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Ariane Web: Conseil d'État 375404, lecture du 30 décembre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:375404.20151230

Décision n° 375404
30 décembre 2015
Conseil d'État

N° 375404
ECLI:FR:CESSR:2015:375404.20151230
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème SSR
M. Jacques Reiller, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du mercredi 30 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 12 février 2014 et les 20 février et 27 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SA Electricité de France (EDF) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du conseil régional de la Martinique du 28 juin 2013 relevant du domaine du règlement relative à la mise à disposition des données de consommation d'électricité pour la réalisation des diagnostics de performance énergétique en Martinique, la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette délibération et la décision explicite du 26 janvier 2015 confirmant ce rejet ;

2°) de mettre à la charge de la région de la Martinique la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 73 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi organique n° 2011- 883 du 27 juillet 2011 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la SA Electricité de France (EDF) ;



1. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 73 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République : " Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement " ; qu'aux termes de l'article L.O. 4435-9 du code général des collectivités territoriales : " Dans les conditions et sous les réserves prévues au présent chapitre, les conseils régionaux de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de Mayotte peuvent être habilités à fixer les règles applicables sur le territoire de leur région dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement, à l'exception de celles énumérées au quatrième alinéa de l'article 73 de la Constitution " ; qu'en vertu de l'article L.O. 4435-6 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2011-883 du 27 juillet 2011 et applicable, en vertu de l'article L.O. 4435-11 du même code, aux habilitations prévues par le troisième alinéa de l'article 73 susvisé de la Constitution, l'habilitation est accordée par la loi lorsqu'elle porte sur la fixation d'une règle relevant du domaine de la loi et vaut également, dans ce cas, habilitation à prendre les dispositions réglementaires d'application ; que le même article prévoit qu'elle est accordée par décret en Conseil d'Etat pour la seule fixation d'une règle relevant du domaine du règlement ;

2. Considérant que, sur le fondement de l'article L.O. 4435-9 du code général des collectivités territoriales, l'article 18 de la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution a habilité le conseil régional de la Martinique, pour une durée de deux ans, " à fixer les règles spécifiques à la Martinique en matière de maîtrise de la demande d'énergie, de réglementation thermique pour la construction de bâtiments et de développement des énergies renouvelables, dans les limites prévues dans sa délibération n° 11-287-1 du 15 mars 2011 " ; qu'en application de cette habilitation, le conseil régional de la Martinique a, par une délibération du 28 juin 2013, fixé des règles spécifiques à la Martinique en matière de mise à disposition des données de consommation d'électricité pour la réalisation des diagnostics de performance énergétique de Martinique (DPE-M) ; que la société EDF, en sa qualité de fournisseur d'énergie, demande l'annulation de cette délibération, de la décision implicite de rejet de son recours gracieux et de la décision explicite du 26 janvier 2015 confirmant ce rejet ;

Sur la légalité externe :

3. Considérant, en premier lieu, que la conformité à la Constitution de l'article 17 de la loi du 27 juillet 2011 cité au point 2 ci-dessus, qui habilite le conseil régional de la Martinique à fixer certaines règles spécifiques par voie réglementaire ne pourrait en tout état de cause être contestée que dans les conditions prévues par l'article 61-1 de la Constitution ; que le moyen tiré de ce que la délibération attaquée ne pouvait être prise que sur le fondement d'un décret en Conseil d'Etat doit ainsi être écarté ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L.O. 4435-7 du code général des collectivités territoriales, applicable, en vertu de l'article L.O. 4435-11 du code, aux habilitations prévues par le troisième alinéa de l'article 73 de la Constitution : " Les délibérations prises en application de l'habilitation (...) précisent les dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles dérogent " ; que, si une délibération prise sur habilitation accordée à une région d'outre-mer en application de l'article L.O. 4435-9 du code général des collectivités territoriales pour fixer des règles applicables sur son territoire dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement doit préciser, quand elle déroge à des dispositions législatives ou réglementaires, les textes auxquels elle déroge, le conseil régional, qui peut créer de nouvelles règles, n'est pas tenu, dans le cadre d'une telle habilitation, de déroger à des règles nationales ; que, par suite, la société EDF n'est pas fondée à soutenir que la délibération attaquée méconnaît, faute de mentionner les textes auxquels il serait dérogé, l'article L.O. 4435-7 du code général des collectivités territoriales ;

Sur la légalité interne :

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 5° du paragraphe I de l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978 : " I. - Sont mis en oeuvre après autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, à l'exclusion de ceux qui sont mentionnés aux articles 26 et 27 (...) : 5° Les traitements automatisés ayant pour objet : - l'interconnexion de fichiers relevant d'une ou de plusieurs personnes morales gérant un service public et dont les finalités correspondent à des intérêts publics différents ; - l'interconnexion de fichiers relevant d'autres personnes et dont les finalités principales sont différentes " ;

6. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, une interconnexion doit être regardée comme l'objet même d'un traitement qui permet d'accéder à des données collectées pour un autre traitement et enregistrées dans le fichier qui en est issu, de les exploiter et de les traiter automatiquement ; que la délibération attaquée se borne à prévoir la communication de certaines données transmises par le fournisseur d'énergie à des experts certifiés afin de réaliser un traitement en vue de diagnostics de performance énergétique ; qu'ainsi, si ce traitement, comme celui du fournisseur d'énergie, doit faire l'objet d'une déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la délibération litigieuse, qui n'a pas pour objet de créer une interconnexion de fichiers, n'avait pas à être soumise à une autorisation préalable de la Commission ;

7. Considérant, en second lieu, que l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 n'autorise la conservation de données collectées dans le cadre d'un traitement automatisé que " pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées " ; qu'il est constant que la délibération attaquée ne comporte pas de mention d'une durée de conservation des données à caractère personnel ; que, toutefois, cette délibération a pour seul objet d'obliger les fournisseurs d'énergie à mettre à la disposition des experts certifiés les données de consommation d'électricité pour la réalisation des diagnostics de performance énergétique en Martinique et non le traitement de ces données par ces experts ; qu'elle a été adoptée sans préjudice des obligations incombant aux responsables des traitements en application des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ; que le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait celle-ci au motif qu'elle ne fixe pas la durée de conservation des données à caractère personnel doit donc être écarté ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la délibération du 28 juin 2013 du conseil régional de la Martinique, de la décision implicite de rejet de son recours gracieux et de la décision explicite du 26 janvier 2015 confirmant ce rejet ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société EDF la somme de 3 000 euros à verser à la région Martinique au titre de ces dispositions ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société EDF est rejetée.
Article 2 : La société EDF versera à la région Martinique une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SA Electricité de France et à la région Martinique.
Copie en sera adressée pour information à la ministre des outre-mer.