installation, ne méconnaissent pas les dispositions du II de l'article L. 214-6 du même code, qui prévoient que les installations, ouvrages et activités mentionnés " sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section " ;

8. Considérant, en troisième lieu, que l'article 13 de la directive du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables fixe aux Etats membres l'objectif de disposer, en matière d'installations de productions et autres infrastructures nécessaires au développement des énergies renouvelables, de procédures administratives " proportionnées et nécessaires " et de prendre les mesures appropriées pour veiller à ce que : " c) les procédures administratives soient simplifiées et accélérées au niveau administratif approprié ; / d) les règles régissant l'autorisation (...) soient objectives, transparentes et proportionnées (...) ; / f) des procédures d'autorisation simplifiées et moins contraignantes, y compris par une simple notification, si le cadre réglementaire le permet, soient mises en place pour les projets de moindre envergure et pour des dispositifs décentralisés destinés à la production d'énergie à partir de sources renouvelables, le cas échéant " ; que les articles R. 214-18-1 et R. 216-12 du code de l'environnement, issus de l'article 7 du décret attaqué, ne méconnaissant pas ces objectifs ;

9. Considérant, en quatrième lieu, que si les requérants font valoir que certains travaux de confortement ou de remise en état seraient par ailleurs soumis, en vertu de la nomenclature applicable, à un régime d'autorisation ou de déclaration préalable et que certains ouvrages et installations fondés en titre sont inclus dans des schémas d'aménagement des eaux ou des plans de prévention des risques d'inondations, de telles circonstances n'établissent pas que les dispositions citées au point 5 seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

10. Considérant, enfin, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les notions de " confortement ", de " remise en eau " ou de " remise en exploitation " des ouvrages ou installations seraient insuffisamment précises ou soulèveraient des difficultés d'interprétation de nature à faire obstacle à l'application des dispositions attaquées ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient illégales à raison de cette imprécision ne peut, par suite, qu'être écarté ;

Sur la légalité des dispositions de l'article R. 214-51 du code de l'environnement, issues de l'article 17 du décret attaqué ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article R. 214-51 du code de l'environnement : " I.- Sauf cas de force majeure ou de demande justifiée et acceptée de prorogation de délai, l'arrêté d'autorisation ou la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service, l'ouvrage n'a pas été construit ou le travail n'a pas été exécuté ou bien l'activité n'a pas été exercée, dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, ou, à défaut, dans un délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation ou de la date de déclaration. / (...) " ; qu'il résulte de la portée et de l'objet de ces dispositions qu'elles ne sont applicables qu'aux installations, ouvrages et travaux ayant fait l'objet d'une autorisation délivrée par l'autorité administrative sur le fondement de l'article L. 214-3 ou d'une déclaration présentée sur le fondement du même article ; qu'en revanche, elles ne sauraient s'appliquer aux installations et ouvrages fondés en titre mentionnés par les dispositions du II et du VI de l'article L. 214-6 ; qu'ainsi, il ne saurait être utilement soutenu que les dispositions réglementaires critiquées auraient illégalement porté atteinte à la situation de ces installations et ouvrages ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions réglementaires du code de l'environnement issues des articles 7 et 17 du décret du 1er juillet 2014 harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement ; que leurs requêtes doivent, dès lors, être rejetées, y compris les conclusions qu'ils ont présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes nos 384204 et 384287 sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la fédération des moulins de France, à l'association des riverains de France, à l'association départementale des amis des moulins de l'Indre, à l'association Ibbai Erekak, au syndicat de défense des ouvrages hydrauliques et de l'eau, à la fédération française des associations de sauvegarde des moulins, à M. B...A..., au Premier ministre et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.


Voir aussi