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Ariane Web: Conseil d'État 376324, lecture du 23 décembre 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:376324.20151223

Décision n° 376324
23 décembre 2015
Conseil d'État

N° 376324
ECLI:FR:CESJS:2015:376324.20151223
Inédit au recueil Lebon
6ème SSJS
Mme Laurence Franceschini, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public


Lecture du mercredi 23 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2011-0015 du 10 novembre 2011, la chambre régionale des comptes de Lorraine a constitué MM. D...B...et A...F...et G...E...C...débiteurs envers la caisse de la commune de Bulgnéville, respectivement, des sommes de 4 754,69 euros, 2 771,69 euros et 2 952,31 euros, majorées des intérêts de droit.

Par un arrêt n° 68700 du 30 janvier 2014, la Cour des comptes a rejeté l'appel formé par Mme C...et MM. B...et F...contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 12 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;



1. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, dans sa rédaction alors en vigueur, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors, notamment, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ; que le comptable public dont la responsabilité est ainsi mise en jeu a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort, faute de quoi il peut être constitué en débet par le juge des comptes ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et pécuniairement responsables de l'exercice régulier des contrôles prévus à ses articles 12 et 13 ; qu'aux termes de l'article 12 du même décret, alors applicable : " Les comptables sont tenus d'exercer : / (...) B. - En matière de dépenses, le contrôle : (...) / De l'exacte imputation des dépenses aux chapitres qu'elles concernent selon leur nature ou leur objet ; / De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après (...) " ; qu'aux termes de l'article 13 du même décret, alors applicable : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / (...) L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...) " ; qu'aux termes de l'article 37 du même décret, alors applicable : " Lorsque, à l'occasion de l'exercice du contrôle prévu à l'article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l'ordonnateur (...) " ; qu'en vertu de l'article 47 du même décret, alors applicable, les opérations de dépense " doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l'accord du ministre intéressé " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que pour contrôler l'exacte imputation des dépenses, les comptables doivent être en mesure de déterminer la nature et l'objet de la dépense ; que, d'autre part, pour apprécier la validité des créances, ils doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir l'exacte imputation de la dépense ou la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;

4. Considérant que, par l'arrêt attaqué, la Cour des comptes a confirmé la mise en débet des trois comptables successifs de la commune de Bulgnéville au motif que les intéressés avaient procédé au paiement de divers mandats imputés au titre des exercices 2006 à 2008 au compte 6232 " fêtes et cérémonies ", justifiés par de simples factures de restaurant établies au nom de la commune, lesquelles ne comportaient aucune mention relative à l'identité des convives ni à la manifestation à l'origine de la dépense ; qu'eu égard au caractère insuffisamment précis des pièces justificatives produites par l'ordonnateur, relevé par l'arrêt, c'est à bon droit que la Cour a estimé que les comptables n'avaient pas établi qu'ils étaient en mesure, à la date du paiement, de déterminer la nature et l'objet des dépenses en cause ; qu'en effet, comme l'a relevé la Cour, de telles dépenses pouvaient également correspondre, eu égard aux pièces justificatives produites, à des frais de représentation du maire de la commune ou à des frais d'autres élus municipaux, dans le cadre de mandats spéciaux, lesquels auraient alors dû être imputés, respectivement, soit au compte 6536 " frais de représentation du maire ", soit au compte 6532 " frais de missions des maires, adjoints et conseillers ", et être justifiés par la délibération du conseil municipal fixant leur régime d'attribution, conformément aux rubriques 315 et 3211 de la nomenclature des pièces justificatives de la dépense publique locale prévue par l'article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales ; qu'il résulte de ce qui précède que la Cour des comptes n'a pas commis d'erreurs de droit en jugeant qu'il incombait aux comptables, d'une part, de vérifier la nature des dépenses en cause, laquelle conditionnait en l'espèce à la fois le contrôle de leur exacte imputation comptable et celui de la production des justifications prévues par la réglementation, et, d'autre part, de surseoir au paiement des mandats au vu du caractère insuffisant des pièces justificatives fournies par l'ordonnateur ; que la circonstance qu'aucune anomalie manifeste du mandatement ne pouvait être relevée est sans incidence sur le contrôle ainsi exercé ; que, par suite, le ministre du budget n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre des finances et des comptes publics est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics, au parquet général près la Cour des comptes, à la commune de Bulgnéville, à M. D...B..., à M. A...F...et à Mme E...C....