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Ariane Web: Conseil d'État 370630, lecture du 19 juillet 2016, ECLI:FR:CECHS:2016:370630.20160719

Décision n° 370630
19 juillet 2016
Conseil d'État

N° 370630
ECLI:FR:CECHS:2016:370630.20160719
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
Mme Nathalie Escaut, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; CORLAY, avocats


Lecture du mardi 19 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Poste a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, de condamner la commune de Mandelieu-la-Napoule à lui verser la somme de 1 670 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la faute que celle-ci aurait commise en refusant de procéder à la cession des terrains et des locaux du bureau de poste et du centre de distribution situés sur le territoire de la commune et, à titre subsidiaire, de la reconnaître propriétaire de ces terrains et locaux par prescription acquisitive. Par un jugement n° 0602802 du 12 octobre 2010, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 10MA04494 du 28 mai 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par La Poste contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juillet et 29 octobre 2013 et le 21 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, La Poste demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Mandelieu-la-Napoule le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de La Poste et à Me Corlay, avocat de la mairie de Mandelieu-la-Napoule ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un acte du 18 février 1976, dénommé " convention ", le maire de la commune de Mandelieu-la-Napoule s'est engagé à céder gratuitement à l'Etat, en vue de l'installation du futur hôtel des postes, des locaux dont la commune était propriétaire dans une résidence et un terrain mitoyen à ces locaux qui lui appartenait également ; que l'Etat a procédé à l'aménagement du bureau de poste dans ces locaux et à la construction d'un centre de distribution sur le terrain ; que cet ensemble immobilier a été occupé à titre gratuit avec l'accord de la commune à compter de 1979 successivement par l'Etat et par La Poste, sans qu'aucun acte de cession n'ait été signé ; que, par décision du 14 avril 2006, la commune a rejeté la demande indemnitaire formée par La Poste tendant au versement d'une somme de 1 670 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la faute qu'aurait commise la commune en refusant de procéder au transfert de propriété auquel elle s'était engagée par la " convention " du 18 février 1976 ; que, par un jugement du 12 octobre 2010, le tribunal administratif de Nice a jugé que la commune avait commis une faute en n'établissant pas, en méconnaissance de cette " convention ", un acte de cession des biens en cause au profit de l'Etat, mais que La Poste n'établissait pas la réalité du préjudice qu'elle alléguait ; que, par l'arrêt attaqué du 28 mai 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé, en premier lieu, que les conclusions de La Poste tendant à ce qu'il soit constaté qu'elle était propriétaire des biens immobiliers en litige étaient irrecevables, en second lieu, que ses conclusions subsidiaires en revendication de propriété par la voie de la prescription acquisitive étaient portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et enfin, que ses conclusions indemnitaires également subsidiaires devaient être rejetées, en l'absence de faute de la commune ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'il n'appartient en principe qu'à l'autorité judiciaire de constater une éventuelle prescription acquisitive sur un terrain dépendant du domaine privé de l'Etat ou d'une collectivité territoriale ; qu'en conséquence, compte tenu de l'état de l'instruction du dossier qui lui était soumis, des diligences qu'elle avait faites et de l'argumentation des parties, la cour, qui a pu estimer par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation et sans inexacte qualification juridique que l'ensemble immobilier en litige appartenait au domaine privé, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les conclusions de La Poste tendant à ce qu'il soit reconnu qu'elle en était devenue propriétaire, par voie de prescription acquisitive de propriété, devaient être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

3. Considérant, en second lieu, qu'après avoir jugé, comme il vient d'être dit, que les conclusions de La Poste présentées sur le fondement de la prescription acquisitive avaient été portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, la cour a examiné les conclusions indemnitaires de La Poste, fondées sur la faute qu'aurait commise la commune en refusant de procéder au transfert de propriété auquel elle s'était engagée par la " convention " du 18 février 1976 ; qu'il n'y avait lieu d'examiner ces conclusions indemnitaires que dans l'hypothèse où les conclusions présentées sur le fondement de la prescription acquisitive auraient été rejetées ; que, dès lors, en examinant ces conclusions indemnitaires sans surseoir à statuer, la cour a méconnu son office ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille doit être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires présentées par La Poste ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il résulte de la réponse de la commune à la mesure supplémentaire d'instruction à laquelle a procédé le Conseil d'Etat, qui n'a pas été utilement contestée par La Poste, que l'ensemble immobilier en litige, qui appartenait en 1976 à une copropriété, est sorti de cette copropriété le 3 mars 1999 ; que les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu'elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu'avec les caractères des ouvrages publics ; qu'en conséquence, avant le 3 mars 1999, l'ensemble immobilier en litige ne pouvait, en tout état de cause, ni appartenir au domaine public, ni constituer un ouvrage public ; qu'en revanche, à compter de cette date, l'ensemble immobilier en litige, qui ne faisait plus partie d'une copropriété, appartenait à une personne publique et était affecté au service public postal, est entré dans le domaine public ;

7. Considérant que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ; que les biens appartenant au domaine public sont imprescriptibles ; que, dès lors que l'ensemble immobilier en litige est entré en 1999 dans le domaine public, La Poste n'a, en tout état de cause, pas pu en devenir propriétaire par la voie de la prescription acquisitive ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'Etat et la commune se sont accommodés, jusqu'à la contestation élevée par La Poste au début des années 2000, à une date où l'ensemble immobilier en litige était entré dans le domaine public, de l'état de fait rappelé au point 1 ; que l'Etat n'a jamais demandé que la " convention " de 1976 qui, compte tenu de ce qui est dit au point 6, ne pouvait constituer une offre de concours, soit exécutée ; que la commune s'est comportée en propriétaire de l'ensemble immobilier en litige, notamment en finançant les travaux d'entretien, ce que La Poste n'a pas contesté ; que, dans ces conditions, la commune de Mandelieu-la-Napoule n'a pas commis de faute en ne procédant pas à la cession prévue dans la " convention " de 1976 ; que, par suite, La Poste n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Mandelieu-la-Napoule qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste le versement à cette commune de la somme de 3 000 euros au même titre ;






D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 mai 2013 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires de La Poste.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires présentées par La Poste devant la cour administrative d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de La Poste, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.

Article 4 : La Poste versera à la commune de Mandelieu-la-Napoule la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à La Poste et à la commune de Mandelieu-la-Napoule.