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Ariane Web: Conseil d'État 396691, lecture du 13 juin 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:396691.20160613

Décision n° 396691
13 juin 2016
Conseil d'État

N° 396691
ECLI:FR:CECHR:2016:396691.20160613
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Marie-Anne Lévêque, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du lundi 13 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 12 mars 2015 du juge des référés du même tribunal enjoignant à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de procéder à sa réintégration dans ses fonctions hospitalières et, d'autre part, d'en augmenter le montant.

Par une ordonnance n° 1510255 du 19 janvier 2016, le juge des référés a prononcé la liquidation de cette astreinte à hauteur de 51 000 euros et a enjoint à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de procéder à la réintégration de Mme A...dans un délai de trois mois sous astreinte de 250 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 février, 18 février et 30 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de Mme A...la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 84-135 du 24 février 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Anne Lévêque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, et à la SCP Gaschignard, avocat de Mme A...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er juin 2016, présentée par Mme A... ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu le jugement d'en assurer l'exécution " ; qu'aux termes de l'article L. 911-7 du même code : " En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. Sauf s'il est établi que l'inexécution de la décision provient d'un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l'astreinte définitive lors de sa liquidation. Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée " ;

2. Considérant que la liquidation de l'astreinte à laquelle procède le juge des référés se rattache à la même instance contentieuse que celle qui a été ouverte par la demande d'astreinte dont elle est le prolongement procédural ; que, dès lors, il appartient au juge des référés qui, par une ordonnance prise sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a assorti d'une astreinte l'injonction faite à l'une des parties, de statuer sur les conclusions tendant à ce que cette astreinte soit liquidée ; qu'il peut procéder à cette liquidation soit d'office, soit à la demande d'une autre partie s'il constate que les mesures qu'il avait prescrites n'ont pas été exécutées ; que les voies de recours ouvertes contre les ordonnances du juge des référés prononçant la liquidation d'une astreinte qu'il a lui-même prononcée sont celles ouvertes contre les ordonnances prononçant l'astreinte ;

3. Considérant que Mme B...A..., professeur des universités - praticien hospitalier, affectée à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, a été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire dans l'intérêt du service par un arrêté en date du 27 juillet 2012 ; que, par une ordonnance du 2 septembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu la décision de la directrice des hôpitaux universitaires de Paris-Sud rejetant la demande de levée de la suspension de Mme A...et a enjoint à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de procéder à sa réintégration dans un délai de trois mois à compter de la notification de sa décision ; que, saisie à nouveau par MmeA..., sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, le juge des référés, constatant que son ordonnance n'avait pas été exécutée, a enjoint à l'administration, par une nouvelle ordonnance en date du 12 mars 2015, de procéder à la réintégration de Mme A...dans ses fonctions hospitalières dans le délai de trois semaines à compter de la notification de sa décision et a assorti cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ; que, saisi par Mme A...sur le fondement de l'article L. 911-4 du même code, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, par une ordonnance du 19 janvier 2016, contre laquelle l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris se pourvoit en cassation, liquidé l'astreinte à hauteur de 51 000 euros, enjoint à l'administration de réintégrer Mme A...dans un délai de trois mois à compter de la notification de son ordonnance et assorti cette injonction d'une astreinte de 250 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;

4. Considérant que le juge des référés du tribunal administratif de Melun a estimé, pour procéder à la liquidation de l'astreinte, que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris devait être regardée comme n'ayant pas réellement satisfait à l'obligation qui pesait sur elle, dès lors qu'en dépit de la décision de la directrice des hôpitaux universitaires de Paris-Sud de réintégrer Mme A...dans les fonctions qu'elle occupait avant sa suspension au sein du service de génétique, pharmacologie et hormonologie de l'hôpital Bicêtre, d'une part, cette dernière n'avait pas disposé de tous les moyens nécessaires à l'exercice de ces fonctions et, d'autre part, il avait été mis fin à son rattachement à ce service après quelques mois ;

5. Considérant que lorsqu'une décision de justice enjoint à l'administration de réintégrer un agent illégalement évincé sur l'emploi même qu'il occupait antérieurement et que l'autorité compétente prend une décision en ce sens, le juge de l'astreinte ne peut conclure à la non-exécution de l'injonction que s'il constate que la décision ordonnant sa réintégration n'a manifestement pas été suivie d'effets ; qu'en dehors de ce cas, la contestation par l'intéressé des modalités de sa réintégration et par là même du caractère effectif de sa réintégration constitue un litige distinct dont il n'appartient pas au juge de l'exécution de connaître ; que, par suite, en relevant que l'appréciation du caractère effectif de la réintégration de Mme A...ne soulevait pas un litige distinct sans rechercher si la décision de réintégration n'avait manifestement pas été suivie d'effets, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure engagée par Mme A...;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que MmeA..., professeur des universités - praticien hospitalier, a fait l'objet d'une décision de réintégration, à compter du 13 avril 2015, dans l'emploi qu'elle occupait avant sa suspension dans le service de génétique moléculaire, pharmacologie et hormonologie ; que si elle a été finalement informée, par une lettre en date du 20 octobre 2015, qu'il était mis un terme à son affectation sur cet emploi, cette décision, intervenue à l'issue de cinq réunions organisées à l'initiative de la directrice des hôpitaux universitaires de Paris-Sud pour assurer le suivi de la réintégration de l'intéressée, a été prise en raison des difficultés qu'entraînait pour la bonne marche du service le comportement de MmeA..., eu égard, notamment aux appréciations critiques qu'elle portait en permanence sur son fonctionnement et aux très mauvaises relations qu'elle entretenait non seulement avec sa hiérarchie mais aussi avec les agents ; qu'elle ne peut soutenir, dans ces conditions, que la décision juridictionnelle ordonnant sa réintégration n'a manifestement pas été suivie d'effet ; que si elle conteste les modalités de sa réintégration et par là même son effectivité, une telle contestation relève d'un litige distinct de l'exécution de la décision juridictionnelle ordonnant sa réintégration ; qu'en tout état de cause, il résulte de l'instruction qu'elle ne saurait être regardée comme n'ayant pas été mise à même d'exercer ses fonctions, dès lors que les contraintes qu'elle a pu subir, en termes de moyens matériels, lors de la reprise de ses activités hospitalières, ont été largement imputables non au comportement de l'administration, mais à ses propres choix, et en particulier à son refus de se soumettre à la procédure d'habilitation induite par l'accréditation obtenue par le laboratoire durant sa suspension ; que, par suite, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ayant exécuté l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 12 mars 2015, il n'y a pas lieu de liquider l'astreinte prononcée par cette ordonnance ni de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A...;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...une somme de 3 000 euros à verser à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris au titre de l'ensemble de la procédure d'exécution ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 19 janvier 2016 est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de prononcer la liquidation de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 12 mars 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Melun ni de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A...devant le tribunal administratif de Melun.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Mme A...versera une somme de 3 000 euros à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et à Mme B...A....
Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales et de la santé et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


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