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Ariane Web: Conseil d'État 373664, lecture du 10 février 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:373664.20160210

Décision n° 373664
10 février 2016
Conseil d'État

N° 373664
ECLI:FR:CESSR:2016:373664.20160210
Inédit au recueil Lebon
8ème / 3ème SSR
Mme Emmanuelle Petitdemange, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public
BALAT ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du mercredi 10 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Générim a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à lui rembourser l'avance qu'elle lui avait versée en exécution d'une convention du 30 mai 1994, soit une somme de 255 704,55 euros, assortie des intérêts à compter de sa demande préalable du 27 septembre 2004. Par un jugement n° 0801074 du 13 mars 2012, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

La société Générim et la SCI du Vieux Port ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à les indemniser du préjudice résultant du retrait par la commune de la délibération du 30 mars 1998 qui avait retenu l'offre du groupement dont elles étaient membres, soit une somme de 5 795 358 euros, assortie des intérêts à compter de leur demande préalable du 25 avril 2008. Par un jugement n° 0804633 du 13 mars 2012, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n°s 12MA01883, 12MA01884 du 30 septembre 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ces jugements et rejeté les demandes présentées par la société Générim devant le tribunal administratif de Marseille.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 décembre 2013, les 28 février et 3 novembre 2014, la société Générim demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses requêtes et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus sur le montant des condamnations qui seront prononcées à l'encontre de la commune de Marseille ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'une somme de 35 euros correspondant à la contribution à l'aide juridique acquittée en application de l'article R. 761-1 de ce code.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de la société Générim et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la ville de Marseille ;




1. Considérant que, dans le cadre du programme de rénovation de son centre ville, la commune de Marseille a décidé de vendre des parcelles de son domaine privé à la SCI du Vieux Port en vue de la création d'un équipement hôtelier de prestige dans le quartier du Vieux Port ; qu'une convention prévoyant cette cession a été conclue entre les deux parties le 30 mai 1994 ; qu'en application de cette convention, la société Générim, qui assure la gérance de la SCI du Vieux Port, a versé à la commune de Marseille une avance de 975 000 francs (148 637,79 euros), correspondant à 5 % du montant de la vente ; que la cession ainsi prévue n'a toutefois pas abouti ; que, par délibération en date du 30 avril 1996, la commune de Marseille a décidé de lancer une nouvelle consultation en vue de réaliser l'opération envisagée ; que, par délibération du 30 mars 1998, le conseil municipal a retenu la proposition présentée par le groupement constitué par la société Générim et autorisé le maire de Marseille à engager des discussions avec ce groupement afin de préciser les caractéristiques du projet ; que cette délibération a cependant été rapportée par une délibération du 27 mars 2000 ; que la société Générim a demandé à la commune de Marseille, d'une part, de lui rembourser l'avance versée au titre de la convention du 30 mai 1994, d'autre part, de l'indemniser du préjudice résultant pour elle du retrait de la délibération du 30 mars 1998 ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Marseille, annulant les jugements du tribunal administratif de Marseille, a rejeté ces demandes ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 35 du décret du 27 février 2015 : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence " ;

3. Considérant que, sauf disposition législative contraire, le contrat par lequel une commune cède des biens immobiliers appartenant à son domaine privé est un contrat de droit privé, sauf s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, ou si ce contrat a pour objet l'exécution même du service public ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convention du 30 mai 1994, conclue dans le cadre du programme de modernisation et de valorisation de son centre ville défini par la commune de Marseille, avait pour objet la vente de terrains bâtis et non bâtis appartenant au domaine privé de la commune à une société privée, choisie sur concours, chargée de concevoir, construire et gérer un équipement hôtelier de prestige sur les parcelles acquises ; qu'eu égard aux clauses de cette convention stipulant, notamment, que la conclusion de la vente était subordonnée à l'engagement de la société, d'une part, d'édifier ou de faire édifier sur les parcelles en cause des constructions conformes au permis de construire qui lui avait été délivré en vue de la réalisation d'un programme hôtelier 4 étoiles luxes de 215 chambres à l'enseigne Hilton et de maintenir cette affectation pendant une durée de dix ans, d'autre part, en considération de ces obligations imposées par la commune et résultant du concours, de céder les parcelles concernées, dans un délai de six mois, à un acquéreur prenant l'obligation de réaliser et d'affecter l'immeuble " à l'usage d'un hôtel Hilton ", à défaut de quoi le vendeur pourrait demander la résolution de la vente, la question de savoir si cette convention constitue un contrat de droit privé ou un contrat administratif et si, en conséquence, les conclusions de la société Générim tendant au remboursement de l'avance versée à la commune de Marseille en exécution de cette convention relèvent ou non de la compétence de la juridiction administrative soulève une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du 27 février 2015 ; que, par suite, il y a lieu de renvoyer cette question au Tribunal des conflits et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société Générim jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si les conclusions de la société Générim tendant au remboursement de l'avance versée à la commune de Marseille en exécution de la convention du 30 mai 1994 relèvent ou non de la compétence de la juridiction administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Générim et à la commune de Marseille.