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Ariane Web: Conseil d'État 394069, lecture du 1 juin 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:394069.20160601

Décision n° 394069
1 juin 2016
Conseil d'État

N° 394069
ECLI:FR:CECHR:2016:394069.20160601
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Emmanuelle Petitdemange, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; SCP DELAPORTE, BRIARD, avocats


Lecture du mercredi 1 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



La société Mayotte Channel Gateway (MCG) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre la société mahoraise d'acconage, de représentation et de transit (SMART) de quitter les lieux occupés par elle dans le port de Longoni. Par une ordonnance n° 1500437 du 9 octobre 2015, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande.

1° Sous le n° 394069, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 14 et 22 octobre 2015 et les 11 février, 4 et 29 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SMART demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société MCG ;

3°) de mettre à la charge de la société MCG la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SMART soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a :
- commis une erreur de droit en jugeant recevable la demande de la société MCG, alors que celle-ci n'avait pas qualité pour demander son expulsion du domaine public portuaire ;
- commis une erreur de droit en jugeant que l'expulsion ne faisait obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative, alors, d'une part, qu'elle était titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine public délivrée par le département et, d'autre part, que ce dernier s'était opposé à une expulsion sans accord préalable de sa part par courrier du 19 août 2015 ;
- dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en ne constatant pas que le département lui avait délivré une autorisation d'occupation, subsidiairement commis une erreur de droit en jugeant que la SMART n'avait pas de titre d'occupation alors que la convention d'occupation avait été tacitement renouvelée, encore plus subsidiairement commis une autre erreur de droit en jugeant que l'expulsion ne se heurtait à aucune contestation sérieuse, alors que la décision de non-renouvellement portait atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et était entachée de détournement de pouvoir ;
- entaché son ordonnance de contradiction de motifs en jugeant qu'il y avait urgence à l'expulser, tout en relevant que la société MCG admettait que la régularisation de la situation de la SMART était opportune ;
- dénaturé les faits de l'espèce en estimant que la condition d'urgence était remplie, alors que les grèves avaient cessé au moment où il statuait et qu'il n'existait dès lors aucune urgence à l'expulser.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 19 janvier, 24 février et 18 mars 2016, la société MCG conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la SMART au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 4 novembre 2015, l'Union Interprofessionnelle CFDT Mayotte demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions du pourvoi de la SMART. Elle se réfère aux moyens exposés dans ce pourvoi.


2° Sous le n° 394191, par une requête et trois autres mémoires, enregistrés les 22 octobre 2015 et les 11 février, 4 mars et 29 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société demande au Conseil d'Etat d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société mahoraise d'acconage, de représentation et de transit et à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société Mayotte Channel Gateway (MCG).

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mai 2016, présentée par la société MCG .



1. Considérant que le pourvoi n° 394069 et la requête n° 394191 présentés pour la Société mahoraise d'acconage de représentation et de transit (SMART) présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte que la SMART exerce une activité de manutention sur le site du port de Longoni, dont le département de Mayotte est propriétaire ; qu'elle a bénéficié d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public qui a pris fin en septembre 2013, à l'expiration de la délégation de service public consentie à la chambre de commerce et d'industrie de Mayotte ; que les négociations entre la SMART et la société MCG, nouveau délégataire, en vue de la conclusion d'une convention portant notamment sur l'occupation du domaine public ayant échoué, la société MCG a saisi le juge des référés d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, à l'expulsion de la SMART ; que celle-ci se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 octobre 2015 par laquelle le juge des référés a fait droit à cette demande ;

3. Considérant que l'Union interprofessionnelle CFDT Mayotte justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi, son intervention sous les n°s 394069 et 394191 est recevable ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision " ;

5. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, notamment des articles 1er, 6 et 35 de la convention de délégation, que le département a confié à la société MGC la mission d'assurer la gestion du domaine public portuaire mis à sa disposition et lui a permis, à cette fin, d'accorder sur ce domaine des autorisations d'occupation ; que, par suite, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en déduisant de ces stipulations que la société MGC était dotée d'une mission générale de gestion et d'exploitation des installations portuaires et avait qualité pour lui demander de prononcer l'expulsion d'un occupant sans titre ;

6. Considérant, d'autre part, que si le propriétaire ou le gestionnaire du domaine public sont l'un et l'autre en principe recevables à demander au juge administratif l'expulsion de l'occupant irrégulier de ce domaine, le propriétaire du domaine ne peut, en l'absence de stipulation en ce sens de la convention le liant au gestionnaire, s'opposer à ce que celui-ci saisisse le juge des référés afin que soit ordonnée l'expulsion d'un occupant sans titre ; qu'en l'espèce, s'il ressort des articles 35.01.a, 35.01.b et 35.02 de la convention soumise au juge des référés que le département a un pouvoir de contrôle sur la délivrance de telles autorisations, aucune stipulation n'organise les demandes d'expulsion du domaine public ; que si la SMART conteste la qualité pour agir de la société MCG au motif que, par un courrier du 19 août 2015, le département, propriétaire du domaine public, informé de l'intention de la société MCG de demander l'expulsion de la SMART, lui avait indiqué qu'elle ne pouvait saisir le juge sans avoir obtenu son autorisation et que celle-ci ne l'avait obtenue ni à la date de l'introduction de sa demande ni ultérieurement, cette lettre ne peut être regardée comme constituant ou révélant une modification unilatérale de la convention en cause ; que, dans ces conditions, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant recevable la demande de la société MCG, alors même que le département s'était opposé à l'expulsion demandée ;

7. Considérant que la SMART soutient que le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que l'expulsion ne faisait obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative, alors que, d'une part, elle était titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine public délivrée par le département et que, d'autre part, ce dernier s'était opposé à une expulsion sans accord préalable de sa part par courrier du 19 août 2015 ; que, d'une part, en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que le protocole de sortie de conflit du 23 avril 2015, la convention tripartite du 24 avril 2015, le protocole de sortie de grève des salariés de la SMART du 13 mai 2015 et le communiqué de presse du 13 mai 2015 aient attribué un titre d'occupation quelconque à la SMART ; que, d'autre part, la décision prise par un délégataire de s'opposer à la décision du gestionnaire du domaine public de demander l'expulsion du domaine public d'un occupant sans titre, alors qu'aucune stipulation de la convention ne prévoit de telles prérogatives au bénéfice du délégataire, ne constitue pas une décision administrative au sens de l'article L. 521-3 du code de justice administrative à laquelle l'expulsion ferait obstacle ; que, par suite, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la mesure sollicitée par la société n'est pas susceptible de faire obstacle à l'exécution de décisions du département ;

8. Considérant que, pour demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, la SMART soutient, pour le surplus, que le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en ne constatant pas qu'elle était autorisée à occuper le domaine public par le département, a subsidiairement commis une erreur de droit en jugeant qu'elle n'avait pas de titre d'occupation, alors que la convention d'occupation du 12 avril 2010 avait été tacitement renouvelée, a encore plus subsidiairement commis une autre erreur de droit en jugeant que l'expulsion ne se heurtait à aucune contestation sérieuse, alors que la décision de non-renouvellement portait atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et était entachée de détournement de pouvoir ; qu'il a entaché son ordonnance de contradiction de motifs en jugeant qu'il y avait urgence à l'expulser, tout en relevant que la société MCG admettait que la régularisation de la situation de la SMART était opportune ; qu'il a dénaturé les faits de l'espèce en estimant que la condition d'urgence était remplie, alors que les grèves avaient cessé au moment où il statuait et qu'il n'existait dès lors aucune urgence à l'expulser ;

9. Considérant qu'aucun de ces moyens n'est de nature à justifier l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

10. Considérant que, par la présente décision, il est statué sur les conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution ;

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SMART la somme de 3 000 euros à verser à la société MCG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société MCG, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Union Interprofessionnelle CFDT Mayotte est admise.

Article 2 : Le pourvoi de la SMART est rejeté.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 394191.

Article 5 : La SMART versera à la société MCG la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société mahoraise d'acconage de représentation et de transit et à la société Mayotte Channel Gateway.
Copie en sera adressée, pour information, au département de Mayotte.


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