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Ariane Web: Conseil d'État 390031, lecture du 6 juillet 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:390031.20160706

Décision n° 390031
6 juillet 2016
Conseil d'État

N° 390031
ECLI:FR:CECHR:2016:390031.20160706
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 5ème chambres réunies
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur
Mme Maud Vialettes, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 6 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, le syndicat CGT des espaces verts, sports, préventions et cimetières, le syndicat CGT des personnels de grande maîtrise des administrations parisiennes, le syndicat unitaire des personnels des administrations parisiennes, le syndicat Force Ouvrière de la Ville de Paris et le syndicat Solidaire Unitaire Démocratique Collectivités Territoriales - Ville de Paris ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la note de service du secrétaire général de la Ville de Paris du 23 mars 2015 relative aux modalités d'exercice du droit de grève dans les équipements sportifs de la ville de Paris. Par une ordonnance n° 1505879 du 21 avril 2015, le juge des référés a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7, 21 mai et le 2 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code du travail ;
- l'arrêté du 5 avril 2014 de la maire de Paris portant délégation de signature ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 juin 2016, présentée par la Ville de Paris ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'à l'occasion d'un conflit social opposant la Ville de Paris à ses agents employés dans les équipements sportifs de la ville, le secrétaire général de la Ville de Paris a, par la note de service contestée du 23 mars 2015, imposé à tous les agents travaillant dans ces équipements, d'une part, de se déclarer grévistes au moins 48 heures avant le début de la grève fixée dans le préavis, en précisant la durée de la cessation de leur activité, et, d'autre part, d'exercer leur droit de grève à leur prise de service ;

Sur les conclusions aux fins de non-lieu présentées par la Ville de Paris :

3. Considérant que la note de service du 23 mars 2015 fixe des règles qui ne revêtent pas un caractère temporaire ; que, par suite, la circonstance que cette note a été prise dans le contexte d'un mouvement de grève qui a cessé en juillet 2015 ne prive pas le présent litige de son objet ;

Sur le pourvoi :

4. Considérant que par arrêté du 5 avril 2014 publié au bulletin municipal officiel de la Ville de Paris du 7 avril 2014, la maire de Paris a délégué sa signature à M. Philippe Chotard, secrétaire général de la Ville de Paris " à l'effet de signer tous les arrêtés, actes ou décisions préparés par les services placés sous son autorité ainsi que les décisions de préemption et l'exercice du droit de priorité prévus au code de l'urbanisme, à l'exception : / - des projets de délibération et des communications au Conseil de Paris ; / - des arrêtés portant nomination des directeurs généraux, directeurs, sous-directeurs, chefs de service de la Ville de Paris " ; que, par suite, en jugeant que n'était pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée le moyen tiré de ce que le secrétaire général de la Ville de Paris n'avait pas compétence pour la signer, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit ;

5. Considérant qu'en indiquant dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'Assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l'une des modalités et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte ; qu'en l'absence de la complète législation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l'ordre public ou aux besoins essentiels du pays ; qu'en l'état de la législation, il appartient à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et l'étendue de ces limitations pour les services dont l'organisation lui incombe ;

6. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'en imposant aux agents employés dans les équipements sportifs de la ville qui entendent exercer leur droit de grève de le faire à leur prise de service, le secrétaire général de la Ville de Paris a entendu prévenir les risques de désordres résultant notamment, en cas d'exercice du droit de grève en cours de service, de l'obligation d'évacuer de ces équipements le public qui y aurait déjà pénétré ; qu'eu égard à l'office attribué au juge des référés par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit en jugeant, par une ordonnance qui est suffisamment motivée sur ce point, que n'était pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée les moyens tirés de ce qu'elle était, sur ce point, entachée d'incompétence et de ce qu'elle apportait, sur ce même point, une limitation illégale à l'exercice du droit de grève ;

7. Considérant en revanche, d'autre part, qu'en imposant à chaque agent employé dans les équipements sportifs de la ville de se déclarer gréviste, non pas 48 heures avant la date à laquelle il entend personnellement participer à un mouvement de grève, mais 48 heures avant le début de la grève fixé dans le préavis, la note attaquée apporte au droit de tout agent de rejoindre un mouvement de grève déjà engagé, des restrictions dont il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'elles excèdent ce qui est nécessaire pour prévenir un usage abusif de la grève dans les établissements sportifs de la Ville de Paris et qui ne sont justifiées ni par les nécessités de l'ordre public ni par les besoins essentiels du pays ; que, par suite, en jugeant que n'était pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée le moyen tiré de ce qu'elle apportait, sur ce point, une limitation illégale à l'exercice du droit de grève, le juge des référés a commis une erreur de droit ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance attaquée doit être annulée en tant seulement qu'elle rejette la demande de suspension de la note de service du 23 mars 2015 en tant que celle-ci fait obligation à tout agent de se déclarer gréviste 48 heures avant le début de la grève fixé dans le préavis ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

10. Considérant que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

11. Considérant qu'en l'état de l'instruction, le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres ne font mention d'aucune circonstance de nature à établir, à la date de la présente décision, l'existence d'une urgence à suspendre la disposition contestée ; que, par suite, la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la demande formée par le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres doit être rejetée ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 21 avril 2015 est annulée en tant qu'elle rejette la demande du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres tendant à la suspension de l'exécution de la note de service du secrétaire général de la Ville de Paris du 23 mars 2015 en tant que celle-ci fait obligation à tout agent travaillant dans les établissements sportifs de la Ville de Paris de se déclarer gréviste 48 heures avant le début de la grève fixé dans le préavis.
Article 2 : La demande présentée par le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux et autres devant le tribunal administratif de Paris tendant à la suspension de l'exécution de la note de service du secrétaire général de la Ville de Paris du 23 mars 2015 en tant que celle-ci fait obligation à tout agent travaillant dans les établissements sportifs de la Ville de Paris de se déclarer gréviste 48 heures avant le début de la grève fixé dans le préavis et le surplus des conclusions de leur pourvoi sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la Ville de Paris présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, premier requérant dénommé, et à la Ville de Paris.
Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


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