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Ariane Web: Conseil d'État 395363, lecture du 1 juin 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:395363.20160601

Décision n° 395363
1 juin 2016
Conseil d'État

N° 395363
ECLI:FR:CECHR:2016:395363.20160601
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Vincent Villette, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public


Lecture du mercredi 1 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 395363, par une protestation, enregistrée le 17 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. O...K...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 6 et 13 décembre 2015 dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur en vue de l'élection des membres du conseil régional ;

2°) de déclarer M. T...L...inéligible.



2° Sous le n° 395513, par une protestation enregistrée le 22 décembre 2015, M. N... S...demande au Conseil d'Etat de rectifier les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 6 décembre 2015 dans le bureau de vote n° 128 du premier arrondissement de la ville de Marseille.

....................................................................................


3° Sous le n° 395558, par une protestation et un autre mémoire, enregistrés le 23 décembre 2015 et le 14 mai 2016, Mme G...V...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 6 et 13 décembre 2015 dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur en vue de l'élection des membres du conseil régional ;

2°) de déclarer M. L...inéligible.


....................................................................................


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;



1. Considérant que les protestations nos 395363, 395513 et 395558 sont dirigées contre les opérations électorales qui ont eu lieu les 6 et 13 décembre 2015 pour le renouvellement du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les conclusions de la protestation n° 395363 :

2. Considérant que l'article L. 48-2 du code électoral dispose : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale " ; qu'aux termes de l'article L. 49 du même code : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale. " ;

3. Considérant, d'une part, que la participation de M. L... à des réunions publiques la veille du premier tour, alors qu'aucune disposition du code électoral ne l'interdisait, ainsi qu'au Noël des enfants de la métropole Nice Côte d'Azur, de la ville de Nice et de son centre communal d'action sociale ne constitue pas, en elle-même, une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin ; que, d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction qu'à ces occasions M. L... aurait méconnu les dispositions précitées du code électoral en faisant valoir un élément nouveau de polémique électorale, ou en diffusant des supports de propagande électorale ; que les griefs tirés de ce que ces évènements entacheraient d'irrégularité le scrutin ne peuvent, par suite, qu'être écartés ;

4. Considérant que M. K...soutient que M. L...ne pouvait apposer sur les documents distribués au nom de sa liste le logo du " Mouvement Pour la France (MPF) ", qui n'y avait pas consenti ; qu'il résulte de l'instruction qu'à supposer même que la liste " ça va changer " ait revendiqué à tort, sur certains de ses supports de propagande électorale, le soutien de ce parti, cette circonstance n'a pas été, en l'espèce et compte tenu notamment de l'écart de voix, de nature à altérer la sincérité du scrutin ; que, dans ces conditions, ce grief doit être écarté ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à l'issue du premier tour, aucune liste candidate n'a fusionné avec une autre ; que, dès lors, le grief tiré du dépassement du plafond des dépenses électorales, dont le montant est déterminé par les dispositions de l'article L. 52-11 du code électoral, à raison de la fusion des listes conduites par M. L...et M. P... ne peut qu'être écarté ;

Sur les conclusions de la protestation n° 395558 :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 106 du code électoral : " Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l'entremise d'un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d'entre eux à s'abstenir, sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros " ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 335 du même code : " Les conseillers régionaux et les membres de l'Assemblée de Corse sont élus dans les conditions fixées par les dispositions du titre Ier du livre Ier du présent code et par celles du présent livre (...) " ; que, s'il n'appartient pas au juge de l'élection de faire application de cette disposition en ce qu'elle édicte des sanctions pénales, il lui revient, en revanche, de rechercher si des pressions telles que définies par celle-ci ont été exercées sur les électeurs et ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;

7. Considérant, en premier lieu, que Mme V...soutient que la sincérité des opérations électorales a été altérée par les promesses faites par M. L... entre les deux tours de scrutin, qui méconnaîtraient les dispositions précitées de l'article L. 106 du code électoral ; que, toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, les engagements pris publiquement de créer un " conseil territorial " et un " institut pour l'écologie et la qualité de vie ", assortis de l'annonce de diverses mesures financières d'accompagnement, n'ont pas constitué, eu égard à leur nature, à leur formulation et dans les circonstances de l'espèce, alors qu'au surplus la liste adverse a été en mesure de répondre à ces annonces, des pressions exercées sur les électeurs de nature à fausser les résultats du scrutin ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que, d'une part, le grief tiré de l'irrégularité de votes par procuration n'est recevable que s'il est assorti, dans le délai de saisine du juge de l'élection, de précisions suffisantes ; que, d'autre part, la requérante n'apporte aucun élément de nature à démontrer l'existence d'une fraude systématique dans la procédure de votes par procuration ; qu'il s'ensuit que son grief tiré de l'irrégularité du scrutin, en raison des défaillances dans l'acheminement des procurations et d'un usage frauduleux de ces dernières, n'est pas recevable, faute pour Mme V...d'avoir précisé, avant l'expiration du délai de recours de dix jours fixé par l'article L. 361 du code électoral, le nom des électeurs dont elle entendait soit contester le suffrage, soit démontrer qu'ils s'étaient trouvés dans l'impossibilité d'exprimer leur suffrage ;

9. Considérant, en troisième lieu, que si la requérante soutient que plusieurs personnalités locales auraient soutenu, notamment par voie de presse ou sur les réseaux sociaux, la liste conduite par M.L..., ces prises de position personnelles ne saurait être regardées comme un don au sens des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, et ne constituent pas davantage des actes de pression exercés sur les électeurs ; que, par ailleurs, la branche du grief tirée de ce que M. L...aurait bénéficié de facilités matérielles mises à sa disposition par plusieurs collectivités territoriales, dont l'imputation des montants afférents dans les dépenses électorales du candidat conduirait à un dépassement du plafond autorisé tel qu'il est déterminé à l'article L. 52-11 du code électoral, n'est pas accompagnée des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé ;

10. Considérant, enfin, que si Mme V...soutient avoir été l'objet de calomnies et de diffamations durant la campagne électorale, elle n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations ; qu'en effet, d'une part, le tract dont elle fait état, au sujet duquel n'est d'ailleurs apportée aucune précision quant à la date et l'ampleur de sa diffusion, ne revêt pas un caractère diffamatoire susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin ; que, d'autre part, la publication, à l'échelle nationale, du " livre noir des mairies FN " ne saurait être regardée comme une manoeuvre entachant d'irrégularité les opérations électorales se déroulant en région Provence-Alpes-Côte d'Azur ; que ce grief doit, par suite, être écarté ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. K...et Mme V... ne sont pas fondés à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées les 6 et 13 décembre 2015 en vue de l'élection des membres du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur ; que leurs conclusions tendant à ce que M. L...soit déclaré inéligible ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions de la protestation n° 395513 :

12. Considérant que M. S...a demandé que, pour le bureau de vote n° 128 du premier arrondissement de la ville de Marseille, le nombre de suffrages attribués, à l'issue du premier tour de scrutin, à la liste " ça va changer " soit inversé avec celui de la liste " Notre région, notre fierté ", afin de corriger une erreur matérielle intervenue lors de la transmission des résultats au bureau centralisateur ; que ces conclusions tendent uniquement à la rectification des chiffres inscrits au procès-verbal de recensement des votes, sans être de nature à mettre en cause ni les opérations électorales, ni l'attribution des sièges effectuée à leur issue ; que, n'ayant ainsi ni pour but, ni pour effet de modifier les résultats du scrutin, elles sont irrecevables ; que, par suite, sa protestation ne peut qu'être rejetée ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. L...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les protestations de M.K..., de M. S...et de Mme V...sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. L...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. O...K..., à M. N... S..., à Mme G...V..., à M. T...L..., à M. U... P..., à Mme R...D..., à Mme I...E..., à M. F...H..., à M. B... C..., à M. M... J...et à M. A...Q....
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur et à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


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