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Ariane Web: Conseil d'État 395126, lecture du 24 février 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:395126.20160224

Décision n° 395126
24 février 2016
Conseil d'État

N° 395126
ECLI:FR:CESSR:2016:395126.20160224
Inédit au recueil Lebon
10ème / 9ème SSR
Mme Pauline Jolivet, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 24 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés le 9 décembre 2015 et le 15 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande tendant à l'abrogation des articles R. 57-8-8, R. 57-8-9, R. 57-8-15, R. 57-8-21, D. 47-19, D. 57, D. 298 et D. 507 du code de procédure pénale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 35 et 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire et 145-4 et 715 du code de procédure pénale.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Jolivet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que les articles 35 et 39 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, d'une part, les articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale, d'autre part, sont applicables au présent litige en ce qu'ils sont relatifs aux permis de visite, aux autorisations de téléphoner et aux translations judiciaires ; que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 715 du code de procédure pénale : " Le juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction et le président de la cour d'assises, ainsi que le procureur de la République et le procureur général, peuvent donner tous les ordres nécessaires soit pour l'instruction, soit pour le jugement, qui devront être exécutés dans les maisons d'arrêt. " ; que ces dispositions fondent notamment la compétence du procureur de la République ou du procureur général pour requérir la translation d'un détenu ou statuer sur les demandes de permis de visite ou sur les autorisations de téléphoner présentées par un prévenu lorsqu'il est maintenu en détention provisoire après la clôture de l'information et dans l'attente de son jugement définitif ; que le moyen tiré de ce que les dispositions de cet article, ainsi que celles des articles 35 et 39 de la loi du 24 novembre 2009 qui encadrent les conditions dans lesquelles la personne détenue peut recevoir des visites ou être autorisée à téléphoner, en ce qu'elles méconnaissent la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution et que, ce faisant, elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 145-4 du code de procédure pénale : " (...) / Sous réserve des dispositions qui précèdent, toute personne placée en détention provisoire peut, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention. / A l'expiration d'un délai d'un mois à compter du placement en détention provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction. / Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai au demandeur. Ce dernier peut la déférer au président de la chambre de l'instruction qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. Lorsqu'il infirme la décision du juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction délivre le permis de visite. " ; que le moyen tiré de ce que les dispositions contestées ne permettent pas l'exercice de la voie de recours prévue au dernier alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale en cas de défaut de réponse du juge d'instruction aux demandes de permis de visite qui lui sont adressées et, qu'en cela, le législateur n'aurait pas exercé pleinement la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution, soulève une question présentant un caractère sérieux ;

5. Considérant qu'il résulte ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des articles 35 et 39 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire et des articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale ;



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale, 35 et 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présence décision sera notifiée à la section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.


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