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Ariane Web: Conseil d'État 394922, lecture du 22 juillet 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:394922.20160722
Decision n° 394922
Conseil d'État

N° 394922
ECLI:FR:CECHR:2016:394922.20160722
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Vincent Villette, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du vendredi 22 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le numéro 394922, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 6 mai et le 30 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, La Quadrature du Net, French Data Network et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête dirigée contre le décret n° 2015-1185 du 28 septembre 2015 portant désignation des services spécialisés de renseignement, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, telles qu'issues de l'article 11 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.


2° Sous le numéro 394925, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 6 mai et le 30 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, La Quadrature du Net, French Data Network et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête dirigée contre le décret n° 2015-1211 du 1er octobre 2015 relatif au contentieux de la mise en oeuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, telles qu'issues de l'article 11 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

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3° Sous le numéro 397844, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 6 mai et le 30 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association Igwan.net demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête dirigée contre le décret n° 2015-1639 du 11 décembre 2015 relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, pris en application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, telles qu'issues de l'article 11 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

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4° Sous le numéro 397851, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 6 mai et le 30 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, La Quadrature du Net, French Data Network et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête dirigée contre le décret n° 2016-67 du 29 janvier 2016 relatif aux techniques de recueil de renseignement, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, telles qu'issues de l'article 11 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'association La Quadrature du Net, de l'association French Data Network et de la Fédération ses fournisseurs d'accès à internet associatifs ;



1. Considérant que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées devant le Conseil d'Etat sous les numéros 394922, 394925, 397844 et 397851 ont toutes pour objet les dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la fin de non-recevoir opposée, sous le n° 394925, par le garde des sceaux, ministre de la justice :

2. Considérant que le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les associations requérantes est irrecevable au motif qu'elle est présentée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir lui-même irrecevable, faute pour ces associations de justifier d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ; que, toutefois, le Conseil d'Etat n'est pas tenu, lorsqu'à l'appui d'une requête est soulevée devant lui une question prioritaire de constitutionnalité, sur laquelle il lui incombe de se prononcer dans un délai de trois mois, de statuer au préalable sur la recevabilité de cette requête ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée par le ministre doit être rejetée ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure : " Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale " ; que ces dispositions doivent être regardées comme applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que, par ces dispositions, qui soustraient la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne à tout dispositif d'encadrement et de contrôle, le législateur n'a pas exercé pleinement la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution et a, en conséquence, méconnu, d'une part, le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et, d'autre part, le droit au recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration, soulève une question qui présente un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes de l'association La Quadrature du Net, de l'association French Data Network (Réseau Français de Données), de la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs ainsi que de l'association Igwan.net jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association La Quadrature du Net, à l'association French Data Network (Réseau Français de Données), à la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs, à l'association Igwan.net, au Premier ministre, au ministre de la défense, au ministre de l'intérieur et au garde des sceaux, ministre de la justice.