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Ariane Web: Conseil d'État 397983, lecture du 16 juin 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:397983.20160616

Décision n° 397983
16 juin 2016
Conseil d'État

N° 397983
ECLI:FR:CECHR:2016:397983.20160616
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Jean-Marc Anton, rapporteur


Lecture du jeudi 16 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...B..., à l'appui de sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ainsi que des pénalités dont elles ont été assorties, a produit un mémoire, enregistré le 19 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 1503572 du 14 mars 2016, enregistré le 16 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce tribunal, avant qu'il soit statué sur la demande de M. B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par un nouveau mémoire enregistré le 25 avril 2016, M. B... soutient que cette disposition méconnaît le principe de l'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, garantis par l'article 8 de cette même Déclaration.

Par un mémoire, enregistré le 11 avril 2016, le ministre des finances et des comptes publics soutient que les conditions posées par les articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ne sont pas remplies faute pour la question soulevée de présenter un caractère sérieux.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Anton, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;



1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 1728 du code général des impôts : " Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; / b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte " ; qu'aux termes de l'article 1731 bis du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012 : " 1. Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, les déficits mentionnés aux I et I bis de l'article 156 et les réductions d'impôt ne peuvent s'imputer sur les rehaussements et droits donnant lieu à l'application de l'une des majorations prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 " ;

3. Considérant que M. B... soutient que l'article 1731 bis du code général des impôts méconnaît le principe de l'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, garantis par l'article 8 de cette même Déclaration ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les pénalités contestées par M. B..., qui a fait l'objet de rehaussements d'impôt sur le revenu, lui ont été appliquées sur le fondement du b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts ; que l'administration lui a fait application du 1 de l'article 1731 bis du même code dans sa rédaction précitée issue de la loi du 14 mars 2012 ; que, par suite, seules sont applicables au litige ces dernières dispositions en tant qu'elles portent sur l'application du b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts ; que ces règles en litige sont toujours prescrites par l'actuel article 1731 bis du code général des impôts ;

5. Considérant que ces dispositions n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que la question de savoir si elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, présente un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée dans la mesure définie au point 4 ;


D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012, en tant qu'elles portent sur l'application du b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B...en tant qu'elle porte sur les dispositions de l'article 1731 bis du code général des impôts autres que celles mentionnées à l'article 1er.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au Premier ministre et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée, pour information, au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.