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Ariane Web: Conseil d'État 383914, lecture du 4 mai 2016, ECLI:FR:CECHS:2016:383914.20160504

Décision n° 383914
4 mai 2016
Conseil d'État

N° 383914
ECLI:FR:CECHS:2016:383914.20160504
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Vincent Montrieux, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du mercredi 4 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Campenon Bernard Sud Est, la société Eiffage TP, la société Cari, la société Tunzini industrie, la société Jean Graniou, la société Eurovia Méditerranée, la société Snef Côte d'Azur et la société Appia Alpes-Maritimes ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le département des Alpes-Maritimes à leur verser diverses sommes au titre du solde du décompte général du marché conclu le 15 novembre 2001 portant sur la construction du tunnel dit " de la Condamine ". La société Spie Fondations a demandé, dans le dernier état de ses mémoires, au tribunal administratif de Nice de condamner le département à lui verser la somme de 1 835 160,69 euros TTC au titre du solde du décompte général du même marché.

Par un jugement nos 0605816, 0706225, 0706237 du 15 avril 2011, le tribunal administratif de Nice a condamné le département des Alpes-Maritimes à verser la somme de 1 140 024,91 euros HT à la société Campenon Bernard Sud Est, venant aux droits de la société Campenon Bernard Méditerranée, au titre du solde du lot n° 1, la somme de 570 012,45 euros HT à la société Eiffage TP au titre du solde du lot n° 1, la somme de 570 012,45 euros HT à la société Cari au titre du solde du lot n° 1, la somme de 114 857,34 euros HT à la société Spie Fondations au titre du solde du lot n° 1, la somme de 15 188,61 euros HT à la société Snef Côte d'Azur au titre du solde du lot n° 2, la somme de 33 170,06 euros HT à la société Snef Côte d'Azur au titre du solde du lot n° 3, la somme de 49 755,10 euros HT à la société Jean Graniou au titre du solde du lot n° 3.

Saisie en appel par la société Campenon Bernard Sud Est, en sa qualité de mandataire du groupement, et, par la voie de l'appel incident, par le département des Alpes-Maritimes, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt n° 11MA03216 du 25 juin 2014, porté les sommes que le département des Alpes-Maritimes est condamné à verser aux sociétés Campenon Bernard Sud Est, Eiffage TP et Cari au titre du solde du décompte général du marché aux montants hors taxes respectifs de 1 185 968,91 euros, de 592 984,45 euros et de 592 984,45 euros, réformé les articles 1 à 3 du jugement en ce qu'ils ont de contraire à l'arrêt, rejeté le surplus des conclusions de la société Campenon Bernard Sud Est et rejeté les conclusions du département des Alpes-Maritimes.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 août et 26 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Campenon Bernard Sud Est et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la décharge des pénalités de retard et à ce que le département des Alpes-Maritimes soit condamné à leur verser une somme de 501 489,44 euros HT au titre de la restitution des pénalités de retard indûment appliquées ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du 15 avril 2011 du tribunal administratif de Nice en tant qu'il n'a pas fait droit à leur demande de décharge des pénalités et de condamner le département des Alpes-Maritimes à leur verser la somme de 501 489,44 euros HT, augmentée de la TVA, des intérêts moratoires à compter du 14 février 2006 et de la capitalisation à compter du 14 février 2007, correspondant aux pénalités de retard indûment appliquées ;

3°) de mettre à la charge du département des Alpes-Maritimes le versement de la somme de 2 000 euros à la société Campenon Bernard Sud Est, à la société Eiffage TP et à la société Cari, chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Grégory Rzepski, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Campenon Bernard Sud Est, de la société Eiffage TP, de la société Cari, de la société Tunzini industrie, de la société Jean Graniou, de la société Eurovia Méditerranée, de la société Snef Côte d'azur et de la société Appia Alpes-Maritimes et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du département des Alpes-Maritimes ;


1. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Marseille a relevé une contradiction entre les motifs et le dispositif du jugement du tribunal administratif de Nice du 15 avril 2011 et jugé que celui-ci était irrégulier en ce qu'il ne statuait pas sur les conclusions tendant à la condamnation du département des Alpes-Maritimes à payer une somme correspondant à la restitution des pénalités de retard infligées aux entreprises par ce département au titre du solde du décompte général du marché conclu le 15 novembre 2001 portant sur la construction du tunnel dit " de la Condamine " ; que si elle a estimé, à tort, que cette irrégularité n'impliquait pas l'annulation du jugement en tant qu'il avait omis de statuer sur les conclusions relatives aux pénalités de retard, au motif erroné que le dispositif de celui-ci ne rejetait pas ces conclusions, la cour a toutefois statué, par la voie de l'évocation, sur ces conclusions, conformément à son office ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'erreur de droit qu'elle a commise en ne prononçant pas l'annulation partielle du jugement devrait conduire à l'annulation de son arrêt ne peut, dans les circonstances de l'espèce, qu'être écarté ;

2. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le mémoire en réclamation du 9 février 2007, présenté par la société Campenon Bernard Sud Est en qualité de mandataire du groupement et envoyé à l'appui d'un courrier du 22 février 2007, se bornait à réclamer l'indemnisation des surcoûts liés à l'allongement des délais d'exécution du marché, mais ne contenait aucune contestation, ni même la mention, des pénalités de retard infligées par le département des Alpes-Maritimes ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le mémoire en réclamation du 9 février 2007 ne pouvait être regardé comme impliquant nécessairement une demande de décharge des pénalités de retard ;

3. Considérant, en troisième lieu, que, d'une part, lorsque le défendeur en première instance a la qualité d'intimé, il est recevable à invoquer tout moyen pour la première fois, en défense comme à l'appui de conclusions d'appel incident, lesquelles ne doivent pas présenter à juger un litige distinct de l'appel principal ; qu'en vertu du principe selon lequel les parties à un marché public peuvent convenir que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l'établissement du décompte définitif, détermine leurs droits et obligations définitifs, une demande tendant à la décharge de pénalités de retard relève nécessairement du même litige que celle visant à contester le décompte ; que, par conséquent, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant recevable la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des stipulations contractuelles relatives à la contestation du décompte opposée par le département des Alpes-Maritimes dans son appel incident à la demande de la société Campenon Bernard Sud Est et autres de décharge des pénalités de retard ; que, d'autre part, les modalités de contestation du décompte pour le marché en litige sont définies par les articles 13.4.4 et 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, lesquels imposent une procédure de réclamation préalable, sous peine d'irrecevabilité de la demande contentieuse ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant irrecevable la demande de la société Campenon Bernard Sud Est et autres de décharge des pénalités de retard en raison de la méconnaissance par ces sociétés des formalités prévues aux articles 13.4.4 et 50 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en litige ; qu'enfin, le principe de loyauté des relations contractuelles ne saurait, en tout état de cause, être utilement invoqué pour faire obstacle aux règles relatives à la recevabilité des moyens en appel ;

4. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département des Alpes-Maritimes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Campenon Bernard Sud Est et autres la somme de 3 000 euros à verser au département des Alpes-Maritimes au titre de ces mêmes dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Campenon Bernard Sud Est et autres est rejeté.
Article 2 : La société Campenon Bernard Sud Est, la société Eiffage TP, la société Cari, la société Tunzini industrie, la société Jean Graniou, la société Eurovia Méditerranée, la société Snef Côte d'Azur et la société Appia Alpes-Maritimes verseront au département des Alpes-Maritimes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Campenon Bernard Sud Est, à la société Eiffage TP, à la société Cari, à la société Tunzini industrie, à la société Jean Graniou, à la société Eurovia Méditerranée, à la société Snef Côte d'Azur, à la société Appia Alpes-Maritimes et au département des Alpes-Maritimes.