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Ariane Web: Conseil d'État 401016, lecture du 19 septembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:401016.20160919

Décision n° 401016
19 septembre 2016
Conseil d'État

N° 401016
ECLI:FR:CECHR:2016:401016.20160919
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du lundi 19 septembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée Cassis Cap et son gérant, M. A... B..., en défense à la demande du préfet des Bouches-du-Rhône tendant à leur condamnation solidaire au paiement d'une amende pour contravention de grande voirie et à la remise en état du domaine public maritime par la suppression d'installations implantées sur l'emprise du port départemental de Cassis, ont produit des mémoires, enregistrés les 22 avril, 10 mai et 3 juin 2016 au greffe du tribunal administratif de Marseille, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1500303 du 24 juin 2016, enregistrée le 28 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce tribunal, avant qu'il soit statué sur la demande du préfet des Bouches-du-Rhône, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'article 23 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société Cassis Cap et de M. A...B...;


Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Par une ordonnance du 24 juin 2016, le tribunal administratif de Marseille, avant qu'il soit statué sur la demande du préfet des Bouches-du-Rhône tendant à la condamnation solidaire de la société Cassis Cap et de son gérant, M.B..., au paiement d'une amende pour contravention de grande voirie et à la remise en état du domaine public maritime par la suppression d'installations implantées sur l'emprise du port départemental de Cassis, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société et M.B..., portant sur la conformité de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'article 23 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, aux droits et libertés garantis par la Constitution.

3. La disposition contestée est applicable au litige soumis au tribunal administratif de Marseille, dès lors que c'est sur son fondement que le préfet des Bouches-du-Rhône a saisi le tribunal administratif, et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

4. Il résulte des dispositions des premier, troisième, quatrième et cinquième alinéas, seuls contestés, de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige, que, sauf si la loi en dispose autrement, le représentant de l'Etat dans le département est seul compétent pour déférer au tribunal administratif une contravention de grande voirie. La société Cassis Cap et M. B... soutiennent que cette règle porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales garantie par l'article 72 de la Constitution, dans la mesure où, d'une part, elle permet au préfet d'intervenir, sans que cela soit justifié, dans la gestion par les collectivités territoriales de leur domaine public, et, d'autre part, elle prive ces collectivités d'attributions effectives pour la gestion et la conservation de leur domaine. Ils soutiennent également que cette règle porte atteinte au droit de propriété des collectivités territoriales garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et à leur droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la même Déclaration.

5. Il résulte d'une jurisprudence constante que le représentant de l'Etat dans le département est tenu, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l'utilisation normale du domaine public et d'exercer à cet effet les pouvoirs qu'il tient de la législation en vigueur, notamment de l'article L. 774-2 du code de justice administrative. Si cette obligation trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont cette autorité a la charge, notamment dans les nécessités de l'ordre public, celle-ci ne saurait légalement s'y soustraire, en revanche, pour des raisons de simple convenance administrative.

6. Il résulte également d'une jurisprudence constante que la mise en oeuvre d'une procédure pour contravention de grande voirie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité propriétaire ou gestionnaire d'une dépendance du domaine public saisisse le juge administratif en vue de faire cesser les atteintes qui peuvent y être portées. Si, dans le cadre de la procédure pour contravention de grande voirie, une amende peut en sus être infligée au contrevenant, en ce qui concerne la réparation des atteintes portées au domaine public, le juge administratif dispose des mêmes pouvoirs, lui permettant d'ordonner l'évacuation d'une dépendance du domaine public irrégulièrement occupée et, le cas échéant, la remise en état des lieux, qu'il soit saisi selon l'une ou l'autre de ces procédures. En outre, la mise en oeuvre d'une procédure pour contravention de grande voirie n'interdit pas à l'autorité domaniale de saisir le juge administratif des référés et ne prive pas celui-ci des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, qui lui permettent de prononcer toute mesure utile et justifiée par l'urgence sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative.

7. Indépendamment de la procédure pour contravention de grande voirie, que le représentant de l'Etat dans le département est tenu de mettre en oeuvre dans les conditions rappelées au point 5, et qui ne concerne d'ailleurs que les dépendances du domaine public pour lesquelles la loi a prévu son application, les collectivités territoriales sont donc en mesure de saisir le juge administratif, y compris s'il y a lieu selon une procédure d'urgence, afin que soit assurée la préservation du domaine public dont elles peuvent être propriétaires ou gestionnaires. Dès lors, la circonstance que, dans le cadre de la procédure pour contravention de grande voirie, la saisine du juge administratif soit réservée au représentant de l'Etat, qui, en vertu de l'article 72 de la Constitution, est notamment en charge, dans les collectivités territoriales de la République, du respect des lois, ne porte pas atteinte à la libre administration des collectivités territoriales garantie par cet article, ni à leur droit à un recours juridictionnel effectif. Le moyen tiré de ce qu'en raison de la privation de ce dernier droit, il serait porté atteinte à leur droit de propriété ne présente par suite pas non plus un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Cassis Cap et M.B....


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Cassis Cap et M.B....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Cassis Cap, à M. A...B..., au Premier ministre, à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et au tribunal administratif de Marseille.
Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel.