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Ariane Web: Conseil d'État 394199, lecture du 15 avril 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:394199.20160415

Décision n° 394199
15 avril 2016
Conseil d'État

N° 394199
ECLI:FR:CECHR:2016:394199.20160415
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Paul Bernard, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats


Lecture du vendredi 15 avril 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision n° D. 2015-42 du 10 septembre 2015, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a prononcé à l'encontre de M. A...C...l'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées, a précisé les modalités de décompte de cette durée au regard des périodes de suspension et d'interdiction échues, a annulé l'ordonnance de rétractation du 7 avril 2015 du président de l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la Fédération et a réformé la décision du 5 février 2015 de cet organe disciplinaire en ce qu'elle avait de contraire à sa propre décision.

Par une requête et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 22 octobre et 13 novembre 2015, 5 février et 22 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 232-24 du code du sport :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'AFLD une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M.C..., et à la SCP Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 mars 2016, présentée par l'Agence française de lutte contre le dopage ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 mars 2016, présentée par M. C...;




1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.C..., licencié au sein du club " Force Longjumeau Alliance Judo Massy 91 ", a été médaillé à plusieurs reprises lors de championnats nationaux et internationaux de judo ; qu'en sa qualité de judoka de haut niveau, il a été inscrit par l'Agence française de lutte contre le dopage dans le " groupe cible " des sportifs tenus, en application de l'article L. 232-15 du code du sport, de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation, afin de permettre la réalisation par l'Agence de contrôles en dehors des manifestations sportives et des périodes d'entraînement, ainsi que le prévoient les dispositions de l'article L. 232-5 de ce code ; qu'à trois reprises, les 18 septembre 2013, 24 juin et 21 août 2014, l'absence de M. C...au lieu et durant le créneau horaire qu'il avait indiqués a empêché les préleveurs missionnés par l'Agence de pratiquer des contrôles individualisés ; qu'à la suite du constat de chacune de ces absences, un avertissement a été notifié à l'intéressé par lettre recommandée avec avis de réception ; que le courrier du 22 octobre 2014 relatif à la troisième absence, notifié à M. C...le 30 octobre 2014, rappelait en outre que, selon les dispositions alors en vigueur, la notification de trois avertissements pendant une période de dix-huit mois consécutifs faisait présumer la constitution d'un manquement aux règles antidopage passible, en application des dispositions de l'article L. 232-17 du code du sport, des sanctions administratives prévues par les articles L. 232-21 à L. 232-23 du même code ; qu'en application de l'article 13 de la délibération n° 54 rectifiée des 12 juillet et 18 octobre 2007 de son collège, l'Agence française de lutte contre le dopage a transmis le dossier à la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées par un courrier reçu par cette dernière le 5 décembre 2014 ; que, par une décision du 5 février 2015, l'organe disciplinaire de première instance de la Fédération a prononcé à l'encontre de M. C... une mesure de suspension de compétition d'une durée de dix mois prenant effet à compter du 22 octobre 2014, date à laquelle il avait été suspendu dans l'attente des poursuites disciplinaires ; que, toutefois, par une décision du 18 mars 2015, le collège de l'Agence française de lutte contre le dopage a décidé de se saisir à nouveau du dossier, sur le fondement du pouvoir de réformation que lui confèrent les dispositions du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport ; que si, par une " ordonnance de rétractation " du 7 avril 2015, le président de l'organe disciplinaire de première instance a, à la demande de M.C..., " retiré " la décision prise le 5 février 2015 par l'organe disciplinaire de première instance de la fédération, le collège de l'Agence française de lutte contre le dopage a, par une décision du 23 avril 2015, postérieure à l'intervention de cette ordonnance, confirmé qu'il se saisissait du dossier sur le fondement des dispositions précitées ; qu'enfin, statuant en matière disciplinaire, le collège a, par une décision du 10 septembre 2015, prononcé à l'encontre de M. C...la sanction d'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées, en déduisant de cette sanction les périodes déjà purgées en application, d'une part, de la sanction de suspension provisoire prononcée le 11 décembre 2014 et, d'autre part, de la sanction prise à son encontre le 5 février 2015 par la fédération, annulé l'ordonnance du 7 avril 2015 du président de l'organe disciplinaire de première instance de la fédération et réformé la décision de la fédération du 5 février 2015 ; que M. C...demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision ; que, par une ordonnance du 24 novembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat a suspendu l'exécution de cette décision ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article L. 232-21 du code du sport, dans sa rédaction alors en vigueur, toute personne qui a contrevenu aux dispositions des articles L. 232-9, L. 232-10 et L. 232-17 de ce code encourt des sanctions disciplinaires, ces sanctions étant prononcées par l'organe disciplinaire de première instance de la fédération sportive concernée dans un délai de dix semaines à compter de la date à laquelle l'infraction a été constatée ; que, faute d'avoir statué dans ce délai, l'organe disciplinaire de première instance est dessaisi de l'ensemble du dossier, lequel est alors transmis à l'instance disciplinaire d'appel qui rend, dans tous les cas, sa décision dans un délai maximum de quatre mois à compter de la même date ; que, pour la mise en oeuvre de cette procédure, les fédérations se dotent d'un règlement conforme au règlement type prévu aux dispositions de l'article R. 232-86 du code du sport et figurant à l'annexe II-2 de ce code ; qu'en vertu de l'article L. 232-22 du code du sport, en cas d'infraction aux dispositions rappelées ci-dessus : " L'Agence française de lutte contre le dopage exerce un pouvoir de sanction disciplinaire dans les conditions suivantes :/ 1° Elle est compétente pour infliger des sanctions disciplinaires aux personnes non licenciées (...) ;/ 2° Elle est compétente pour infliger des sanctions disciplinaires aux personnes relevant du pouvoir disciplinaire d'une fédération sportive lorsque celle-ci n'a pas statué dans les délais prévus à l'article L. 232-21. Dans ce cas, l'agence se saisit d'office dès l'expiration de ces délais ;/ 3°) Elle peut réformer les décisions prises en application de l'article L. 232-21. Dans ces cas, l'agence se saisit, dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet, des décisions prises par les fédérations agréées " ;

3. Considérant, qu'il résulte de l'instruction que l'inscription de M. C...dans le " groupe cible ", qui lui a été régulièrement notifiée le 28 janvier 2014, est devenue définitive et que sa légalité n'est plus susceptible d'être contestée par voie d'exception à l'occasion de la contestation d'une sanction ;

4. Considérant qu'il est constant que, s'agissant des agents qui ont procédé aux contrôles inopinés du requérant, M. E...a été agréé le 13 janvier 1993 et a prêté serment le 14 janvier 1994 devant le tribunal de grande instance d'Evry, M. D...a été agréé le 17 juin 2010 et a prêté serment le 10 septembre 2010 devant le tribunal de grande instance de Paris, et M. B...a été agréé le 30 novembre 2011 et a prêté serment le 3 février 2012 devant le tribunal de grande instance de Paris ; que la validité de la procédure à l'issue de laquelle il a été procédé à ces agréments individuels ne saurait être remise en cause à l'occasion de la présente requête ; que la circonstance, à la supposer établie, que ces agents assermentés n'auraient pas respecté leur obligation de formation professionnelle continue est sans incidence sur leur qualité pour constater l'absence d'un sportif au lieu déclaré par lui en application des dispositions de l'article L. 232-15 du code du sport ; que, par suite, M. C...n'est fondé à soutenir ni que les manquements constatés l'auraient été de façon irrégulière ni que l'infraction résultant de trois manquements consécutifs n'était pas constituée ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 232-21 et R. 232-86 du code du sport et de l'article 16 du règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées relatif à la lutte contre le dopage, dans leur rédaction issue du décret du 23 décembre 2006 pris pour l'application de la loi du 5 avril 2006, que, s'agissant de l'infraction constituée par la violation à trois reprises de l'obligation de localisation prévue par les dispositions de l'article L. 232-15 du code du sport, la date à laquelle l'infraction est constatée par la Fédération est la date à laquelle cette dernière reçoit de l'Agence le signalement de cette infraction ; qu'en l'espèce, la date du constat de l'infraction, à partir de laquelle commençait de courir le délai de dix semaines au-delà duquel la sanction ne pouvait plus être prononcée, était celle du 5 décembre 2014, à laquelle le courrier de l'Agence signalant les manquements de M. C... a été reçu par la Fédération ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la sanction a été prononcée par l'organe disciplinaire de première instance de la Fédération le 5 février 2015, soit avant l'expiration du délai légal de dix semaines qui lui était imparti pour statuer ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la fédération s'étant prononcée tardivement, l'Agence n'aurait pas été compétente sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport doit être écarté ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 232-7 du code du sport : " (...) Le collège de l'agence ne peut délibérer que lorsque six au moins de ses membres sont présents. Le président a voix prépondérante en cas de partage égal des voix. (...) Le collège de l'agence peut délibérer en formation disciplinaire composée d'au moins quatre membres et présidée par l'un des membres mentionnées au 1° de l'article L. 232-6 du présent code " ; qu'il résulte de l'instruction que la séance à l'occasion de laquelle a été prise la décision n° D. 2015-42 du collège de l'Agence française de lutte contre le dopage, comme celle à l'occasion de laquelle l'Agence a décidé, le 18 mars 2015, de se saisir à nouveau du dossier, se sont tenues à la suite de convocations régulières et en présence du quorum requis dans les conditions fixées par les dispositions précitées, applicables à la formation disciplinaire du collège de l'Agence ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure disciplinaire devant l'Agence doit être écarté ;

7. Considérant qu'il est constant que M. C...était absent les 18 septembre 2013, 24 juin 2014 et 21 août 2014 lorsque les agents assermentés se sont présentés aux lieux indiqués par lui pour procéder à des contrôles inopinés ; que s'il n'est pas établi que l'intéressé a été dans l'impossibilité de prévenir l'Agence de ses changements de localisation, il y a lieu de prendre en considération, en l'espèce, comme le permet le code mondial anti-dopage, le fait que ni ces changements ni l'identification d'autres conduites pourraient laisser sérieusement soupçonner que M.C..., inscrit dans le " groupe cible " depuis 2012, tentait volontairement de se rendre indisponible lors des contrôles ; qu'en particulier, il n'est pas contesté que l'un de ces changements était consécutif à la participation de l'intéressé à une compétition sportive avec l'équipe de France ; que si, comme l'a relevé l'Agence à titre de circonstance aggravante, l'intéressé avait déjà fait l'objet en 2008 d'une sanction d'interdiction de participer aux compétitions sportives, il n'est pas contesté que cette interdiction était limitée à un mois, que les faits reprochés avaient été commis alors que l'intéressé était junior et se trouvait sous la responsabilité de l'Institut national du sport et de l'éducation physique (INSEP), et que les nombreux contrôles anti-dopage auxquels il a été soumis depuis lors à l'occasion de compétitions de haut niveau en France comme à l'étranger n'ont jamais révélé la prise de substances interdites ; qu'eu égard à l'ensemble des circonstances propres à l'espèce, M. C...est fondé à demander que la durée de l'interdiction qui lui a été infligée soit ramenée de deux ans à un an et que soit réformée en ce sens la sanction prononcée par l'AFLD ;

8. Considérant que cette sanction ne porte pas à la liberté d'aller et venir de M. C... ni à son droit de mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ;

Sur les conséquences de la présente décision quant à l'exécution de la sanction :

9. Considérant que la présente décision a pour effet de mettre fin à la suspension prononcée par le juge des référés du Conseil d'Etat par une ordonnance du 24 novembre 2015 et de redonner application, dans la limite d'un an, à la sanction d'interdiction de participer aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées infligée le 10 septembre 2015 par l'Agence française de lutte contre le dopage à M.C..., avec déduction de la période déjà purgée en raison tant de la décision de suspension temporaire que de la sanction de la fédération ; qu'il y a lieu, en outre, de déduire la durée qui s'est écoulée entre la notification à M. C...de la sanction infligée par l'Agence et la suspension de celle-ci par l'effet de l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat en date du 24 novembre 2015 ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de ces dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : La sanction prise le 10 septembre 2015 à l'encontre de M. C...est ramenée à une interdiction de participer pendant un an aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées, dans les conditions énoncées aux motifs de la présente décision.

Article 2 : La décision de l'AFLD est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l'AFLD tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...C...et à l'Agence française de lutte contre le dopage.


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