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Ariane Web: Conseil d'État 381577, lecture du 9 décembre 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:381577.20151209

Décision n° 381577
9 décembre 2015
Conseil d'État

N° 381577
ECLI:FR:CESJS:2015:381577.20151209
Inédit au recueil Lebon
3ème SSJS
M. Christophe Pourreau, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
HAAS ; SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du mercredi 9 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 24 novembre 2009 et du 10 août 2010 par lesquelles le maire de la commune de Martigues a rejeté sa demande d'intégration dans le cadre d'emplois des directeurs de police municipale, de condamner la commune de Martigues à lui verser, en réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi, une somme correspondant à la différence entre la rémunération qu'il a perçue en sa qualité de chef de service et celle qu'il aurait dû percevoir compte tenu du traitement et des indemnités servies à un directeur de police municipale et de la reprise de son ancienneté, ainsi qu'une somme de 25 000 euros au titre du préjudice moral et une somme de 30 000 euros au titre du harcèlement moral qu'il estime avoir subi.

Par un jugement n° 1007382 du 31 janvier 2013, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13MA01293 du 18 avril 2014, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin et 22 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2006-1392 du 17 novembre 2006 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. A...et à Me Haas, avocat de la commune de Martigues ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., chef de service de police municipale de classe exceptionnelle, affecté au centre de prévention de la délinquance de la commune de Martigues depuis le 1er juillet 2010, a présenté une demande d'intégration dans le cadre d'emploi des directeurs de police municipale ; que, par deux décisions des 24 novembre 2009 et 10 août 2010, le maire de Martigues a rejeté cette demande ; que M. A... a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions et à la condamnation de la commune à la réparation des préjudices financier et moral qu'il estime avoir subis du fait du refus d'intégration et au versement d'une somme au titre du harcèlement moral subi ; que M. A...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 avril 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'il a formé contre le jugement du 31 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ; que ces dispositions ont procédé à la transposition pour la fonction publique des dispositions relatives à la lutte contre le harcèlement de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;

3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que, d'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des faits qui lui sont soumis ;

4. Considérant qu'en se bornant, pour rejeter les conclusions du requérant au titre de l'indemnisation du harcèlement moral qu'il estimait avoir subi, qui étaient assorties d'une argumentation nourrie et de très nombreuses pièces produites, à relever que le refus d'intégration de celui-ci dans le cadre d'emploi des directeurs de police municipale ne pouvait être regardé comme un agissement constitutif d'un harcèlement moral, alors qu'il avait invoqué d'autres agissements susceptibles de caractériser celui-ci, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ;

5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 28 du décret du 17 novembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des directeurs de police municipale : " Sont intégrés dans le cadre d'emplois de directeur de police municipale, les chefs de service comptant au moins trois ans de service effectif, à la date de la publication du présent décret, dans ce cadre d'emplois et dirigeant un service de police municipale d'au moins 40 agents relevant des cadres d'emplois de police municipale " ; que cette dernière condition s'entend de l'exercice, au sein d'un service de police municipale, de compétences d'encadrement ou de direction portant sur au moins quarante agents ; que, par suite, en jugeant, pour rejeter les conclusions de M. A...tendant à l'annulation des décisions des 24 novembre 2009 et 10 août 2010 par lesquelles le maire de la commune de Martigues a rejeté sa demande d'intégration dans ce cadre d'emplois ainsi que ses conclusions indemnitaires et à fin d'injonction, qu'il n'établissait pas avoir été " personnellement chargé de la direction d'au moins quarante agents relevant du cadre d'emplois de police municipale ", sans rechercher s'il avait exercé des fonctions d'encadrement ou de direction sur un personnel d'au moins quarante agents de police municipale, qu'il ait été ou non directeur de la police municipale, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Martigues la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M.A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 18 avril 2014 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La commune de Martigues versera à M. A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Martigues présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la commune de Martigues.