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Ariane Web: Conseil d'État 374695, lecture du 3 février 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:374695.20160203

Décision n° 374695
3 février 2016
Conseil d'État

N° 374695
ECLI:FR:CESSR:2016:374695.20160203
Inédit au recueil Lebon
6ème - 1ère SSR
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
M. Xavier De Lesquen, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 3 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Sideville à leur verser la somme de 126 246,74 euros en réparation du préjudice que leur aurait causé la délivrance, le 23 octobre 2006, d'une autorisation de lotir illégale en tant qu'elle portait sur les lots nos 15, 16 et 17. Par un jugement n° 1100067 du 3 avril 2012, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune de Sideville à leur verser la somme de 1 674 euros et rejeté le surplus de leurs conclusions.

Par un arrêt n° 12NT01421 du 15 novembre 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur requête tendant, d'une part, à la réformation de ce jugement et, d'autre part, à la condamnation de la commune de Sideville à leur verser les sommes de 126 246,74 euros au titre du préjudice matériel et 2 000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêts.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 16 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sideville la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. et Mme A...et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la commune de Sideville ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par arrêté du 23 octobre 2006, le maire de Sideville (Manche) a délivré aux consorts A...une autorisation de lotir une vingtaine de lots sur un terrain qu'ils avaient acquis en 2004 ; que, par arrêtés des 2 et 7 avril 2009, le maire a refusé d'accorder des permis de construire pour les lots nos 15, 16 et 17 en raison de la proximité d'une exploitation agricole d'élevage de bovins ; que, par un jugement devenu définitif du 25 mars 2010, le tribunal administratif de Caen a rejeté les demandes des intéressés tendant à l'annulation de ces décisions de refus ; que M. et Mme A...ont recherché la responsabilité de la commune, aux fins de réparation des pertes de bénéfice, des dépenses qu'ils auraient inutilement exposées et de leur préjudice moral, sur le fondement de la faute qu'aurait commise la commune en leur accordant une autorisation de lotir concernant des terrains pour lesquels ils n'ont pu obtenir les permis de construire sollicités ; que, par un jugement du 3 avril 2012, le tribunal administratif de Caen, après avoir constaté que les lots nos 15 et 16 étaient inconstructibles et le lot n° 17 partiellement inconstructible, a jugé que la commune avait commis une faute, mais n'a accepté d'indemniser que les honoraires d'architecte afférents à la constitution des dossiers de demandes de permis de construire pour les deux parcelles inconstructibles, pour un montant de 1 674 euros ; que M. et Hme A...se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 15 novembre 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur requête tendant à la réformation du jugement du 3 avril 2012 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a refusé de faire droit à la totalité de leurs conclusions indemnitaires ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que les requérants ne pouvaient prétendre à l'indemnisation des frais de procédure exposés à l'occasion du litige relatif aux demandes d'annulation des refus de permis de construire portant sur les lots mentionnés ci-dessus, ayant donné lieu au jugement précité du 25 mars 2010 du tribunal administratif de Caen, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'en estimant que les requérants n'avaient pas assorti leurs conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé, la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine, qui est exempte de dénaturation et d'erreur de droit ;

4. Considérant, en troisième lieu, qu'en rejetant les conclusions des intéressés tendant à la réparation du préjudice résultant des frais exposés pour des clôtures autour des trois parcelles inconstructibles au motif que ces travaux étaient imposés par le règlement de l'association syndicale du lotissement et que ces frais ne présentaient ainsi pas de lien direct et certain avec la délivrance de l'autorisation de lotir irrégulière, la cour n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit ;

5. Considérant, en quatrième lieu, que, pour rejeter les conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte des bénéfices escomptés pour l'opération projetée, la cour s'est fondée sur le motif tiré de ce que la faute commise par l'administration n'avait pas de lien direct avec ce préjudice ; que la délivrance d'une autorisation de lotir n'emportant pas délivrance de permis de construire dans le périmètre du lotissement, le titulaire de cette autorisation ne peut se prévaloir d'aucun droit acquis à une utilisation à des fins de construction des parcelles en cause ; qu'il ne peut, en tout état de cause, prétendre à une indemnisation au titre de la privation des bénéfices d'une opération qui n'aurait pu légalement aboutir ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en écartant tout lien direct entre la faute commise et ce chef de préjudice ne peut être accueilli ;

6. Considérant, en cinquième lieu, que, pour estimer qu'il n'existait pas de lien direct entre l'autorisation de lotir délivrée pour le lot n° 17, qui demeure constructible pour moitié, et le préjudice résultant des frais engagés pour la constitution ultérieure du dossier de permis de construire sur cette parcelle, dont la délivrance a été refusée en raison de la proximité entre l'implantation projetée de l'habitation sur ce terrain et une exploitation agricole d'élevage de bovins avoisinante, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger que ce préjudice ne résultait que des règles relatives à la constructibilité dudit terrain ;

7. Considérant, en revanche, et en sixième lieu, que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent ...;

8. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêté attaqué que M. et Mme A... ont saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant au versement d'une indemnité globale de 126 246,74 euros en réparation de l'ensemble des conséquences dommageables qu'ils imputaient à l'autorisation de lotir leur ayant été illégalement délivrée ; que le tribunal administratif leur a alloué la somme de 1 674 euros, au titre des honoraires d'architecte correspondant à la constitution des dossiers de permis de construire afférents aux parcelles nos 15 et 16 ; qu'en formant appel de ce jugement, M. et Mme A...ont demandé à être indemnisés au titre de la taxe foncière due pour les parcelles nos 15, 16 et 17 pour les années 2007 à 2010, soit une somme totale de 3 122 euros ; qu'en rejetant ces conclusions comme irrecevables au motif qu'elle avaient été présentées pour la première fois en appel, alors qu'elles se rattachaient aux conséquences dommageables du même fait générateur que celui invoqué dans la demande de première instance et demeuraient dans la limite de l'indemnité globale chiffrée devant les premiers juges, la cour a méconnu, au prix d'une erreur de droit, les principes rappelés au point précédent ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent qu'en tant qu'il statue sur le chef de préjudice afférent à la taxe foncière due pour les parcelles nos 15, 16 et 17 au titre des années 2007 à 2010 ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

11. Considérant que les requérants demandent à être indemnisés au titre de la taxe foncière due pour les parcelles nos 15, 16 et 17 de 2007 à 2010 ; qu'il résulte toutefois de l'instruction qu'ils ont acquis les terrains concernés en 2004, soit près de deux ans avant la délivrance de l'autorisation de lotir du 23 octobre 2006 ; que, par suite, le préjudice dont ils se prévalent en qualité de propriétaires des terrains est sans lien direct avec la faute commise par l'administration ; que leurs conclusions tendant à sa réparation doivent être rejetées ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Sideville, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune au même titre ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 novembre 2013 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il statue sur le chef de préjudice relatif à la taxe foncière.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. et Mme A...devant la cour administrative d'appel de Nantes tendant à être indemnisés au titre de la taxe foncière sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme A...et les conclusions présentées par la commune de Sideville au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B...A...et à la commune de Sideville.


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