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Ariane Web: Conseil d'État 394717, lecture du 18 décembre 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:394717.20151218

Décision n° 394717
18 décembre 2015
Conseil d'État

N° 394717
ECLI:FR:CESJS:2015:394717.20151218
Inédit au recueil Lebon
3ème SSJS
Mme Célia Verot, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
DELAMARRE, avocats


Lecture du vendredi 18 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La commune d'Eguilles a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille d'ordonner la suspension, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'arrêté du 1er septembre 2015 des préfets des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse constatant le nombre et la répartition des sièges du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence et de l'arrêté du 12 octobre 2015 du préfet des Bouches-du-Rhône constatant la composition du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence. Par une ordonnance n° 1508734 du 6 novembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi enregistré le 20 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de suspension formée par la commune d'Eguilles.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 ;
- le décret n° 2015-1085 du 28 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Célia Verot, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Delamarre, avocat de la commune d'Eguilles ;

Une note en délibéré, enregistrée le 15 décembre 2015, a été produite par le ministre de l'intérieur.



Considérant ce qui suit :

1. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 6 novembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de la commune d'Eguilles tendant à la suspension, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'arrêté du 1er septembre 2015 des préfets des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse constatant le nombre et la répartition des sièges du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence et de l'arrêté du 12 octobre 2015 du préfet des Bouches-du-Rhône constatant la composition du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes du I de l'article 50 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République : " Les conseillers métropolitains de la métropole d'Aix-Marseille-Provence sont désignés ou élus, dans les conditions prévues à l'article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales, au plus tard deux mois après la promulgation de la présente loi ". Aux termes de l'article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales : " Par dérogation aux articles L. 5211-6 et L. 5211-6-1, entre deux renouvellements généraux des conseils municipaux : / 1° En cas de création d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, de fusion entre plusieurs établissements publics de coopération intercommunale dont au moins l'un d'entre eux est à fiscalité propre (...), il est procédé à la détermination du nombre et à la répartition des sièges de conseiller communautaire dans les conditions prévues à l'article L. 5211-6-1 (...) ". Le premier alinéa du VII de l'article L. 5211-6-1 du même code prévoit enfin que le nombre total de sièges que comptera l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ainsi que celui attribué à chaque commune membre lors du prochain renouvellement général des conseils municipaux est constaté par arrêté du représentant de l'Etat dans le département lorsque les communes font partie du même département ou par arrêté conjoint des représentants de l'Etat dans les départements concernés dans le cas contraire, au plus tard le 31 octobre de l'année précédant celle du renouvellement général des conseils municipaux.

4. Il résulte de la combinaison des textes cités au point 3 qu'en jugeant, pour ordonner la suspension de l'arrêté du 1er septembre 2015 et, par voie de conséquence, celle de l'arrêté du 12 octobre 2015, que le moyen tiré de ce qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne donne compétence aux préfets des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse pour fixer le nombre des sièges du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence et les répartir entre les communes membres de cet établissement était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité de la demande de suspension :

6. La détermination du nombre des conseillers métropolitains de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, leur répartition entre les communes membres de cet établissement et la désignation individuelle de chacun des conseillers découlent d'un ensemble de dispositions législatives et réglementaires, codifiées et non codifiées, figurant à l'article 50 de la loi du 7 août 2015 précitée, aux articles L. 5211-6-1, L. 5211-6-2 et R. 5211-1-1 du code général des collectivités territoriales et au livre Ier du code électoral. La mise en oeuvre de ces règles implique notamment de déterminer la population municipale de chacune des quatre-vingt-douze communes de la métropole, de procéder à des calculs successifs, selon la méthode de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, en vue de répartir le nombre total de sièges entre ces communes, de rechercher si chaque commune membre a procédé, dans le délai qui lui est imparti, à l'élection ou à la désignation de ses délégués au conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence et de s'assurer, à chaque fois, de la régularité et de la légalité de ces désignations ou de ces élections.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'arrêté par lequel les préfets des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse ont fixé le nombre et la répartition des conseillers métropolitains de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ainsi que l'arrêté par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a constaté la composition du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence paraissent constituer, en l'état de l'instruction, des décisions administratives faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ainsi que d'une demande de suspension. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'intérieur, tirée de ce que ces actes auraient un caractère purement déclaratif, ne saurait être accueillie.

Sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité des décisions litigieuses :

8. Par sa décision nos 394016, 394017, 394217, 394280, 394281, 394445 du 27 novembre 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé que le moyen, invoqué par la commune d'Eguilles dans le présent litige, tiré de ce que les dispositions du 4° bis du IV de l'article L. 5211-6-1 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant le suffrage, soulevait une question présentant un caractère sérieux et a, par conséquent, renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée au Conseil constitutionnel. Ce moyen doit être regardé comme étant propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées pour l'application des dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative.

Sur l'urgence :

9. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

10. Il résulte du I de l'article 50 de la loi du 7 août 2015 précitée que la composition du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence doit être arrêtée dans un délai de deux mois suivant la promulgation de cette loi. Le III du même article prévoit en outre que, dès que les formalités nécessaires à la composition du conseil métropolitain ont été accomplies, le président de l'un des six établissements publics de coopération intercommunale regroupés dans la métropole d'Aix-Marseille-Provence en application de l'article L. 5218-1 du code général des collectivités territoriales peut convoquer une réunion du conseil métropolitain en vue de procéder à l'élection du président de la métropole et des membres du bureau et décider toute autre mesure d'organisation interne.

11. Le ministre de l'intérieur fait valoir qu'un intérêt public s'attache à ce que la nouvelle métropole d'Aix-Marseille-Provence, dont le législateur a décidé la création au 1er janvier 2016, dispose, dès cette date, du cadre institutionnel et juridique nécessaire à son bon fonctionnement et que l'ouverture d'une période transitoire serait à cet égard préjudiciable. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 8, il existe un doute sérieux quant à la conformité de la composition du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, telle qu'elle résulte des arrêtés attaqués, avec le principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage, en vertu duquel les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale doivent être représentées au sein de l'organe délibérant sur des bases essentiellement démographiques. Dans ces conditions, l'exécution des arrêtés attaqués aurait directement pour effet, sans attendre la décision du Conseil constitutionnel sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions spécifiques à la métropole d'Aix-Marseille-Provence de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, de permettre à une assemblée délibérante dont la composition est susceptible d'être remise en cause d'adopter ses premières délibérations relatives à l'organe exécutif de la métropole, aux délégations des vice-présidents, au règlement intérieur et aux autres règles de fonctionnement de la métropole. La légalité de ces délibérations initiales pourrait en être elle-même affectée. En tout état de cause et à supposer que les organes de la métropole d'Aix-Marseille-Provence n'entrent pas en fonction dès le 1er janvier 2016, les établissements publics de coopération intercommunale existants continueraient à fonctionner à titre temporaire, sans qu'il en résulte une rupture de continuité dans l'exécution des services publics auxquels ceux-ci pourvoient.

12. Il résulte de ce qui précède qu'à supposer même que les arrêtés litigieux ne portent pas une atteinte suffisamment grave et immédiate aux seuls intérêts de la commune d'Eguilles, celle-ci est fondée à soutenir que les effets de ces arrêtés sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de sa requête au fond, l'exécution de ces arrêtés soit suspendue. Le cas échéant, notamment lorsque le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur la question prioritaire de constitutionnalité mentionnée au point 8, il appartiendra au ministre de l'intérieur, s'il s'y croit fondé, de saisir le juge des référés du Conseil d'Etat en application des dispositions de l'article L. 521-4 du code de justice administrative.

Sur les conclusions de la commune d'Eguilles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la commune d'Eguilles au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 6 novembre 2015 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 1er septembre 2015 des préfets des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse constatant le nombre et la répartition des sièges du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence et de l'arrêté du 12 octobre 2015 du préfet des Bouches-du-Rhône constatant la composition du conseil de la métropole d'Aix-Marseille-Provence est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera à la commune d'Eguilles une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, au Premier ministre et à la commune d'Eguilles.


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