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Ariane Web: Conseil d'État 396191, lecture du 4 avril 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:396191.20160404

Décision n° 396191
4 avril 2016
Conseil d'État

N° 396191
ECLI:FR:CECHR:2016:396191.20160404
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Charline Nicolas, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats


Lecture du lundi 4 avril 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Caraïbes Développement a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation d'une convention provisoire pour la gestion du service public de la fourrière de véhicules de Mangot Vulcin engagée par la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, puis, après avoir été informée de sa signature, d'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code, la convention conclue le 9 novembre 2015 entre la communauté d'agglomération et la société Depann Express.

Par une ordonnance n° 1500589 du 1er décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a, en premier lieu, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Caraïbes Développement tendant à l'annulation de la procédure de passation de la convention litigeuse et a, en second lieu, annulé la convention du 9 novembre 2015.

Par un pourvoi, enregistré le 18 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération du centre de la Martinique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle annule la convention du 9 novembre 2015 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Caraïbes Développement ;

3°) de mettre à la charge de la société Caraïbes Développement la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charline Nicolas, auditeur,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de la société communauté d'agglomération du centre de la Martinique et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Caraïbes Développement ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 551-14 du même code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local " ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 551-18 du même code, le juge du référé contractuel " prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsqu'ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat. (...) " ; que si l'article L. 1411-12 prévoit que les dispositions de l'article L. 1411-1 ne s'appliquent pas aux délégations inférieures à certains montants, il les soumet également à une publicité préalable ; que les articles R. 1411-1 et R. 1411-2 du même code, pris pour application des articles L. 1411-1 et L. 1411-12, qui fixent les modalités de cette publicité, ne sont assortis d'aucune dérogation ; que, toutefois, en cas d'urgence résultant de l'impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l'assurer elle-même, elle peut, lorsque l'exige un motif d'intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en oeuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation du service, ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique que, le 9 avril 2008, la communauté d'agglomération du centre de la Martinique (CACEM) a conclu avec la société Clichy Dépannage une convention de délégation de service public portant sur la gestion et l'exploitation de la fourrière de véhicules de Mangot Vulcin, convention reprise en 2011 par la société Caraïbes Développement ; que son terme était fixé au 31 août 2015 ; que, par une délibération du 22 juillet 2015, la CACEM a décidé de prolonger la délégation de service public jusqu'au 30 avril 2016 pour un motif d'intérêt général, tiré de ce qu'il était envisagé de procéder au transfert à l'Etat de la compétence en matière de fourrière des véhicules ; que la société Caraïbes Développement a signé, le 31 août 2015, l'avenant portant prolongation de la convention, en y ajoutant deux clauses suspensives ; que le préfet de la région de la Martinique ayant estimé, dans l'exercice de son contrôle de légalité, que ces deux clauses présentaient un caractère abusif et illégal, la CACEM a, par une délibération du 3 novembre 2015, " retiré " l'avenant et engagé une consultation avec plusieurs entreprises, dont la société Caraïbes Développement, afin de conclure une " convention provisoire pour la gestion du service public de fourrière " ; que la société Caraïbes Développement a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de la Martinique, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à l'annulation de la procédure de passation du nouveau contrat ; qu'ayant appris au cours de l'instance que ce contrat avait été signé par la CACEM avec la société Depann Express le 9 novembre 2015, elle a demandé au juge du référé contractuel du même tribunal de l'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-13 du même code ; que, par l'ordonnance attaquée, celui-ci, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la procédure de passation, a fait droit aux conclusions tendant à l'annulation du contrat, au motif que la CACEM n'avait mis en oeuvre aucune mesure de publicité, sans que l'urgence invoquée ne justifie, dans les circonstances de l'espèce, une telle dispense ;

4. Considérant, en premier lieu, que, pour soutenir qu'elle était placée dans une situation d'urgence, la CACEM invoquait la circonstance qu'elle avait été tenue de " retirer ", au mois de novembre 2015, l'avenant prolongeant la convention antérieure et que celle-ci devait donc être regardée comme ayant pris fin le 31 août 2015 ; que, pour écarter ce moyen, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, après avoir constaté que la CACEM n'avait pas accepté les clauses suspensives introduites par la société Caraïbes Développement dans l'avenant, a toutefois relevé que la société y avait renoncé dès le 8 octobre 2015, que le préfet lui-même avait estimé que, ces clauses mises à part, la prolongation de la délégation ne soulevait aucune observation et que la décision de " retrait " intervenue le 3 novembre 2015 devait s'analyser en une résiliation, d'ailleurs notifiée au délégataire postérieurement à la conclusion du nouveau contrat ; qu'en déduisant de ces éléments, au terme d'une appréciation des pièces du dossier qui n'est pas entachée de dénaturation, que le service public de la fourrière pouvait continuer d'être exécuté par la société Caraïbes Développement dans le cadre de la prolongation de la délégation conclue le 9 avril 2008, et donc que l'urgence ne justifiait pas que la CACEM conclue une nouvelle convention, même provisoire, sans publicité ni mise en concurrence, le juge des référés n'a entaché son ordonnance, qui est suffisamment motivée, ni de contradiction de motifs, ni d'erreur de droit ;

5. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-18 du code de justice administrative que l'annulation d'un contrat dans le cadre d'un référé contractuel, lorsqu'elle est prononcée pour l'un des motifs mentionnés au premier ou au deuxième alinéa de cet article, et notamment, s'agissant d'une délégation de service public, pour absence totale de publicité, n'est pas subordonnée, contrairement aux hypothèses prévues au troisième alinéa, à la condition que le manquement ait affecté les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la CACEM, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit, ni méconnu son office en ne recherchant pas si la société Caraïbes Développement était susceptible d'avoir été lésée par l'absence de publicité préalable à la conclusion de la convention conclue avec la société Depann Express ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la CACEM doit être rejeté ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Caraïbes Développement, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la CACEM le versement à la société Caraïbes Développement de la somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la CACEM est rejeté.
Article 2 : La CACEM versera à la société Caraïbes Développement la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, à la société Caraïbes Développement et à la société Depann Express.


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