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Ariane Web: Conseil d'État 380267, lecture du 16 mars 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:380267.20160316

Décision n° 380267
16 mars 2016
Conseil d'État

N° 380267
ECLI:FR:CESSR:2016:380267.20160316
Inédit au recueil Lebon
5ème - 4ème SSR
Mme Manon Perrière, rapporteur
Mme Laurence Marion, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 16 mars 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 380267, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 13 mai 2014 et le 22 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs (ANPIPHM) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-337 du 14 mars 2014 relatif à l'accessibilité des logements destinés à l'occupation temporaire ou saisonnière dont la gestion et l'entretien sont organisés et assurés de façon permanente ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 380268, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 13 mai 2014 et le 22 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 mars 2014 modifiant l'arrêté du 1er août 2006 pour exclure de son champ d'application les logements à occupation temporaire ou saisonnière ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


3° Sous le numéro 380269, par une requête et un mémoire en réplique, enregistré le 13 mai 2014 et le 22 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 mars 2014 fixant les dispositions relatives à l'accessibilité des logements destinés à l'occupation temporaire ou saisonnière dont la gestion et l'entretien sont organisés et assurés de façon permanente ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation, modifié notamment par la loi n° 2011-901 du 28 juillet 2011 ;

- l'arrêté du 1er août 2006 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19 à R. 111-19-3 et R. 111-19-6 du code de la construction et de l'habitation relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public lors de leur construction ou de leur création ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Perrière, auditeur,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat du ministre du logement et de l'habitat durable ;



1. Considérant qu'aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 111-7-1 du code la construction et de l'habitation, issus de l'article 20 de la loi du 28 juillet 2011 tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap : " Pour les logements destinés à l'occupation temporaire ou saisonnière dont la gestion et l'entretien sont organisés et assurés de façon permanente, un décret en Conseil d'Etat, pris après avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées, fixe les exigences relatives à l'accessibilité prévues à l'article L. 111-7 et aux prestations que ceux-ci doivent fournir aux personnes handicapées. / Ces mesures sont soumises à l'accord du représentant de l'Etat dans le département après avis de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité " ; que le décret du 14 mars 2014 pris pour l'application de ces dispositions, qui modifie les articles R. 111-8-2 et R. 111-8-6 du même code, prévoit que les logements ainsi définis doivent respecter, d'une part, des caractéristiques communes garantissant qu'ils puissent être visités par une personne handicapée et, d'autre part, des caractéristiques spécifiques, applicables à un pourcentage de ces logements, permettant à une personne handicapée d'y accéder et de les utiliser sans travaux supplémentaires, en renvoyant la définition de l'ensemble de ces caractéristiques à un arrêté du ministre chargé de la construction ; que sont intervenus sur ce fondement deux arrêtés du 14 mars 2014, le premier modifiant l'arrêté du 1er août 2006 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-18 à R. 111-18-7 du code de la construction et de l'habitation relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d'habitation collectifs et des maisons individuelles lors de leur construction, afin d'exclure de son champ d'application les logements à occupation temporaire ou saisonnière, le second déterminant les caractéristiques permettant la visite par les personnes handicapées de ces logements et l'accès immédiat et sans travaux des personnes handicapées à une partie d'entre eux ; que l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret et des deux arrêtés du 14 mars 2014 ; qu'il y a lieu de joindre ses requêtes pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 380267 :

2. Considérant que l'association requérante soutient que les dispositions de l'article L. 111-7-1 du code la construction et de l'habitation habilitent seulement le pouvoir réglementaire à déterminer un pourcentage de logements destinés à une occupation touristique ou saisonnière qui doivent être effectivement accessibles et à renvoyer, pour ces logements, aux dispositions de droit commun sur l'accessibilité qui figurent à l'arrêté du 1er août 2006 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19 à R. 111-19-3 et R. 111-19-6 du code de la construction et de l'habitation relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public lors de leur construction ou de leur création ; que, toutefois, ces dispositions législatives, qui prévoient que les exigences relatives à l'accessibilité et les prestations que les logements destinés à une occupation temporaire ou saisonnière doivent fournir aux personnes handicapées sont fixées par décret en Conseil d'Etat, n'obligent pas le pouvoir réglementaire à fixer ces exigences en renvoyant aux dispositions règlementaires déjà en vigueur sur l'accessibilité ; que ce moyen doit donc être écarté ;

3. Considérant que l'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes ne puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation ; qu'en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de sécurité juridique et au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ; que si le décret attaqué prévoit que ses dispositions sont applicables aux constructions ayant bénéficié d'une autorisation avant la date de son entrée en vigueur mais pour lesquelles les travaux n'ont pas encore débuté à cette date, une telle circonstance n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité au regard du principe de non-rétroactivité des actes administratifs dès lors que les nouvelles normes qu'il prévoit sont plus favorables aux personnes détentrices d'une autorisation de construire ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, les personnes handicapées ne tenaient des autorisations de construire délivrées à des tiers antérieurement à l'entrée en vigueur du décret attaqué aucun droit au maintien de la réglementation applicable à ces constructions ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête dirigée contre le décret du 14 mars 2014 doit être rejetée ;

Sur la requête n° 380268 :

5. Considérant que l'arrêté attaqué modifie l'arrêté du 1er août 2006 mentionné ci-dessus afin d'exclure de son champ d'application les logements à occupation temporaire ou saisonnière ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu les termes de l'article L. 111-7-1 du code de la construction et de l'habitation en ne renvoyant pas aux dispositions de cet arrêté pour définir les normes techniques d'accessibilité auxquelles ces logements doivent satisfaire doit être écarté ;

6. Considérant que l'arrêté attaqué prévoit que ses dispositions s'appliquent aux constructions pour lesquelles les travaux n'ont pas encore débuté à la date de son entrée en vigueur, et non aux projets de constructions pour lesquels une demande de permis de construire sera déposée après cette date ; qu'il résulte de ce qu'il a été dit au point 4 que le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait le principe de non-rétroactivité des actes administratifs doit être écarté ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête dirigée contre l'arrêté du 14 mars 2014 modifiant l'arrêté du 1er août 2006 doit être rejetée ;

Sur la requête n° 380269 :

8. Considérant que l'article 1er et l'article 2 du décret du 14 mars 2014 prévoient que le ministre chargé de la construction détermine par arrêté les conditions d'application de ces articles, " notamment les caractéristiques, équipements et prestations prévus par [ceux-ci] et les modalités de calcul du pourcentage de logements devant présenter des caractéristiques supplémentaires " ; que l'arrêté attaqué, qui détermine les caractéristiques techniques que doivent respecter les logements à occupation temporaire ou saisonnière pour qu'ils puissent être visités ou occupés par des personnes handicapées, précise en ses articles 3 et 5 que " des dispositions d'effet équivalent peuvent être mises en oeuvre dès lors que celles-ci satisfont aux mêmes objectifs " ; que la faculté ainsi ouverte a notamment pour objet de permettre aux maîtres d'ouvrage concernés d'utiliser des innovations technologiques, pour atteindre les mêmes objectifs et sans qu'il soit porté atteinte au principe d'accessibilité ; que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait l'article L. 111-7-1 du code de la construction et de l'habitation en prévoyant la possibilité de mettre en oeuvre des dispositions d'effet équivalent doit être écarté ;

9. Considérant que si l'association requérante soutient que les largeurs minimales de porte définies à l'article 3 de l'arrêté attaqué ne permettent pas aux personnes circulant en fauteuil roulant d'accéder par des portes latérales aux pièces de l'unité de vie, il résulte de leurs termes mêmes que les dispositions de cet article sont destinées à permettre la simple visite des logements par les personnes handicapées, alors que les caractéristiques des logements destinés à être occupés par des personnes handicapées sont définies à l'article 5 du même arrêté, qui prévoit que, dans ces logements, " une personne dont le fauteuil roulant présente des caractéristiques dimensionnelles définies à l'annexe I peut : / - passer dans toutes les circulations intérieures du logement conduisant à l'ensemble des pièces de l'unité de vie ; / - pénétrer dans toutes ces pièces " ; que par suite, le moyen tiré de ce que les dimensions des portes retenues par l'arrêté attaqué méconnaîtraient l'exigence d'accessibilité doit être écarté ;

10. Considérant que l'arrêté attaqué renvoie, s'agissant des dimensions des sas d'isolement que doivent comporter les immeubles de logements à occupation temporaire ou saisonnière, aux normes d'accessibilité fixées pour l'ensemble des bâtiments d'habitation par l'arrêté du 1er août 2006 en son article 8 et son annexe 2, laquelle prévoit que l'intérieur de ces sas doit comporter, devant chaque porte, un espace de manoeuvre de porte de dimensions d'au minimum 1,20 m x 2,20 m ; que l'association requérante soutient que ces dimensions sont insuffisantes pour permettre à une personne circulant en fauteuil roulant d'effectuer un demi-tour à l'intérieur d'un sas d'isolement ; qu'il ressort des pièces du dossier que, si les sas d'isolement ont pour fonction principale d'empêcher la propagation des flammes en cas d'incendie et de permettre aux personnes d'y rester confinées en attendant l'arrivée des secours, il ne peut être exclu que les personnes confinées dans ces sas aient besoin d'effectuer un demi-tour pour en ressortir en urgence ; qu'il est constant que les dimensions prévues pour ces sas par les dispositions de l'annexe 2 de l'arrêté du 1er août 2006 ne permettent pas à une personne circulant en fauteuil roulant d'y effectuer un demi-tour ; qu'ainsi, l'arrêté attaqué est entaché d'erreur d'appréciation en ce que, en renvoyant aux normes de l'arrêté du 1er août 2006 pour les rendre applicables aux sas d'isolement situés dans les immeubles de logements à occupation temporaire ou saisonnière, il prévoit des dimensions minimales de 1,20 m x 2, 20 m seulement, lesquelles ne permettent pas de garantir une accessibilité conforme aux exigences de la loi ;

11. Considérant que l'arrêté attaqué prévoit que ses dispositions s'appliquent aux constructions pour lesquelles les travaux n'ont pas encore débuté à la date de son entrée en vigueur et non aux projets de constructions pour lesquels une demande de permis de construire sera déposée après cette date ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait le principe de non-rétroactivité des actes règlementaires doit être écarté ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant seulement qu'il renvoie, pour la définition des dimensions des sas d'isolement que doivent comporter les immeubles de logements à occupation temporaire ou saisonnière, aux dispositions de l'annexe 2 de l'arrêté du 1er août 2006 ; qu'il n'y a pas lieu de différer l'effet de cette annulation ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'association requérante et par le ministre au titre de ces dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 14 mars 2014 fixant les dispositions relatives à l'accessibilité des logements destinés à l'occupation temporaire ou saisonnière dont la gestion et l'entretien sont organisés et assurés de façon permanente est annulé en tant qu'il renvoie, pour la définition des dimensions des sas d'isolement que doivent comporter les immeubles qu'il vise, aux dispositions de l'annexe 2 de l'arrêté du 1er août 2006 fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19 à R. 111-19-3 et R. 111-19-6 du code de la construction et de l'habitation relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public lors de leur construction ou de leur création.

Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 3 : Les conclusions du ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4: La présente décision sera notifiée à l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, au Premier ministre et à la ministre du logement et de l'habitat durable.