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Ariane Web: Conseil d'État 389936, lecture du 11 juillet 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:389936.20160711

Décision n° 389936
11 juillet 2016
Conseil d'État

N° 389936
ECLI:FR:CECHR:2016:389936.20160711
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Luc Briand, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du lundi 11 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association " Observatoire indépendant du cadre de vie " (OICV) a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 juillet 2011 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a déclaré d'utilité publique, au profit de la commune de Saint-Thibault-des-Vignes, les travaux et acquisitions foncières nécessaires à la réalisation de la zone d'aménagement concerté du Centre-Bourg. Par un jugement n° 1107347/4 du 4 juillet 2013, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.

Par un arrêt n° 13PA03637-13PA03638-13PA03642-14PA00759- 14PA00950 du 2 mars 2015, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la commune de Saint-Thibault-des-Vignes, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par l'association OICV.

Par un pourvoi sommaire et quatre mémoires complémentaires, enregistrés les 4 mai, 29 juillet et 23 septembre 2015 et les 30 mai et 27 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association OICV demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, de la commune de Saint-Thibault-des-Vignes et de la société Aménagement 77, le versement d'une somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Luc Briand, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'association Observatoire indépendant du cadre de vie, et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la commune de Saint-Thibault-des-Vignes et de la société anonyme d'économie mixte à conseil d'administration Aménagement 77 ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 17 décembre 2009, le conseil municipal de Saint-Thibault-des-Vignes a demandé au préfet de Seine-et-Marne l'ouverture d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique des travaux et acquisitions nécessaires à la réalisation de la zone d'aménagement concerté (ZAC) du Centre Bourg située sur le territoire de la commune ; qu'à l'issue de l'enquête publique, qui s'est déroulée du 11 octobre au 13 novembre 2010, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable au projet ; que, par un arrêté du 28 juillet 2011, le préfet de Seine-et-Marne a déclaré d'utilité publique les travaux et acquisitions foncières nécessaires à la réalisation de cette ZAC ; que, par un jugement du 4 juillet 2013, le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté ; que l'association Observatoire indépendant du cadre de vie (OICV) se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 mars 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, à la demande du ministre de l'intérieur et de la commune de Saint-Thibault-des-Vignes, annulé ce jugement et rejeté sa demande ;

2. Considérant qu'une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à l'environnement et à d'autres intérêts publics et privés qu'elle comporte ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente ;

3. Considérant que, pour rejeter le moyen tiré de l'absence d'utilité publique du projet, la cour administrative d'appel, après avoir énoncé que l'expropriation envisagée n'avait pas pour seule finalité la satisfaction d'intérêts privés, s'est bornée à énoncer que le préfet n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'opération présentait un intérêt public justifiant les atteintes portées à l'environnement et à la propriété privée ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de vérifier si les atteintes alléguées aux intérêts publics et privés n'étaient pas excessifs au regard de l'intérêt de l'opération, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, pour ce motif, être annulé en tant qu'il statue sur les requêtes au fond, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme : " Les zones d'aménagement concerté sont les zones à l'intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d'intervenir pour réaliser ou faire réaliser l'aménagement et l'équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés. " ; qu'aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : I.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le plan général des travaux ; 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; 5° L'appréciation sommaire des dépenses ; (...) " ; que, dans le cas de la création d'une zone d'aménagement concerté, l'appréciation sommaire des dépenses doit inclure les dépenses nécessaires à l'aménagement et à l'équipement des terrains et, le cas échéant, le coût de leur acquisition ; qu'en revanche, les dépenses relatives aux ouvrages qui seront ultérieurement construits dans le périmètre de la zone n'ont pas à être incluses ; qu'en l'espèce, le programme de la ZAC prévoit que, sur une période d'environ dix années, l'aménageur fera réaliser par des entrepreneurs privés et selon un mode de financement approprié, la construction de logements neufs, d'une résidence pour personnes âgées et de locaux d'activité et qu'il sera en outre procédé à l'extension du centre culturel et de locaux techniques communaux ainsi qu'à la création d'un cimetière ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dépenses afférentes à ces constructions n'avaient pas à être incluses dans l'estimation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête de la ZAC du Centre-Bourg ; qu'ainsi, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté attaqué, le tribunal administratif de Melun s'est fondé sur le motif que l'appréciation sommaire des dépenses figurant au dossier de l'enquête publique était sous-évaluée, faute de prise en compte de ces dépenses ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif par l'association OICV ;

7. Considérant, en premier lieu, que si l'association Observatoire indépendant du cadre de vie soutient que les avis annonçant l'ouverture de l'enquête publique sur le terrain n'étaient pas lisibles et que ce défaut de publicité entacherait ainsi la régularité de la procédure, elle n'apporte aucun élément à l'appui de cette allégation ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le service des domaines a été consulté le 11 juin 2009 ; que le moyen tiré de l'absence de consultation de ce service manque donc en fait ;

9. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du 3ème alinéa de l'article R. 11-14-14 du code de l'expropriation, alors applicable : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à la déclaration d'utilité publique de l'opération " ; qu'il résulte de ces dispositions que seules les conclusions du commissaire enquêteur doivent être motivées ; qu'en l'espèce, les conclusions du commissaire font l'objet d'un document séparé concluant à l'utilité publique du projet ; que le commissaire enquêteur justifie cet avis favorable au projet par son objet, qui vise à renforcer le centre bourg, à rattacher au reste de la commune des " dents creuses " dans lesquelles se développe un habitat anarchique et précaire, à répondre aux objectifs en matière de logement prévus par le plan local de l'habitat, à permettre un relogement adapté des personnes occupant un habitat précaire et à rééquilibrer la répartition de la population sur l'ensemble du territoire de la commune ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le rapport du commissaire enquêteur serait insuffisamment motivé ne peut qu'être écarté ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que la notice explicative figurant au dossier soumis à l'enquête publique expose la compatibilité du projet avec les différents documents d'urbanisme en vigueur, les motifs ayant conduit à son adoption et à sa localisation ainsi que les différents éléments du programme d'équipements et de constructions prévus dans la zone d'aménagement concerté ; qu'elle est ainsi suffisante pour éclairer le public ;

11. Considérant, en cinquième lieu, que le plan général des travaux présente le lieu d'implantation des locaux d'activités prévus pour être intégrés à la zone de logements neufs, lesquels sont précisément situés dans le secteur dits " des Rédars " ;

12. Considérant, en sixième lieu, que les documents soumis à l'enquête publique doivent permettre aux intéressés de connaître la nature et la localisation des travaux prévus ainsi que les caractéristiques générales des ouvrages les plus importants ; qu'en l'espèce, le dossier présente les caractéristiques essentielles du programme de logements prévu dans la zone, notamment la taille des habitations ;

13. Considérant, en septième lieu, que le moyen tiré de l'absence d'examen, dans l'étude d'impact, des conséquences de la création de la ZAC sur la circulation, le stationnement et les modes de déplacements manque en fait ;

14. Considérant, en huitième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le tableau retraçant l'appréciation sommaire des dépenses figurant au dossier d'enquête ne comprend aucun bâtiment, ce qui se traduit par une ligne intitulée " travaux de bâtiments " sans aucun montant, cependant que les cinq lignes suivantes, dont le total aboutit au montant de 3 441 165 euros mentionné dans le jugement attaqué, retracent des dépenses liées aux travaux d'aménagement ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ce montant, qui, ainsi qu'il a été dit, n'avait pas à inclure les dépenses relatives aux ouvrages qui seront ultérieurement construits dans le périmètre de la zone, serait sous-évalué ;

15. Considérant, en neuvième lieu, que l'étude d'impact initiale réalisée en 2006 et l'étude complémentaire de 2009 figurant dans le dossier soumis à enquête décrivent précisément la géomorphologie et l'hydrographie de la zone concernée et l'instabilité des terrains qui en résulte, rappellent les dix arrêtés de catastrophe naturelle intervenus dans la zone à la suite des phénomènes de retrait/gonflement des sols argileux, analysent les risques temporaires et permanents résultant des travaux, notamment les effets sur les réseaux enterrés, en prenant notamment en compte l'imperméabilisation du sol et du sous-sol et définissent les mesures à prendre pour limiter les risques, notamment en ce qui concerne l'adaptation des constructions, les dispositions à prévoir dans les cahiers des charges de cession des terrains et le dimensionnement des dispositifs d'évacuation des eaux pluviales ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'étude d'impact serait insuffisante s'agissant des questions relatives à l'instabilité des terrains, à ses conséquences et aux mesures compensatoires qu'elle implique ;

16. Considérant, enfin, qu'il ressort des pièces du dossier que le projet de ZAC, qui tend à donner une cohérence au bourg de la commune en renforçant son centre et en y comblant deux zones dites de " dents creuses ", à supprimer des habitats précaires, à équilibrer la répartition de la population sur le territoire de la commune et à créer une offre de logements supplémentaires diversifiée dont les nouveaux habitants contribueront à l'utilisation des surcapacités identifiées pour certains des équipements existants, notamment en matière d'enseignement, présente un caractère d'utilité publique ; qu'eu égard notamment à la circonstance que les équipements supplémentaires seront, conformément à la recommandation émise en ce sens par le commissaire enquêteur, créés au fur et à mesure de l'émergence des besoins de la population et qu'une opération de relogement dans les nouveaux logements des gens du voyage, actuellement hébergés dans des abris précaires, sera conduite, les coûts que l'opération comporte pour la collectivité ne peuvent être regardés comme excessifs par rapport à l'intérêt qu'elle présente ; que, dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'expropriation a pour seule finalité la satisfaction d'intérêts privés et le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les coûts de l'opération n'étaient pas de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué ;

18. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par l'association OICV au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association OICV la somme de 4 500 euros à verser à la commune de Saint-Thibault-des-Vignes et la somme de 1 500 euros à verser à la société anonyme d'économie mixte Aménagement 77 au titre des frais exposés par elles devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Paris et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 à 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 mars 2015 sont annulés.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 4 juillet 2013 est annulé.

Article 3 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Melun par l'association OICV est rejetée.

Article 4 : L'association OICV versera à la commune de Saint-Thibault-des-Vignes la somme de 4 500 euros et à la société anonyme d'économie mixte Aménagement 77 la somme de 1 500 euros.

Article 5 : Les conclusions de l'association OICV présentées devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune Saint-Thibault-des-Vignes, à la société anonyme d'économie mixte Aménagement 77 et à l'association " Observatoire indépendant du cadre de vie ". Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.


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