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Ariane Web: Conseil d'État 373821, lecture du 30 décembre 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:373821.20151230
Decision n° 373821
Conseil d'État

N° 373821
ECLI:FR:CESSR:2015:373821.20151230
Inédit au recueil Lebon
1ère - 6ème SSR
M. Frédéric Puigserver, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du mercredi 30 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C...A...a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 décembre 2010 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa tentative de suicide du 11 juin 2007.

M. C...et Mme B...A...ont demandé à ce tribunal de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 25 000 et 15 000 euros ainsi que la somme de 15 000 euros à leurs enfants Antoine et Nicolas en réparation de leur préjudice moral.

Par un jugement nos 1001079, 1001086, 1001112, 1100917 du 11 janvier 2013, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 13DA00395 du 3 octobre 2013, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. A...contre le jugement du tribunal administratif d'Amiens.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 décembre 2013 et 10 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 3 octobre 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. A...;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., surveillant des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, affecté au centre de détention de Villenauxe-la-Grande de juillet 1990 à juin 2006, où il était en charge de la gestion du mess, a tenté de se suicider à son domicile le 11 juin 2007 après que sa gestion du mess eut été mise en cause par le directeur de ce centre de détention au cours d'entretiens qui ont eu lieu les 6, 7 et 11 juin 2007 ; que, par une décision du 24 décembre 2010 faisant suite à l'avis défavorable de la commission de réforme du 6 novembre 2007, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la tentative de suicide du 11 juin 2007 ; que M. A...se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Douai, confirmant le jugement du tribunal administratif d'Amiens, a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 24 décembre 2010 ainsi que la demande indemnitaire présentée conjointement avec son épouse ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions (...) / (...) si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite (...) " ; qu'il résulte de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 que l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est appréciée par l'administration, qui doit consulter la commission de réforme avant de refuser de reconnaître cette imputabilité ;

3. Considérant qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service ; qu'il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service ; qu'il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service ; qu'il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce ;

4. Considérant que la cour administrative d'appel de Douai a relevé que M. A... avait reconnu, au cours des entretiens des 6, 7 et 11 juin 2007 avec le directeur du centre de détention de Villenauxe-la-Grande, avoir crédité les cartes de fidélité de magasins de son épouse avec les achats du mess et avoir effectué des achats personnels ou au bénéfice de collègues par l'intermédiaire du mess ; qu'elle a déduit de cette seule circonstance que la tentative de suicide de M.A..., intervenue à son domicile, ne pouvait être regardée comme imputable au service, faute d'avoir eu pour " cause déterminante " des circonstances tenant au service ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en statuant ainsi, sans rechercher, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la tentative de suicide de M. A...présentait un lien direct avec le service, la cour a commis une erreur de droit ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 3 octobre 2013 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M.A....
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.