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Ariane Web: Conseil d'État 384071, lecture du 6 mai 2016, ECLI:FR:CECHS:2016:384071.20160506

Décision n° 384071
6 mai 2016
Conseil d'État

N° 384071
ECLI:FR:CECHS:2016:384071.20160506
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Yannick Faure, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public


Lecture du vendredi 6 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 août 2014 et 23 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n° DGOS/PF2/2014/74 du 7 mars 2014 portant sur la généralisation de l'indicateur de mesure de la satisfaction des patients hospitalisés (I-SATIS) au sein des établissements de santé exerçant une activité de médecine, chirurgie ou obstétrique (MCO) ;

2°) subsidiairement, d'enjoindre au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes de réexaminer sa demande d'abrogation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2014-252 du 27 février 2014 ;
- l'arrêté du 4 mars 2014 relatif au modèle de questionnaire à utiliser lors de la mise en oeuvre de l'enquête I-SATIS de satisfaction des patients hospitalisés ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;




Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 1112-2 du code de la santé publique, tout établissement de santé doit procéder à une évaluation régulière de la satisfaction des patients, portant notamment sur les conditions d'accueil et de séjour. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 février 2014, pris pour l'application de ces dispositions, ainsi que le prévoit l'article L. 1112-6 du même code : " Les établissements de santé exerçant une activité de médecine, chirurgie ou obstétrique évaluent annuellement la satisfaction des patients hospitalisés en mettant en oeuvre l'enquête de satisfaction des patients hospitalisés dénommée " I-SATIS ". Les établissements de santé utilisent un questionnaire dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé (...) ". Ce modèle a été annexé à un arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 4 mars 2014.

2. Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, le directeur général de l'offre de soins a, par l'instruction attaquée du 7 mars 2014 portant sur la généralisation de l'indicateur de mesure de la satisfaction des patients hospitalisés (I-SATIS) au sein des établissements de santé exerçant une activité de médecine, de chirurgie ou d'obstétrique, défini les modalités de réalisation de cette enquête par les établissements.

3. Les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief. Le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs.

4. Aux termes de l'article L. 6113-2 du code de la santé publique : " Les établissements de santé, publics ou privés, développent une politique d'évaluation des pratiques professionnelles, des modalités d'organisation des soins et de toute action concourant à une prise en charge globale du malade afin notamment d'en garantir la qualité et l'efficience. / La Haute Autorité de santé contribue au développement de cette évaluation (...) ". Aux termes de l'article D. 1421-1 du même code : " La direction générale de l'offre de soins (...) est chargée de l'élaboration, du pilotage et de l'évaluation de la politique de l'offre de soins en fonction des objectifs et des priorités de la politique de santé. / A ce titre (...) : 1° Elle assure le respect de la dignité et des droits des usagers de l'offre de soins. / (...) / 4° Elle définit et évalue les politiques relatives à l'accès aux soins de premier recours, à la prise en charge continue des malades ainsi qu'à l'adaptation des parcours de soins (...) ".

5. Le directeur général de l'offre de soins du ministère de la santé, agissant par délégation du ministre chargé de la santé, avait compétence pour rappeler aux établissements de santé l'obligation, découlant du décret du 27 février 2014, de mettre en oeuvre l'enquête annuelle de satisfaction des patients hospitalisés, dont l'instruction reproduit le modèle de questionnaire, ainsi que pour définir, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires applicables, des préconisations méthodologiques, destinées notamment à faciliter une comparaison nationale des résultats de l'enquête. En particulier, il n'a, ce faisant, pas empiété sur la compétence de la Haute Autorité de santé. Par ailleurs, en tant que l'instruction met différents modèles ou exemples à la disposition des établissements, elle ne revêt pas de caractère impératif et, par suite, ne fait pas grief.

6. Aux termes de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " I.- Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. / II.- Dans la mesure où la finalité du traitement l'exige pour certaines catégories de données, ne sont pas soumis à l'interdiction prévue au I : / 1° Les traitements pour lesquels la personne concernée a donné son consentement exprès, sauf dans le cas où la loi prévoit que l'interdiction visée au I ne peut être levée par le consentement de la personne concernée (....) / III.- Si les données à caractère personnel visées au I sont appelées à faire l'objet à bref délai d'un procédé d'anonymisation préalablement reconnu conforme aux dispositions de la présente loi par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, celle-ci peut autoriser, compte tenu de leur finalité, certaines catégories de traitements selon les modalités prévues à l'article 25 (...) ".

7. Si la réalisation de l'enquête de satisfaction des patients hospitalisés conduit à traiter des données à caractère personnel relatives à la santé, l'instruction attaquée rappelle aux établissements de santé l'obligation qui leur incombe de recueillir le consentement exprès des intéressés, en application du II de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978. Dès lors que ce consentement est recueilli par l'établissement de santé, avant toute transmission des coordonnées des patients à un institut de sondage, les dispositions de cet article ne font pas obstacle à une telle communication pour les besoins de l'enquête et n'imposent pas l'anonymisation préalable des données ainsi transmises. Par suite, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, l'instruction attaquée pouvait légalement, sous réserve du respect des autres dispositions de la loi du 6 janvier 1978, notamment de ses articles 32 et 35, envisager la transmission des coordonnées des patients, avec leur accord, à des instituts de sondage chargés de la réalisation de l'enquête.

8. En revanche, en imposant la réalisation de l'enquête de satisfaction par un institut de sondage indépendant de l'établissement de santé, sous forme d'entretiens téléphoniques, et en fixant les règles méthodologiques applicables, notamment pour le choix des patients, la taille de l'échantillon ou le nombre des questionnaires traités, le directeur général de l'offre de soins a pris des dispositions réglementaires qui excèdent le champ de la compétence dévolue au ministre chargé de la santé par l'article 1er du décret du 27 février 2014. Le ministre chargé de la santé ne tenait d'aucune autre disposition législative ou réglementaire, pas plus que de sa qualité de chef de service, le pouvoir d'imposer aux établissements de santé publics ou privés de telles prescriptions.

9. Il résulte de ce qui précède que la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique n'est fondée à demander l'annulation de l'instruction du directeur général de l'offre de soins du 7 mars 2014 qu'en tant qu'elle a imposé aux établissements de santé de faire réaliser l'enquête de satisfaction prévue par le décret du 27 février 2014 par un institut de sondage indépendant, sous forme d'entretiens téléphoniques et selon les règles méthodologiques qu'elle décrit. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre les mêmes dispositions.

10. L'annulation ainsi prononcée n'appelle pas de mesure d'exécution qu'il appartiendrait au ministre chargé de la santé de prendre, en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'instruction du directeur général de l'offre de soins du 7 mars 2014 est annulée en tant qu'elle a imposé aux établissements de santé de faire réaliser l'enquête de satisfaction prévue par le décret du 27 février 2014 par un institut de sondage indépendant, sous forme d'entretiens téléphoniques et selon les règles méthodologiques qu'elle décrit.
Article 2 : L'Etat versera à la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


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