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Ariane Web: Conseil d'État 367901, lecture du 22 février 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:367901.20160222

Décision n° 367901
22 février 2016
Conseil d'État

N° 367901
ECLI:FR:CESSR:2016:367901.20160222
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 1ère SSR
M. Guillaume Déderen, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT ; SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du lundi 22 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Entreprise routière du grand sud (ERGS) et la société d'aménagement de Piossane III ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 octobre 2009 par laquelle le maire de Verfeil a rejeté leur demande d'abrogation de la délibération du 25 mars 2009 du conseil municipal de cette commune approuvant la modification du plan local d'urbanisme. L'association Collectif de riverains Verfeil-Girou, la commune de Saint-Marcel-Paulel et M. B...ont demandé au même tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 3 août 2007 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a autorisé la société ERGS à exploiter une centrale d'enrobage sur le territoire de cette commune.

Par un jugement n° 0705491, 0800195, 0905691, 0905692 du 28 juillet 2011, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de la société ERGS et de la société d'aménagement de Piossane III et annulé l'arrêté du 3 août 2007.

Par un arrêt n° 11BX02721, 11BX03158 du 19 février 2013, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les requêtes de la société Entreprise routière du grand sud et de la société d'aménagement de Piossane III tendant à l'annulation et au sursis à exécution de ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 19 avril et 15 juillet 2013, la société Entreprise routière du grand sud et la société d'aménagement de Piossane III demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Verfeil et de l'association Collectif de riverains Verfeil-Girou la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Déderen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Entreprise routière du grand sud, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la commune de Verfeil et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'association Collectif de riverains Verfeil-Girou ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 février 2016, présentée par l'association Collectif de riverains Verfeil-Girou.



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 3 août 2007, le préfet de la Haute-Garonne a autorisé la société Entreprise routière du grand sud (ERGS) à exploiter une centrale d'enrobage à chaud et une installation de recyclage de déblais de terrassement sur le territoire de la commune de Verfeil, au sein d'une zone d'activités réalisée par la société d'aménagement de Piossane III et dans laquelle était autorisée, selon le plan local d'urbanisme alors en vigueur, l'implantation d'installations classées pour la protection de l'environnement ; que par une délibération du 25 mars 2009, le conseil municipal de Verfeil a approuvé une modification du plan local d'urbanisme interdisant, dans le secteur où est situé le projet litigieux, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation et toute installation connexe ; que, par un jugement du 28 juillet 2011, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de ces deux sociétés tendant à l'annulation de la décision du 22 octobre 2009 par laquelle le maire de Verfeil a refusé de donner suite à leur demande d'abrogation de la délibération du 25 mars 2009 ; que, par un arrêt du 19 février 2013, contre lequel ces sociétés se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leurs requêtes tendant à l'annulation et au sursis à l'exécution de ce jugement ;

2. Considérant que la société Enrobés Midi-Pyrénées, qui a repris l'activité concernée, et la société DDR, dont la société Enrobés Midi-Pyrénées et la société ERGS sont des filiales, justifient, eu égard à la nature et à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'elles sont, par suite, recevables à intervenir au soutien du pourvoi ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

3. Considérant que le moyen tiré de ce que tous les mémoires n'auraient pas été visés, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, manque en fait ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne le refus d'abrogation de la délibération du 25 mars 2009 modifiant le plan local d'urbanisme :

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales : " Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires " ; que, devant la cour, les sociétés requérantes ont fait valoir que la délibération litigieuse avait été adoptée en méconnaissance de ces dispositions, dès lors que deux conseillers municipaux, anciens membres d'un collectif de riverains opposés à la présence de la centrale d'enrobage dans la zone d'activités de Piossane III, avaient participé au vote et que la délibération avait eu précisément pour objet de modifier le règlement du plan local d'urbanisme pour interdire, dans le secteur concerné, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation ; que, pour écarter ce moyen, la cour a jugé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces personnes auraient influencé le conseil municipal pour des motifs d'intérêt personnel ; que c'est sans erreur de droit que la cour a implicitement mais nécessairement jugé que les dispositions de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales n'interdisaient pas, par principe, à des conseillers municipaux membres d'une association d'opinion opposée à l'implantation de certaines activités sur le territoire de la commune de délibérer sur une modification du plan local d'urbanisme ayant pour objet de restreindre ces activités ; qu'en retenant qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces personnes auraient influencé le conseil municipal pour des motifs d'intérêt personnel, pour en déduire que les dispositions de l'article L. 2131-11 n'avaient pas, en l'espèce, été méconnues, la cour n'a entaché son arrêt d'aucune dénaturation ou erreur de qualification juridique ;

5. Considérant, en deuxième lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 110 du code de l'urbanisme : " (...) Afin d'aménager le cadre de vie, d'assurer sans discrimination aux populations résidentes et futures des conditions d'habitat, d'emploi, de services et de transports répondant à la diversité de ses besoins et de ses ressources, de gérer le sol de façon économe, d'assurer la protection des milieux naturels et des paysages ainsi que la sécurité et la salubrité publiques et de promouvoir l'équilibre entre les populations résidant dans les zones urbaines et rurales et de rationaliser la demande de déplacements, les collectivités publiques harmonisent, dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d'utilisation de l'espace (...) " ; d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 121-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) Les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales déterminent les conditions permettant d'assurer : / 1° L'équilibre entre le renouvellement urbain, un développement urbain maîtrisé, le développement de l'espace rural, d'une part, et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des espaces naturels et des paysages, d'autre part, en respectant les objectifs du développement durable ; / 2° La diversité des fonctions urbaines et la mixité sociale dans l'habitat urbain et dans l'habitat rural, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs en matière d'habitat, d'activités économiques, notamment commerciales, d'activités sportives ou culturelles et d'intérêt général ainsi que d'équipements publics, en tenant compte en particulier de l'équilibre entre emploi et habitat ainsi que des moyens de transport et de la gestion des eaux ; / 3° Une utilisation économe et équilibrée des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux, la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile, la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des écosystèmes, des espaces verts, des milieux, sites et paysages naturels ou urbains, la réduction des nuisances sonores, la sauvegarde des ensembles urbains remarquables et du patrimoine bâti, la prévention des risques naturels prévisibles, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature " ; qu'il appartient aux auteurs d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction ; qu'ils peuvent être amenés, à cet effet, à modifier le zonage ou les activités autorisées dans une zone déterminée, pour les motifs énoncés par les dispositions citées ci-dessus ; que leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu'au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ;

6. Considérant que, pour écarter le moyen tiré de ce que l'interdiction dans les zones Uf et Auf du plan local d'urbanisme de certaines installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation n'était pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard notamment de considérations de sécurité et de salubrité publiques, de diversité des fonctions urbaines et de développement urbain maîtrisé, la cour a notamment relevé que ces zones, situées à proximité d'habitations, étaient enserrées dans un tissu urbain susceptible de se densifier et qu'elles accueillaient déjà plusieurs activités polluantes, qui étaient source de nuisances pour les riverains ; qu'en statuant ainsi, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'en jugeant qu'était inopérant à l'encontre de la délibération litigieuse le moyen tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de non rétroactivité des actes administratifs, ainsi que du droit au procès équitable garanti par le premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'en écartant le moyen tiré du détournement de pouvoir dont aurait été entachée la délibération du 25 mars 2009, aux motifs qu'elle était justifiée par des motifs d'urbanisme et répondait ainsi à des considérations d'intérêt général, la cour a, sans entacher son arrêt d'une erreur de droit, porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent, en tant qu'il statue sur la légalité du refus d'abrogation de la délibération du 25 mars 2009 modifiant le plan local d'urbanisme ;

En ce qui concerne l'arrêté du 3 août 2007 autorisant la société ERGS à exploiter une installation classée :

10. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Le règlement et les documents graphiques du plan local d'urbanisme sont opposables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions (...), pour la création de lotissements et l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan " ; que le juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement, eu égard à son office, fait en principe application du plan local d'urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle il statue ; qu'il résulte toutefois des dispositions précitées de l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme que le plan local d'urbanisme est opposable aux seules autorisations d'ouverture d'installations classées accordées postérieurement à l'adoption du plan ; qu'il résulte de l'intention du législateur que lorsque, postérieurement à la délivrance d'une autorisation d'ouverture, les prescriptions du plan évoluent dans un sens défavorable au projet, elles ne sont pas opposables à l'arrêté autorisant l'exploitation de l'installation classée ; qu'il en résulte qu'en faisant application de la délibération du 25 mars 2009, qui était postérieure à l'autorisation accordée à la société ERGS et avait pour effet d'interdire l'installation en cause, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi relatifs à cette partie de l'arrêt attaqué, les sociétés requérantes sont fondées à demander l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a statué sur la légalité de l'arrêté du 3 août 2007 autorisant l'exploitation de l'installation litigieuse ;

11. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la société DDR et de la société Enrobés Midi-Pyrénées sont admises.

Article 2 : L'arrêt du 19 février 2013 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il a statué sur la légalité de l'arrêté du 3 août 2007 autorisant la société ERGS à exploiter une centrale d'enrobage à chaud et une installation de recyclage de déblais de terrassement.

Article 3 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Entreprise routière du grand sud, à la société d'aménagement de Piossane III, à la commune de Verfeil, à l'association " Collectif de riverains de Verfeil-Girou ", à la société Enrobés Midi-Pyrénées et à la société DDR.
Copie en sera adressée à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, à la commune de Saint-Marcel-Paulel et à M. A...B....


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