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Ariane Web: Conseil d'État 398266, lecture du 15 avril 2016, ECLI:FR:CEORD:2016:398266.20160415

Décision n° 398266
15 avril 2016
Conseil d'État

N° 398266
ECLI:FR:CEORD:2016:398266.20160415
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP LESOURD, avocats


Lecture du vendredi 15 avril 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la commune de Maurepas de cesser les agissements de harcèlement moral à son encontre et de mettre en oeuvre, dans un délai de 48 heures, tous les moyens humains et matériels afin de lui permettre d'acquérir les compétences nécessaires à l'exécution de ses nouvelles tâches de chargé de mission pour l'élaboration du plan communal de sauvegarde de la ville ou, à défaut, de l'affecter à un poste correspondant à ses facultés et à son expérience ;

2°) de ne pas procéder à l'entretien pour procédure disciplinaire auquel il a été convoqué pour le 9 mars 2016 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Maurepas la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 1601735 du 11 mars 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a, en premier lieu, enjoint à la commune de Maurepas de mettre en oeuvre, dans un délai de 15 jours, tous les moyens matériels afin de permettre à M. A... d'exercer ses fonctions de chargé de mission pour l'élaboration du plan communal de sauvegarde de la ville et de bénéficier d'une formation adéquate, à défaut de l'affecter à un autre poste correspondant à son cadre d'emploi et à son expérience, en deuxième lieu, mis à la charge de la commune de Maurepas la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A....

Par une requête enregistrée le 25 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Maurepas, représentée par son maire, demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. A... en première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- l'ordonnance contestée est irrégulière dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a inversé la charge de la preuve ;
- le juge des référés a jugé à tort que les faits invoqués par M. A...étaient constitutifs de harcèlement moral ;
- les changements d'affectation dont a fait l'objet M. A...et la procédure d'expulsion du logement de fonction qu'il occupe correspondent aux nécessités du service ;
- l'engagement régulier de la procédure disciplinaire se fonde sur le refus de M. A...d'exécuter les ordres de service dès lors qu'il ne démontre pas, d'une part, qu'il n'est pas en mesure d'effectuer les tâches qui lui sont attribuées et, d'autre part, qu'il en a informé sa hiérarchie ;
- la dégradation de l'état de santé de M. A...n'est pas prouvée dès lors qu'il n'a pas informé la médecine du travail de l'imputabilité de cet état au service et que les comptes rendus des consultations obligatoires de la médecine préventive n'en font pas état ;
- la mesure d'injonction prononcée n'est pas justifiée dès lors que M. A... n'est pas isolé au sein du service et dispose des moyens matériels pour l'exercice de ses fonctions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er avril 2016, M. A... conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la commune de Maurepas au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence est remplie et que les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés.


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Maurepas, d'autre part, M. A...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 5 avril 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentantes de la commune de Maurepas ;

- Me Lesourd, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- M.A... ;

- le représentant de M.A... ;


et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au lundi 11 avril à 15 heures ;

Par une mesure d'instruction supplémentaire, le juge des référés a invité, à l'issue de l'audience, les parties à trouver une solution amiable.

Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 8 et 11 avril 2016, la commune de Maurepas, à la suite de l'échec des pourparlers, s'est engagée à accompagner M. A...dans l'exercice de ses fonctions de chargé de l'élaboration du plan communal de sauvegarde ainsi qu'à lui fournir les moyens matériels nécessaires à l'exercice de ses missions, conclut au rejet de la requête et persiste dans ses conclusions initiales.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 8 avril 2016, M. A... persiste dans ses conclusions et produit des éléments complémentaires.

Vu la note produite par M. A...le 12 avril 2016, postérieurement à la clôture de l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " ; que le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un fonctionnaire une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

3. Considérant que M. A...a été recruté par la commune de Maurepas le 1er novembre 1990 au grade de contrôleur des travaux et en qualité de directeur du centre technique municipal et a exercé ces fonctions jusqu'en avril 2014, date à laquelle la direction comportait une soixantaine d'agents ; qu'il a, entre temps, été promu au grade de contrôleur de travaux chef le 1er juin 2005 puis dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux le 1er juillet 2011 ; qu'il résulte de l'instruction et des précisions apportées lors de l'audience qu'à la suite de la suppression de son poste, dont l'intéressé n'a pas contesté la matérialité, il a été nommé en qualité de chargé de mission sécurité, proximité et cadre de vie à compter du 4 mai 2014 ; que si ce poste n'impliquait l'encadrement que de quatre agents, il portait sur une des priorités d'action de la nouvelle équipe municipale élue en mars 2014 et impliquait de prendre des initiatives et responsabilités correspondant à des missions qui peuvent être confiées à un attaché territorial ; que, dans le cadre d'une politique générale de rationalisation de la gestion de son parc immobilier, la commune lui a vainement demandé de libérer le logement qu'il occupait depuis 1990 sans aucune nécessité de service ; que, saisi par la commune sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative afin que soit ordonnée son expulsion de ce logement, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a, par une ordonnance du 15 octobre 2014, rejeté sa demande au motif que la condition d'urgence n'était pas remplie ; que la commune a indiqué lors de l'audience que le bail précaire en vertu duquel il occupe ce logement sera maintenu jusqu'à son départ à la retraite ; qu'à la suite du recrutement d'un agent qualifié en matière de sécurité et de police municipale, il a été mis fin, en accord avec M.A..., à ses fonctions de chargé de mission sécurité, proximité et cadre de vie ; qu'il a alors été nommé le 23 juillet 2015, avec effet à compter du 1er août 2015, en qualité de chargé de l'élaboration du plan communal de sauvegarde dont la commune indique qu'elle doit être impérativement dotée ; que si cette mission n'emporte l'encadrement d'aucun agent, elle implique, sous l'autorité directe de la directrice générale des services et en lien étroit avec un comité de pilotage présidé par un élu municipal, de prendre des initiatives et contacts tant au sein des services de la commune qu'auprès des administrations de l'Etat en vue d'élaborer ce document, qui doit être adopté par le maire et regroupe l'ensemble des documents de compétence communale contribuant à l'information préventive et à la protection de la population ; que ces responsabilités correspondent à des missions qui peuvent être confiées à un attaché territorial ; que si la commune n'a inscrit M. A...à aucune formation pour faciliter la prise de ces nouvelles fonctions, il résulte de l'instruction que celui-ci n'a exprimé que de façon très générale un besoin de formation sans identifier plus précisément, dans le catalogue des formations proposées à tous les agents de la commune, celles susceptibles de répondre à ses besoins ; que la directrice générale des services l'a accompagné dans cette prise de fonctions en lui remettant un dossier explicatif ainsi qu'un document pédagogique relatif à l'élaboration de ces plans, préparé par le ministère de l'intérieur, et en lui proposant des réunions d'étape pour faire le point de l'avancement de ses travaux et le guider, réunions auxquelles il ne s'est pas rendu ; que l'intéressé n'ayant produit aucun travail dans le cadre de cette mission en février 2016, une convocation à un entretien préalable en vue d'une sanction lui a été adressée par lettre du 1er mars 2016 ; que dans le cadre de l'audience, la commune s'est engagée, en tout état de cause, à inscrire M. A... aux formations qu'il solliciterait pour faciliter l'exercice de cette mission ;

4. Considérant qu'au regard de l'ensemble de ces circonstances, et alors même que depuis qu'il a été mis fin à ses fonctions de directeur du centre technique municipal, M. A... a connu une dégradation de son état de santé l'ayant contraint à prendre des congés maladie, jusqu'alors rares dans son parcours professionnel, le comportement de la commune de Maurepas, qui a confié à M. A...des fonctions correspondant à son grade et impliquant de vraies responsabilités, sans, contrairement à ce que l'intéressé soutient, l'isoler et qui lui a donné les moyens d'accomplir ces missions, ne caractérise pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que, par suite, la commune de Maurepas est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés de première instance a estimé que la condition d'urgence était remplie ; qu'il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, que la commune est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance par laquelle le juge des référés lui a enjoint de mettre en oeuvre tous les moyens matériels afin de permettre à M. A...d'exercer ses fonctions ;

5. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...le versement d'une somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme à verser à M. A...soit mise à la charge de la commune de Maurepas ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 11 mars 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles et ses conclusions d'appel présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Maurepas est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Maurepas et à M. B... A....