Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 392784, lecture du 19 juillet 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:392784.20160719

Décision n° 392784
19 juillet 2016
Conseil d'État

N° 392784
ECLI:FR:CECHR:2016:392784.20160719
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Bastien Lignereux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP GHESTIN, avocats


Lecture du mardi 19 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme C...D...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social sur les produits de placement, de contribution additionnelle à ce prélèvement prévue par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles ainsi que de contribution additionnelle à ce prélèvement alors prévue à l'article L. 262-24 de ce code, auxquelles ils ont été assujettis au titre des revenus de capitaux mobiliers qu'ils ont perçus en 2009 et 2010. Par un jugement nos 1004600, 1202257 du 13 novembre 2012, le tribunal administratif de Bordeaux n'a fait droit à cette demande que s'agissant de la contribution pour le remboursement de la dette sociale et a rejeté le surplus de leurs conclusions.

Par un arrêt n° 13BX00115 du 25 juin 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur l'appel de M. et MmeD..., prononcé la décharge des autres impositions en litige et réformé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en ce qu'il avait de contraire à son arrêt.

Par un pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 août et 23 décembre 2015 et 23 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il a prononcé la décharge des cotisations de contribution additionnelle au prélèvement social prévue par l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le règlement n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009, notamment son article 97 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- l'arrêté du 1er avril 2015 portant délégation de signature (direction générale des finances publiques) ;
- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 28 mai 1974, Odette Callemeyn contre Etat belge (187/73) ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre de Ruyter. (C-623/13) ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ghestin, avocat de M. et Mme et Kastelein-Arnold ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D..., fonctionnaire néerlandais à la retraite, et son épouse, domiciliés en France, ont été assujettis, au titre des revenus de capitaux mobiliers qu'ils ont perçus en 2009 et 2010, à la contribution sociale généralisée, à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, au prélèvement social sur les produits de placement prévu par l'article L. 245-15 du code de la sécurité sociale, à la contribution additionnelle à ce prélèvement prévue par le 2° de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles et, enfin, à la contribution additionnelle à ce prélèvement prévue par le III de l'article L. 262-24 du même code. Le ministre des finances et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 juin 2015 en tant que, sur l'appel de M. et Mme D...contre un jugement du tribunal administratif de Bordeaux, il a prononcé la décharge des cotisations de contribution additionnelle prévue par le III de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. et MmeD... :

2. Contrairement à ce que soutiennent M. et MmeD..., M. B... A..., signataire du pourvoi présenté le 19 août 2015 pour le ministre des finances et des comptes publics, disposait à cette date d'une délégation à cet effet sur le fondement de l'article 9 de l'arrêté du 1er avril 2015 portant délégation de signature (direction générale des finances publiques), publié au Journal officiel de la République française du 5 avril 2015.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

3. Aux termes de l'article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa rédaction applicable jusqu'au 1er mai 2010 et repris depuis cette date à l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale : " 1. (...) les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre. / 2. (...) d) les fonctionnaires et le personnel assimilé sont soumis à la législation de l'Etat membre dont relève l'administration qui les occupe ; (...) ".

4. Le ministre des finances et des comptes publics soutient que la cour a commis une erreur de droit en déduisant de ces dispositions que les requérants, ressortissants néerlandais affiliés au régime de sécurité sociale de cet Etat, ne pouvaient être légalement assujettis à la contribution additionnelle au prélèvement social, prévue par l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, alors que, cette contribution finançant le fonds national des solidarités actives, elle n'entrerait pas dans le champ d'application du règlement du 14 juin 1971 cité au point 3 ci-dessus. La cour, en accueillant le moyen tiré ce que la perception de la contribution en litige méconnaîtrait les dispositions précitées de l'article 13 de ce règlement, a nécessairement admis qu'il était applicable à cette contribution. Par suite, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D..., le ministre, même s'il ne l'avait pas contesté devant la cour, peut utilement faire valoir que cette contribution n'entrerait pas dans le champ d'application du règlement.

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter (C-623/13), d'une part, que " la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale n'exclut pas que, au regard du règlement n° 1408/71, ce même prélèvement puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement ", y compris lorsque, comme en l'espèce, ce prélèvement est " assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l'exercice par ces dernières de toute activité professionnelle " et, d'autre part, que " l'élément déterminant aux fins de l'application du règlement n° 1408/71 réside dans le lien, direct et suffisamment pertinent, que doit présenter la disposition en cause avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n° 1408/71 ", " le critère déterminant étant celui de l'affectation spécifique d'une contribution au financement d'un régime de sécurité sociale ".

6. Aux termes de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction alors applicable : " I.-Le revenu de solidarité active est financé par le fonds national des solidarités actives mentionné au II et les départements. / (...) Le fonds national des solidarités actives finance la différence entre le total des sommes versées au titre de l'allocation de revenu de solidarité active par les organismes chargés de son service et la somme des contributions de chacun des départements. Il prend également en charge ses frais de fonctionnement ainsi qu'une partie des frais de gestion exposés par les organismes mentionnés à l'article L. 262-16. / (...) III.-Les recettes du fonds national des solidarités actives sont, notamment, constituées par une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale et une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-15 du même code. Ces contributions additionnelles sont assises, contrôlées, recouvrées et exigibles dans les mêmes conditions et sont passibles des mêmes sanctions que celles applicables à ces prélèvements sociaux. Leur taux est fixé à 1, 1 % et ne peut l'excéder. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la contribution qu'elles prévoient est spécifiquement affectée au financement du revenu de solidarité active.

7. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 4 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 : " Le présent règlement s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent : / a) les prestations de maladie et de maternité ; / b) les prestations d'invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain ; / c) les prestations de vieillesse ; / d) les prestations de survivants ; / e) les prestations d'accident du travail et de maladie professionnelle ; / f) les allocations de décès ; / g) les prestations de chômage ; / h) les prestations familiales ". Le paragraphe 2 bis de cet article, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que : " Le présent article s'applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d'une législation qui, de par son champ d'application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d'éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée au paragraphe 1, et de l'assistance sociale. / On entend par 'prestations spéciales en espèces à caractère non contributif', les prestations qui sont destinées : / i) à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondants aux branches de la sécurité sociale visées au paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimal de subsistance eu égard à l'environnement économique et social dans l'État membre concerné, ou / (...) et / b) qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d'attribution et les modalités de calcul ne sont pas fonction d'une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires (...), et / c) qui sont énumérées à l'annexe II bis ". Enfin, le paragraphe 4 de cet article prévoit que : " Le présent règlement ne s'applique ni à l'assistance sociale et médicale, ni aux régimes de prestations en faveur des victimes de la guerre (...) ". Ces dispositions sont reprises, à compter du 1er mai 2010, aux articles 3 et 70 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui renvoient à l'annexe X de ce règlement. Il résulte clairement de ces dispositions qu'une prestation non contributive relevant de l'assistance sociale n'entre dans le champ d'application de ces règlements que lorsqu'elle possède également les caractéristiques de la législation en matière de sécurité sociale visée au paragraphe 1 de leurs articles 4 et 3 respectifs et à la condition, notamment, qu'elle soit mentionnée à l'annexe à laquelle ces articles renvoient.

8. D'une part, le revenu de solidarité active constitue une prestation non contributive relevant de l'assistance sociale. En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 28 mai 1974, Odette Callemeyn contre Etat belge (187/73), qu'une prestation relève de l'assistance sociale pour l'application de ce règlement " notamment lorsqu'elle retient le besoin comme critère essentiel d'application et fait abstraction de toute exigence relative à des périodes d'activité professionnelle, d'affiliation ou de cotisation ". Or, en application de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un revenu garanti, a droit au revenu de solidarité active (...) ".

9. D'autre part, alors même qu'il posséderait également les caractéristiques d'une législation en matière de sécurité sociale visée à l'article 4, paragraphe 1, du règlement du 14 juin 1971, repris à l'article 3, paragraphe 1, du règlement du 29 avril 2004, le revenu de solidarité active n'est, en tout état de cause, pas mentionné à l'annexe II bis au règlement du 14 juin 1971, ni à l'annexe X au règlement du 29 avril 2004.

10. Il résulte de ce qui précède que la contribution en litige, dès lors qu'elle est spécifiquement affectée au financement d'une prestation qui ne relève pas de l'article 4 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, n'entre pas elle-même dans le champ d'application de ce règlement. La cour a, dès lors, méconnu son champ d'application en accordant la décharge de la contribution en litige au motif que ce prélèvement méconnaissait, en l'espèce, son article 13. Le ministre des finances et des comptes publics est, par suite, fondé à demander l'annulation de son arrêt en tant qu'il a statué sur la contribution additionnelle au prélèvement social, alors prévue par l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 juin 2015 est annulé en tant qu'il a statué sur la contribution additionnelle au prélèvement social, alors prévue par le III de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. et Mme D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C...D...et au ministre des finances et des comptes publics.


Voir aussi