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Ariane Web: Conseil d'État 387630, lecture du 9 décembre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:387630.20151209

Décision n° 387630
9 décembre 2015
Conseil d'État

N° 387630
ECLI:FR:CESSR:2015:387630.20151209
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème / 3ème SSR
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 9 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Melun :
- de leur accorder la réduction de la taxe d'habitation mise à leur charge au titre de l'année 2012 à raison du logement qu'ils occupent dans la commune de Bussy-Saint-Georges à hauteur du montant résultant de l'application de l'abattement général de 15 % et de la majoration de l'abattement pour charges de famille prévus par deux délibérations du conseil municipal de la commune en date du 6 octobre 2010 ;
- de condamner l'Etat à leur verser une indemnité d'un montant conduisant à ce qu'une somme totale de 5 000 euros leur soit allouée au titre de l'ensemble de leurs conclusions en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'absence d'application des délibérations du 6 octobre 2010 pour le calcul de la taxe d'habitation correspondant au même logement, mise à leur charge au titre de l'année 2011 ;
- de leur allouer les intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable formulée le 19 février 2013, intérêts eux-mêmes capitalisés à compter du 19 avril 2014.

Par un jugement n° 1305005 du 25 septembre 2014, le tribunal administratif de Melun a rejeté ces demandes.

Par une ordonnance n° 14PA04706 du 28 janvier 2015, enregistrée le 3 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 21 novembre 2014 au greffe de la cour, présenté par M. et MmeA.... Par ce pourvoi et par un mémoire enregistré au secrétariat du contentieux le 8 juin 2015, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 25 septembre 2014 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs demandes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. et Mme A...;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et MmeA..., habitants de la commune de Bussy-Saint-Georges, ont contesté l'absence d'application, par l'administration fiscale, pour le calcul de la taxe d'habitation mise à leur charge au titre des années 2011 et 2012, des abattements à la base de cette taxe prévus, en application de l'article 1411 du code général des impôts, par deux délibérations du conseil municipal du 6 octobre 2010 ; qu'ils ont demandé au tribunal administratif de Melun de leur accorder, d'une part, une indemnisation au titre du préjudice qu'ils estiment avoir subi de ce fait au titre de l'année 2011 et, d'autre part, la réduction de la taxe mise à leur charge au titre de l'année 2012 ; que, par un jugement du 25 septembre 2014, le tribunal administratif a rejeté ces demandes ;

Sur les moyens dirigés contre le jugement en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires de M. et MmeA... :

2. Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; qu'en revanche, ne sont pas recevables des conclusions indemnitaires qui n'invoquent pas de préjudice autre que celui résultant du paiement de l'imposition et ont, en conséquence, le même objet que l'action tendant à la décharge de cette imposition que le contribuable a introduite ou aurait pu introduire sur le fondement des règles prévues par le livre des procédures fiscales ;

3. Considérant, d'une part, que le tribunal administratif a estimé que la demande de M. et Mme A...tendait à l'obtention d'une indemnité correspondant notamment au montant de l'excédent de taxe d'habitation qu'ils soutenaient avoir supporté au titre de l'année 2011 à raison de la non application fautive des abattements prévus par les délibérations du conseil municipal de la commune de Bussy-Saint-Georges du 6 octobre 2010 ; qu'en jugeant qu'en tant que les conclusions indemnitaires portaient sur ce montant, elles étaient irrecevables dans la mesure où les requérants n'établissaient pas avoir subi un préjudice autre que le paiement de l'impôt, le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement, n'a pas commis d'erreur de droit ;

4. Considérant, d'autre part, qu'en estimant que, si les requérants faisaient valoir qu'ils avaient subi des troubles dans leurs conditions d'existence, ils ne justifiaient d'aucun préjudice distinct de celui résultant du paiement de l'impôt, le tribunal n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; que, dès lors qu'il estimait que le préjudice allégué n'était pas établi, le tribunal n'avait pas à rechercher si celui-ci trouvait sa cause directe et certaine dans une faute de l'administration ; qu'en ne procédant pas à cette recherche, le tribunal n'a donc ni commis d'erreur de droit, ni insuffisamment motivé son jugement ;

Sur les moyens dirigés contre le jugement en tant qu'il a statué sur la demande de M. et Mme A...tendant à la réduction de la taxe d'habitation de l'année 2012 :

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de Seine-et-Marne a saisi en juin 2010 la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, sur le fondement de l'article L. 1612-5 du code général des collectivités territoriales, d'une demande d'examen du budget primitif de la commune de Bussy-Saint-Georges pour l'année 2010 ; qu'à l'issue de cette procédure, le préfet, par un arrêté du 3 novembre 2010, a réglé le budget de cette commune pour l'année 2010 ;

6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1612-5 du code général des collectivités territoriales : " Lorsque le budget d'une collectivité territoriale n'est pas voté en équilibre réel, la chambre régionale des comptes, saisie par le représentant de l'Etat dans un délai de trente jours à compter de la transmission prévue aux articles L. 2131-1, L. 3131-1 et L. 4141-1, le constate et propose à la collectivité territoriale, dans un délai de trente jours à compter de la saisine, les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre budgétaire et demande à l'organe délibérant une nouvelle délibération. / La nouvelle délibération, rectifiant le budget initial, doit intervenir dans un délai d'un mois à partir de la communication des propositions de la chambre régionale des comptes. / Si l'organe délibérant ne s'est pas prononcé dans le délai prescrit, ou si la délibération prise ne comporte pas de mesures de redressement jugées suffisantes par la chambre régionale des comptes, qui se prononce sur ce point dans un délai de quinze jours à partir de la transmission de la nouvelle délibération, le budget est réglé et rendu exécutoire par le représentant de l'Etat dans le département (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1612-9 du même code : " A compter de la saisine de la chambre régionale des comptes et jusqu'au terme de la procédure prévue à l'article L. 1612-5, l'organe délibérant ne peut se prononcer en matière budgétaire, sauf pour la délibération prévue au deuxième alinéa de l'article L. 1612-5 et pour l'application de l'article L. 1612-12 " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'interdiction faite par cette dernière disposition à l'organe délibérant de se prononcer en matière budgétaire ne concerne que les délibérations ayant une incidence sur le budget de l'année au titre de laquelle la chambre régionale des comptes a été saisie ; que, de même, la décision par laquelle le représentant de l'Etat règle, le cas échéant, ce budget et le rend exécutoire, en application de l'article L. 1612-5, ne peut produire d'effets qu'au titre de l'année en cause ;

7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1639 A bis du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de l'article 1466, les délibérations des collectivités locales et des organismes compétents relatives à la fiscalité directe locale, autres que celles fixant soit les taux, soit les produits des impositions, et que celles instituant la taxe d'enlèvement des ordures ménagères doivent être prises avant le 1er octobre pour être applicables l'année suivante (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que les délibérations instituant les abattements prévus à l'article 1411 du code général des impôts ne sauraient s'appliquer à l'année en cours ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui est dit au point 6 que la suspension des pouvoirs budgétaires du conseil municipal de la commune de Bussy-Saint-Georges, à raison de la procédure engagée en 2010 sur le fondement de l'article L. 1612-5 du code général des collectivités territoriales, ne concernait que les délibérations affectant le budget de cette commune pour 2010, et que l'arrêté du 3 novembre 2010 par lequel le préfet a réglé ce budget d'office ne pouvait produire d'effets qu'au titre de l'année en cause ; qu'il résulte de ce qui est dit au point 7 que les délibérations du 6 octobre 2010 ne pouvaient s'appliquer au titre de l'année 2010 ; que, dans ces conditions, en jugeant, pour écarter le moyen tiré de ce que ces délibérations auraient dû être appliquées pour le calcul de la taxe d'habitation de l'année 2012, que le préfet, par son arrêté du 3 novembre 2010, leur avait implicitement mais nécessairement substitué sa propre décision, le tribunal administratif a commis une erreur de droit, de même d'ailleurs qu'en jugeant que ces délibérations ne pouvaient être légalement adoptées compte tenu de la règle fixée à l'article L. 1612-9 du code général des collectivités territoriales ; que M. et Mme A...sont par suite fondés à demander l'annulation du jugement qu'ils attaquent, en tant qu'il a rejeté leurs conclusions tendant à la réduction de la taxe d'habitation mise à leur charge au titre de l'année 2012 ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme A...de la somme de 1 500 euros au titre de ces dispositions ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 25 septembre 2014 du tribunal administratif de Melun est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. et Mme A...tendant à la réduction de la taxe d'habitation mise à leur charge au titre de l'année 2012.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Melun.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et Mme A...est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B...A...et au ministre des finances et des comptes publics.


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