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Ariane Web: Conseil d'État 401689, lecture du 28 juillet 2016, ECLI:FR:CEORD:2016:401689.20160728

Décision n° 401689
28 juillet 2016
Conseil d'État

N° 401689
ECLI:FR:CEORD:2016:401689.20160728
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, avocats


Lecture du jeudi 28 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 8 juillet 2016 par lequel le maire de la commune du Mont-Dore a ordonné la fermeture immédiate de son établissement exploité sous l'enseigne " So Doud ". Par une ordonnance n° 1601295 du 11 juillet 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 21 et 28 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune du Mont-Dore le versement d'une somme de 300 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie en raison des conséquences financières de la fermeture définitive de l'établissement ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du commerce et de l'industrie ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il méconnaît, d'une part, les dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 et, d'autre part, la procédure applicable en matière de fermetures administratives d'établissements ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation manifeste en ce qu'aucun lien n'est établi entre, d'une part, l'existence de désordres et de nuisances sur la voie publique et, d'autre part, l'activité de l'établissement.


Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2016, la commune du Mont-Dore conclut, d'une part, au rejet de la requête, et d'autre part, à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des communes de la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C..., d'autre part, la commune du Mont-Dore ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 28 juillet 2016 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... ;

- Me A...de la Varde, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune du Mont Dore ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant que M. C...a introduit, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 8 juillet 2016 par lequel le maire de la commune du Mont-Dore, en Nouvelle Calédonie, a prononcé la fermeture administrative, sans limitation de durée, de l'établissement " So Doud ", bar à kava qu'il exploite dans cette commune ; que, par l'ordonnance frappée d'appel, le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle Calédonie a rejeté sa demande pour défaut d'urgence ;

3. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la fermeture du bar sans limitation de durée entraîne des conséquences économiques difficilement réparables pour M. C...qui doit assumer régulièrement des charges locatives et salariales importantes sans aucune perspective de revenus et se voit dès lors contraint de renoncer à très brève échéance à l'exploitation de son commerce ;

4. Considérant, d'autre part, que l'arrêté litigieux, a été pris par le maire de la commune en vertu du pouvoir de police générale qu'il tient des dispositions des articles L. 131-1 et suivants du code des communes de la Nouvelle-Calédonie ; qu'il est exclusivement motivé par " les nuisances et désordres sur la voie publique " apportées " de façon répétée et croissante " par l'activité de l'établissement ; qu'à l'appui de cette motivation figure une pétition datée du 24 juin 2006, adressée par quelques riverains à la mairie, selon laquelle le " So Doud " engendrerait, notamment par l'organisation de soirées musicales tardives, de nombreuses nuisances dans ce quartier ; que par ailleurs le maire a attiré l'attention du requérant sur des stationnements et des attroupements de personnes fréquentant son établissement et susceptibles d'être verbalisées , en raison de la gêne apportée à la circulation des piétons et de la consommation d'alcool sur la voie publique ;

5. Considérant toutefois que cet avertissement indirectement adressé au requérant date de mars 2006, n'a pas été renouvelé et ne paraît au demeurant, avoir été suivi d'aucune des mesures de verbalisation qu'il annonçait ; que M. C...fait valoir, sans être sérieusement contredit, qu'il a demandé en vain à être reçu à la mairie à la suite de ce courrier et n'a pu faire valoir ses observations préalablement à l'édiction de la mesure, que son bar, qui n'est pas le seul du quartier, ne vend pas d'alcool et ferme en général à 22 heures et qu'il ne saurait dès lors être tenu pour responsable des nuisances évoquées par l'arrêté et la pétition ; qu'en l'état de l'instruction, eu égard à l'ensemble de ces circonstances, en prenant une mesure de fermeture non limitée du bar le " So Doud " pour prévenir le renouvellement d'atteintes à l'ordre public, dont, en tout état de cause, il n'est pas établi, qu'elles aient été directement imputables au fonctionnement de cet établissement, le maire du Mont-Dore a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande de suspension de l'arrêté litigieux ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension demandée ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune du Mont-Dore la somme de 150 000 francs CFP au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.C..., qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la commune à ce titre ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'arrêté du maire de la commune du Mont-Dore du 8 juillet 2016 ordonnant la fermeture de l'établissement " So Doud " est suspendu.
Article 2 : la commune du Mont-Dore versera à M. C...la somme de 150 000 francs CFP au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune du Mont-Dore présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...C...et à la commune du Mont-Dore.