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Ariane Web: Conseil d'État 398737, lecture du 17 mai 2016, ECLI:FR:CEORD:2016:398737.20160517

Décision n° 398737
17 mai 2016
Conseil d'État

N° 398737
ECLI:FR:CEORD:2016:398737.20160517
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mardi 17 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 12 avril et 9 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité français d'accréditation (COFRAC), représenté par son président, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'instruction, contenue dans un courrier du 29 janvier 2016 du directeur général de la santé, fixant l'ordre de priorité de traitement des demandes d'accréditation des laboratoires de biologie médicale.



Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'instruction nécessiterait une restructuration importante qui perturberait l'organisation du service public administratif de l'accréditation des laboratoires ;
- elle porte un préjudice grave et immédiat à l'objet social du COFRAC, aux laboratoires de biologie médicale, aux usagers de santé et à l'intérêt public ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de cette instruction ;
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est dépourvue de base légale dès lors que l'article L. 1110-1 du code de la santé publique ne s'applique pas au COFRAC ;
- elle a été prise en méconnaissance du principe d'égalité de traitement dès lors que le fait de privilégier certains laboratoires pour leur accréditation ne repose ni sur des éléments objectifs ni sur des motifs d'intérêt général ;
- elle a été prise en violation du règlement (CE) n° 785/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 4 et 10 mai 2016, la ministre des affaires sociales et de la santé conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.




Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Comité français d'accréditation, d'autre part, la ministre des affaires sociales et de la santé ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 10 mai 2016 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du Comité français d'accréditation ;

- les représentants de la ministre des affaires sociales et de la santé ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 13 mai 2016 ;

Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 10 et 11 mai 2016, présentés par la ministre des affaires sociales et de la santé qui produit cinq comptes-rendus du conseil d'administration du COFRAC, deux courriels des 23 et 29 juillet 2015, deux courriers du 27 juillet 2015 et du 31 mars 2016 ainsi qu'un projet d'instruction adressé par le COFRAC le 23 juillet 2015, lesquels présentent les échanges entre le directeur général de la santé et le directeur du COFRAC relatifs au traitement des demandes d'accréditation des laboratoires de biologie médicale ;

Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 11 et 12 mai 2016, présentés par le COFRAC qui produit un extrait du rapport d'auto-évaluation réalisé par le COFRAC à destination de l'instance européenne de contrôle au sujet de son activité pour 2015, ainsi qu'un courrier de cette même instance du 16 février 2016 et deux comptes-rendus du conseil d'administration du COFRAC des 31 mars et 29 septembre 2015 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement CE n° 785/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;
- la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 ;
- le décret n° 2008-1401 du 19 décembre 2008 ;
- le décret n° 2015-205 du 23 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 6221-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale et de la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale : " Un laboratoire de biologie médicale ne peut réaliser d'examen de biologie médicale sans accréditation. / L'accréditation porte sur les trois phases, définies à l'article L. 6211-2, de l'ensemble des examens de biologie médicale réalisés par le laboratoire. / L'accréditation porte également, lorsque le laboratoire réalise ces activités ou examens : / 1° Sur les activités biologiques d'assistance médicale à la procréation ; / 2° Sur les examens d'anatomie et de cytologie pathologiques figurant soit à la nomenclature des actes de biologie médicale, soit à la nomenclature générale des actes professionnels " ; qu'aux termes du V de l'article 8 de cette même ordonnance : " Aucun laboratoire de biologie médicale non accrédité au sens de l'article L. 6221-1 du code de la santé publique ne peut fonctionner après le 1er novembre 2013 sans respecter les conditions définies par arrêté du ministre chargé de la santé justifiant de son entrée effective dans une démarche d'accréditation " ; qu'aux termes du I de l'article 7 de cette même ordonnance, dans sa rédaction issue de cette même loi : " (...) A compter du 1er novembre 2016, les laboratoires de biologie médicale ne peuvent fonctionner sans disposer d'une accréditation portant sur 50 % des examens de biologie médicale qu'ils réalisent. / A compter du 1er novembre 2018, les laboratoires de biologie médicale ne peuvent fonctionner sans disposer d'une accréditation portant sur 70 % des examens de biologie médicale qu'ils réalisent. / A compter du 1er novembre 2020, les laboratoires de biologie médicale ne peuvent fonctionner sans disposer d'une accréditation portant sur 100 % des examens de biologie médicale qu'ils réalisent. / (...) / Les accréditations prévues (...) portent sur chacune des familles d'examens de biologie médicale " ; qu'en vertu des II et IV du même article, l'autorisation administrative d'un laboratoire de biologie médicale délivrée en application du premier alinéa de l'article L. 6211-2, dans sa rédaction antérieure à la publication de l'ordonnance du 13 janvier 2010 continue de produire ses effets jusqu'à l'accréditation du laboratoire et au plus tard jusqu'au 1er novembre 2020 ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du I de l'article 137 de la loi du 4 août 2008 : " L'accréditation est l'attestation de la compétence des organismes qui effectuent des activités d'évaluation de la conformité. Afin de garantir l'impartialité de l'accréditation, il est créé une instance nationale d'accréditation, seule habilitée à délivrer les certificats d'accréditation en France. Un décret en Conseil d'Etat désigne cette instance et fixe ses missions " ; que le décret du 19 décembre 2008, en son article 1er, a désigné le Comité français d'accréditation (COFRAC), association régie par les dispositions de la loi du 5 juillet 1901, comme l'instance nationale d'accréditation ;

4. Considérant que par un courrier du 29 janvier 2016 adressé au président du COFRAC, le directeur général de la santé a donné instruction à cette association, en vue de permettre au plus grand nombre de laboratoires de biologie médicale d'être évalués en vue de leur accréditation partielle avant l'échéance du 31 octobre 2016, de procéder à une priorisation des actions d'évaluation ; à cette fin, il a été demandé au COFRAC de ne plus traiter les demandes d'évaluation selon leur ordre d'enregistrement mais de commencer par les laboratoires n'ayant pas encore fait l'objet d'une évaluation initiale, de poursuivre par les évaluations concernant les laboratoires accrédités pour moins de 50% des actes qu'ils accomplissent et qui sollicitent une extension de leur accréditation en vue de respecter les critères posés par l'ordonnance du 13 janvier 2010 à l'échéance du 1er novembre 2016 et de ne réaliser les évaluations correspondant à des demandes d'accréditation de laboratoires qui remplissent d'ores et déjà ces critères qu'au fur et à mesure que les ressources en évaluateurs le permettront ;

5. Considérant que pour justifier de l'urgence à suspendre la décision contenue dans ce courrier, le COFRAC soutient en premier lieu que cette décision porte une atteinte grave et immédiate à ses propres intérêts et, à travers lui, à ceux du système national d'accréditation ; qu'une telle atteinte résulterait de ce que le respect de l'instruction donnée par le directeur général de la santé impliquerait pour le COFRAC de méconnaître le règlement du 9 juillet 2008 fixant les prescriptions relatives à l'accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits ainsi que les prescriptions contenue dans la norme ISO/CEI 17011 relative aux organismes d'accréditation procédant à l'accréditation d'organismes d'évaluation de la conformité, dans des conditions susceptibles de remettre en cause la reconnaissance du système français d'accréditation par l'instance européenne d'accréditation, laquelle doit procéder à une évaluation du COFRAC en juin 2016 ; que la méconnaissance alléguée du règlement et de la norme précités porte, d'une part, sur ce que le traitement des demandes d'évaluation dans un ordre différent de celui de leur enregistrement constituerait une violation du principe d'impartialité, dans le respect duquel les opérations d'accréditations doivent être conduites, ainsi que des engagements pris par le COFRAC auprès de l'instance européenne d'accréditation, d'autre part, sur ce que l'instruction impliquerait le non respect des délais dans lesquels les opérations de suivi et de contrôle des laboratoires déjà accrédités doivent être effectuées ; que s'agissant du premier point, le principe d'impartialité, auquel est tenu le COFRAC dans l'exercice de sa mission de service public d'accréditation, n'impose pas, par lui-même, un traitement des demandes d'évaluation dans leur strict ordre d'enregistrement ; qu'en l'espèce, le traitement temporaire de ces demandes dans un ordre visant à garantir, pour des motifs tenant aux intérêts de la santé publique, l'accréditation, dans les délais fixés par la loi, du plus grand nombre de laboratoires de biologie médicale n'apparaît pas comme discriminatoire, alors surtout qu'il ressort des indications données par les parties à l'audience que la quasi-totalité des demandes d'accréditation ont été enregistrées dans une période de temps très limitée, à savoir le dernier mois imparti pour ce faire par un décret du 23 février 2015 ; que, par ailleurs, le COFRAC n'établit pas en quoi le respect des instructions données par le directeur général de la santé à compter de fin janvier 2016 le conduirait à se placer en contradiction avec les indications contenues dans le rapport d'auto-évaluation qu'il a transmis le 17 mars 2016 à l'instance européenne d'accréditation selon lesquelles il procède à l'examen des demandes d'accréditation des laboratoires selon leur ordre d'enregistrement, dès lors que ce rapport décrit seulement son activité jusqu'au 31 décembre 2015 ; que s'agissant du second point, si la lettre du 29 janvier 2016 mentionne que le COFRAC devra repousser " si nécessaire l'examen des demandes formulées dans le cadre du suivi ou d'extensions par les laboratoires qui ont déjà franchi le seuil de 50% ", il ressort tant des précisions apportées par la représentante du ministère lors du conseil d'administration du COFRAC du 31 mars 2016 que des indications données à l'audience par le directeur général de la santé que cette mention n'a pas pour portée, et ne saurait avoir pour effet, d'imposer au COFRAC de reporter l'ensemble des évaluations de surveillance et de contrôle en méconnaissance des normes au respect desquelles il est tenu ; que cette mention ne peut être interprétée que comme une invitation faite au COFRAC, sous sa responsabilité et sa libre appréciation, de reporter temporairement celles des évaluations de contrôle et de suivi qui n'apparaissent pas indispensables au respect des normes relatives à l'accréditation ; qu'enfin, si le COFRAC soutient que l'exécution de la décision contestée nécessiterait une restructuration importante de son activité qui perturberait l'organisation du service public administratif de l'accréditation des laboratoire, cette allégation n'est pas assortie des précisions permettant d'en apprécier les conséquences au regard de la question de l'urgence ; que dans ces conditions, il n'est pas établi par le COFRAC que le respect des instructions contenues dans la lettre du 29 janvier 2016 porterait à ses propres intérêts comme à ceux du système français d'accréditation une atteinte suffisamment grave et immédiate pour être constitutive d'une situation d'urgence ;

6. Considérant que pour justifier de l'urgence à suspendre la décision contestée, le COFRAC soutient en second lieu que celle-ci porterait atteinte aux intérêts des laboratoires de biologie médicale ainsi qu'à ceux de la santé publique ; que, toutefois, le V de l'article 8 de l'ordonnance du 13 janvier 2010 impose aux laboratoires de biologie médicale une " entrée effective dans une démarche d'accréditation " au plus tard le 1er novembre 2013 ; que les conditions justificatives de cette entrée dans la démarche d'accréditation ont été définies par un arrêté du 17 octobre 2012 de la ministre des affaires sociales et de la santé ; que la loi du 30 mai 2013 a modifié l'ordonnance du 13 janvier 2010 pour repousser de quatre ans la date limite d'accréditation totale des laboratoires de biologie médicale et pour prévoir une accréditation par paliers ; que les laboratoires avaient ainsi tout loisir de présenter, sans attendre l'expiration des délais fixés par le décret du 23 février 2015, leurs demandes d'accréditation dans un délai utile pour que le COFRAC puisse conduire les démarches d'évaluation et prendre une décision avant le 31 octobre 2016 ; que les préjudices que pourraient subir les laboratoires de biologie médicale en cas de défaut d'accréditation suffisante à la date du 1er novembre 2016 seraient dès lors largement imputables à leur propre inertie et ne sauraient davantage caractériser une situation d'urgence, alors au surplus que l'ordre de priorité dans l'examen des demandes fixé par le directeur général de la santé vise précisément à réduire au maximum le nombre de laboratoires qui pourraient se trouver en situation de ne plus pouvoir exercer leur activité à cette date ; pour les mêmes motifs, aucune atteinte aux intérêts de la santé publique ne peut être invoquée pour démontrer l'existence d'une situation d'urgence ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner si l'un au moins des moyens soulevés par le COFRAC est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, la demande tendant à ce que soit ordonnée la suspension de son exécution doit être rejetée ;

O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du Comité français d'accréditation est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au Comité français d'accréditation et à la ministre des affaires sociales et de la santé.