Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 387908, lecture du 11 mai 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:387908.20160511

Décision n° 387908
11 mai 2016
Conseil d'État

N° 387908
ECLI:FR:CECHR:2016:387908.20160511
Inédit au recueil Lebon
6ème - 1ère chambres réunies
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP MARLANGE DE LA BURGADE, avocats


Lecture du mercredi 11 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac, M. F...G..., M. H...E..., Mme D...C..., M. A... C...et Mme D...B...ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2009 par lequel le préfet du Morbihan a autorisé la société Les Carrières de Saint-Lubin à exploiter, pour une durée de trente ans, une carrière de granit et de schistes à ciel ouvert, ainsi que des installations de premier traitement. Par un jugement n° 1001806 du 16 novembre 2012, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 13NT00108 du 12 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres, annulé ce jugement, ainsi que l'arrêté du 2 novembre 2009 du préfet du Morbihan.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 13 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Carrières de Saint-Lubin demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres ;



3°) de mettre à la charge de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Les Carrières de Saint-Lubin et à la SCP Marlange-de la Burgade, avocat de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Carrières de Saint-Lubin a demandé au préfet du Morbihan le renouvellement pour trente années, avec extension de périmètre, de l'autorisation dont elle bénéficiait afin d'exploiter une carrière de granit et de schiste située à l'Epine-Fort, ainsi que le renouvellement de l'autorisation d'exploiter des installations de broyage, concassage et criblage des matériaux extraits de la carrière ; qu'au terme de l'enquête publique organisée du 2 février au 4 mars 2009 le commissaire enquêteur a rendu un avis favorable à la demande ; que, par un arrêté du 2 novembre 2009, le préfet du Morbihan a délivré à la société requérante l'autorisation sollicitée ; que la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé le jugement du 16 novembre 2012 du tribunal administratif de Rennes rejetant la demande de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres tendant à l'annulation de cet arrêté et, d'autre part, annulé ce dernier au motif que l'insuffisance de motivation et le défaut d'impartialité des conclusions du commissaire enquêteur avaient privé le public de la garantie qui s'attache à l'expression par le commissaire enquêteur d'une position personnelle, émise de manière objective, au vu de l'ensemble du dossier ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 123-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " I - La réalisation d'aménagements, d'ouvrages ou de travaux exécutés par des personnes publiques ou privées est précédée d'une enquête publique soumise aux prescriptions du présent chapitre, lorsqu'en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d'affecter l'environnement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 123-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'enquête mentionnée à l'article L. 123-1 a pour objet d'informer le public et de recueillir ses appréciations, suggestions et contre-propositions, postérieurement à l'étude d'impact lorsque celle-ci est requise, afin de permettre à l'autorité compétente de disposer de tous éléments nécessaires à son information. " ; qu'aux termes de l'article L. 123-6 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur " Ne peuvent être désignées comme commissaires enquêteurs ou comme membres de la commission d'enquête les personnes intéressées à l'opération à titre personnel ou en raison de leurs fonctions, notamment au sein de la collectivité, de l'organisme ou du service qui assure la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre ou le contrôle de l'opération soumise à enquête. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 123-9 du même code, alors applicable : " Ne peuvent être désignées pour exercer les fonctions de commissaire enquêteur les personnes intéressées à l'opération soit à titre personnel, soit en raison des fonctions qu'elles exercent ou ont exercées depuis moins de cinq ans, notamment au sein de la collectivité, de l'organisme ou du service qui assure la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre ou le contrôle de l'opération soumise à enquête, ou au sein des associations concernées par cette opération. " ; qu'aux termes de l'article R. 512-17 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Le commissaire enquêteur ou le président de la commission d'enquête rédige, d'une part, un rapport dans lequel il relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies, d'autre part, ses conclusions motivées, qui doivent figurer dans un document séparé et préciser si elles sont favorables ou non à la demande d'autorisation (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au commissaire enquêteur, après avoir, dans son rapport, relaté le déroulement de l'enquête et examiné les observations recueillies, de donner, dans ses conclusions, son avis personnel et motivé sur la demande d'autorisation ; qu'au regard du devoir d'impartialité qui s'impose au commissaire enquêteur, ses conclusions ne sauraient être dictées par un intérêt personnel, ni par un parti pris initial ;

4. Considérant que la cour a relevé que les conclusions du commissaire enquêteur ne répondaient pas de façon suffisamment détaillée au courrier dont l'avait saisi l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac, qu'il prenait en compte les engagements de l'exploitant sans même les analyser et qu'il avait fait état dans ses conclusions que les Ménéacois " de souche " étaient favorables au projet alors que les opposants provenaient de l'extérieur, et qu'il était " appréciable de constater qu'une catégorie des habitants est pour le maintien de l'activité de la carrière sur la commune " ; qu'en se fondant sur ces éléments, aussi regrettable et maladroit que soit l'emploi de certains termes, pour retenir un parti pris du commissaire enquêteur constitutif d'un manquement à l'obligation d'impartialité qui s'imposait à lui, alors même qu'il était tenu de faire état de ses conclusions motivées, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société Les Carrières de Saint-Lubin est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Les Carrières de Saint-Lubin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres la somme de 3 500 euros à verser à la société Les Carrières de Saint-Lubin au titre des mêmes dispositions ;






D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 12 décembre 2014 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : L'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres verseront à la société Les Carrières de Saint-Lubin une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac et autres présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Les Carrières de Saint-Lubin et à l'association pour la protection de l'environnement et la sauvegarde du patrimoine de Ménéac. Les autres défendeurs seront informés de la présente décision par la SCP Tiffreau-Marlange-de la Burgade avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.