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Ariane Web: Conseil d'État 376193, lecture du 21 septembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:376193.20160921

Décision n° 376193
21 septembre 2016
Conseil d'État

N° 376193
ECLI:FR:CECHR:2016:376193.20160921
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 21 septembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 376193 :

La SAS Carrefour Hypermarchés a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle a acquittée au cours des années 2008 et 2009. Par un jugement n° 1104935 du 19 juillet 2012, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12VE03330 du 30 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la SAS Carrefour Hypermarchés contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mars et 10 juin 2014 et le 2 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Carrefour Hypermarchés demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 380199 :

La société Fnac Paris a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle a acquittée au cours des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement n° 1205643 du 20 juin 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE02607 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Fnac Paris contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 12 août 2014 et le 2 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fnac Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 380205 :

La société Fnac Direct a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle a acquittée au cours des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement n° 1205647 du 18 juillet 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE02606 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Fnac Direct contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 12 août 2014 et le 2 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fnac Direct demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 380206 :

La société Relais Fnac a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle a acquittée au cours des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement n° 1205651 du 18 juillet 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE02596 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Relais Fnac contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 12 août 2014 et le 2 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Relais Fnac demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

5° Sous le n° 380208 :

La société Codirep a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle a acquittée au cours des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement n° 1205657 du 18 juillet 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE02590 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Codirep contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 12 août 2014 et le 2 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Codirep demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

6° Sous le n° 380209 :

La société Fnac Périphérie a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle a acquittée au cours des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement n° 1205642 du 20 juin 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE02565 du 4 mars 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Fnac Périphérie contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 12 août 2014 et le 2 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fnac Périphérie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 108 et 267 ;
- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;
- le règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
- la décision du 22 mars 2006 de la Commission européenne ;
- la décision du 20 juillet 2007 de la Commission européenne ;
- la décision du 21 décembre 2011 de la Commission européenne ;
- la décision du 21 mars 2012 de la Commission européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 ;
- le décret n° 97-464 du 9 mai 1997 ;
- le décret n° 2008-310 du 3 avril 2008 ;
- l'arrêté du 13 décembre 2000 relatif à la direction des grandes entreprises ;
- l'arrêté du 3 avril 2008 portant organisation de la direction générale des finances publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la SAS Carrefour Hypermarchés, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Fnac Paris , à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Fnac Direct , à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Relais Fnac , à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Codirep et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Fnac Périphérie ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés Carrefour Hypermarchés, Fnac Direct, Relai Fnac, Codirep, Fnac Paris et Fnac Périphérie ont demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public qu'elle ont acquittée au cours des années 2008 et 2009 pour la première, 2009, 2010 et 2011 pour les autres. Les sociétés se pourvoient en cassation contre les arrêts des 30 décembre 2013 et 4 mars 2014 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté leurs appels contre les jugements des 19 juillet 2012, 20 juin et 18 juillet 2013 par lesquels le tribunal a rejeté leurs demandes. Il y a lieu de joindre ces pourvois, qui présentent à juger les mêmes questions.

Sur le moyen de la société Carrefour Hypermarchés relatif à l'absence de rattachement de la direction des grandes entreprises à un service de la direction générale des finances publiques :

2. Aux termes du décret du 9 mai 1997 relatif à la création et à l'organisation des services à compétence nationale, ces services sont rattachés à un directeur d'administration centrale, à un chef de service ou à un sous-directeur. La société Carrefour Hypermarchés fait valoir que la direction des grandes entreprises, service à compétence nationale qui était rattaché au sous-directeur chargé de la gestion de la fiscalité professionnelle de la direction générale des impôts en vertu de l'article 1er de l'arrêté du 13 décembre 2000 relatif à la direction des grandes entreprises, n'était plus expressément rattachée à une sous-direction du ministère de l'économie et des finances après la fusion de la direction générale des impôts et de la direction de la comptabilité publique réalisée par le décret du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des finances publiques et en déduit que cette même direction des grandes entreprises ne pouvait plus régulièrement exercer ses compétences. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la compétence de ses agents. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles 344-0 A et 406 terdecies de l'annexe III au code général des impôts, qui prévoient respectivement le dépôt des déclarations au titre de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public auprès du service chargé des grandes entreprises et le versement de l'impôt auprès de son comptable, seraient, pour ce motif, devenues inapplicables, était inopérant. Ce motif, qui n'implique aucune appréciation de fait, doit être substitué à celui retenu par la cour dans l'arrêt attaqué, dont il justifie légalement le dispositif.

Sur les moyens relatifs à l'absence de nouvelle notification à la Commission européenne d'un régime d'aides au cinéma et à l'audiovisuel :

3. D'une part, aux termes de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne (TCE), devenu l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " 1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...) ". Aux termes de l'article 88 du même traité, devenu l'article 108 du TFUE : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun./ (...) 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale./ (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du règlement n° 659/1999 du Conseil de l'Union européenne portant modalités d'application de l'article 93 [devenu 88] du TCE : " Aux fins du présent règlement, on entend par :/ (...) c) " aide nouvelle " : toute aide, c'est à dire tout régime d'aides ou toute aide individuelle, qui n'est pas une aide existante, y compris toute modification d'une aide existante ;/ (...) ". Aux termes de l'article 4 du règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en oeuvre du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil de l'Union européenne portant modalités d'application de l'article 93 du TCE : " 1. Aux fins de l'article 1er, point c), du règlement (CE) n° 659/1999, on entend par modification d'une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l'évaluation de la compatibilité de la mesure d'aide avec le marché commun. Toutefois, une augmentation du budget initial d'un régime d'aides existant n'excédant pas 20 % n'est pas considérée comme une modification de l'aide existante. /2. Les modifications suivantes apportées à des aides existantes sont notifiées au moyen du formulaire de notification simplifiée figurant à l'annexe II :/ a) augmentations de plus de 20 % du budget d'un régime d'aides autorisé ;/ (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'ensemble des aides au cinéma et à l'audiovisuel a été notifié en application du paragraphe 3 de l'article 88 précité du TCE, le 24 mai 2004, à la Commission européenne, qui, par une décision du 22 mars 2006, a déclaré ces aides compatibles avec le marché commun. Cette décision était valable jusqu'à la fin de l'année 2011. Par une nouvelle décision du 20 décembre 2011, la Commission européenne a approuvé la prolongation du régime d'aide jusqu'au 31 décembre 2017. Les sociétés requérantes soutiennent cependant que ce même régime a subi des modifications substantielles entre ces deux décisions et que ces modifications imposaient une nouvelle notification avant l'échéance fixée par la décision du 22 mars 2006. Elles en déduisent que la taxe dont elles demandent la restitution a été perçue illégalement dans la mesure où cette taxe était, selon elles, affectée au financement d'un régime d'aide irrégulièrement maintenu.

6. Les requérantes se prévalent, en premier lieu, de la suppression, par l'article 55 de la loi de finances pour 2009, du compte d'affectation spéciale " Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale ", par lequel transitaient les recettes affectées au financement des aides au cinéma et à l'audiovisuel avant l'exécution des dépenses correspondantes par le Centre national de la cinématographie, désormais dénommé Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), et de l'affectation directe à cet établissement public, par le même article, des différentes taxes finançant le régime d'aide.

7. La cour n'a toutefois commis aucune erreur de droit, ni entaché son arrêt de dénaturation en jugeant que, dès lors que la suppression du compte d'affectation spéciale n'emportait pas de modification des éléments structurels du système de financement de l'aide et n'avait d'effet ni sur le contenu, ni sur le volume des aides, il n'y avait pas lieu à nouvelle notification du régime d'aide au cinéma et à l'audiovisuel approuvé par la Commission européenne par la décision du 22 mars 2006. Si la cour a relevé par ailleurs que le Parlement ne saurait être regardé comme ayant perdu tout contrôle sur ce régime du fait de l'affectation directe de l'aide au CNC, dès lors qu'il est destinataire d'un rapport annuel établi par ce dernier et qu'il lui est loisible de remettre en cause cette affectation, la société requérante ne peut, en tout état de cause, utilement critiquer ce motif qui, selon les termes mêmes de l'arrêt attaqué, est surabondant.

8. Les sociétés requérantes se fondent, en deuxième lieu, sur l'importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de la taxe sur les billets de cinéma, de la taxe sur les services de télévision et de la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes, qui sont les trois taxes affectées au financement des aides au cinéma et à l'audiovisuel. Elles en déduisent que le mode de financement de ces aides a connu une modification substantielle et que le seuil de 20 % fixé à l'article 4 précité du règlement (CE) n° 784/2004 a été dépassé. Elles se prévalent d'un rapport de la Cour des comptes d'août 2012 sur la gestion et le financement du CNC, dont il ressort que le produit des trois taxes qui lui sont affectées a augmenté de près de 60 % entre 2007 et 2011 et de 46,3 % après neutralisation des changements de méthode comptable, du fait notamment de la forte progression du produit de la taxe sur les services de télévision, passé de 362 millions d'euros en 2007 à 631 millions d'euros en 2011, imputable notamment à la modification de l'assiette de cette taxe par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

9. Le ministre des finances et des comptes publics estime, pour sa part, qu'aucune notification complémentaire n'était nécessaire, faute de modifications ayant affecté le régime initial dans sa substance même. Il soutient en outre que d'éventuelles modifications doivent s'apprécier au vu des aides effectivement allouées aux bénéficiaires et non de l'augmentation des ressources affectées, qui peut donner lieu à la mise en réserve des sommes concernées ou à leur prélèvement au profit de l'Etat.

10. Il résulte des termes mêmes du paragraphe 3 de l'article 88 précité du TCE, que les Etats membres sont tenus de notifier à la Commission européenne les " projets " tendant à modifier une aide existante. Par ailleurs, le Tribunal de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 16 décembre 2010, Royaume des Pays-Bas et Nederlandse Omroep Stichting c. Commission européenne (aff. T-231/06 et T-237/06), a indiqué que " ce n'est pas ''toute aide existante modifiée'' qui doit être considérée comme une aide nouvelle, mais c'est seulement la modification en tant que telle qui est susceptible d'être qualifiée d'aide nouvelle " et que " c'est donc seulement dans l'hypothèse où la modification affecte le régime initial dans sa substance même que ce régime se trouve transformé en un régime d'aides nouveau " (point 177). La Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit SA c/ Office national du ducroire et État belge (aff. C-44/93) a en outre jugé que " l'apparition d'une aide nouvelle ou la modification d'une aide existante ne peut pas, lorsque l'aide résulte de dispositions légales antérieures qui ne sont pas modifiées, être appréciée d'après l'importance de l'aide et notamment d'après son montant financier à chaque moment de la vie de l'entreprise. C'est par référence aux dispositions qui la prévoient, à leurs modalités et à leurs limites qu'une aide peut être qualifiée de nouveauté ou de modification " (point 28). Elle a précisé qu'on ne saurait contraindre les Etats membres, sans introduire un facteur d'insécurité juridique, à notifier à la Commission et à soumettre à son contrôle préventif non seulement les aides nouvelles ou les modifications proprement dites d'aides accordées à une entreprise bénéficiant d'un régime d'aides existantes, mais aussi toutes les mesures qui affectent l'activité de cette dernière et qui peuvent avoir des incidences sur le fonctionnement du marché commun, sur le jeu de la concurrence ou simplement sur le montant effectif, pendant une période déterminée, d'aides qui existent dans leur principe mais qui varient, dans leur montant, selon le chiffre d'affaires de l'entreprise (points 32 et 33).

11. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, conformément au paragraphe 3 de l'article 88 du TCE, les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne chacune des modifications juridiques ayant une incidence substantielle sur le régime d'aides au cinéma et à l'audiovisuel approuvé par la décision du 22 mars 2006. S'agissant de la période en litige, la Commission a notamment approuvé, par une décision du 10 juillet 2007, la modification du mode de financement de ce régime d'aides résultant de la réforme de la taxe due par les éditeurs et distributeurs de télévision qui, comme indiqué au point 8 ci-dessus, est essentiellement à l'origine de la forte augmentation des ressources du CNC. Il ressort toutefois également des termes mêmes de cette décision d'approbation que la progression du produit de la taxe sur les services de télévision qui était alors attendue de la modification de l'assiette de cet impôt était limitée, le point 9 de la décision faisant état de prévisions d'augmentation pouvant, dans l'hypothèse la plus favorable, atteindre 16,5 millions d'euros par an, là où l'augmentation du produit annuel s'est élevée, en réalité, à 67 millions d'euros en moyenne entre 2007 et 2011 selon les chiffres figurant dans le rapport de la Cour des comptes mentionné ci-dessus au point 8. La Commission a, ainsi, fondé sa décision sur des prévisions qui se sont, ultérieurement, révélées inexactes.

12. La réponse au moyen soulevé par les sociétés requérantes est, dès lors, subordonnée au point de savoir, dans le cas d'un régime d'aides financé par des ressources affectées, lorsqu'un Etat membre a régulièrement notifié préalablement à leur mise en oeuvre les modifications juridiques ayant une incidence substantielle sur ce régime, et notamment celles concernant son mode de financement, si une importante augmentation du produit des ressources fiscales affectées au régime, par rapport aux prévisions fournies à la Commission européenne, constitue ou non une modification substantielle au sens du paragraphe 3 de l'article 88 du TCE, devenu l'article 108 du TFUE, de nature à justifier une nouvelle notification.

13. Elle est également subordonnée au point de savoir comment s'applique, dans ce même cas, l'article 4 précité du règlement (CE) n° 784/2004 de la Commission, en vertu duquel une augmentation de plus de 20 % du budget initial d'un régime d'aides existant constitue une modification de ce régime d'aides, et, en particulier, comment il se combine avec le caractère préalable de l'obligation de notification d'un régime d'aides fixée au paragraphe 3 de l'article 88 du TCE, devenu l'article 108 du TFUE.

14. Si le dépassement du seuil de 20 % du budget initial d'un régime d'aides existant prévu à l'article 4 précité du règlement (CE) n° 784/2004 de la Commission justifie une nouvelle notification, la question se pose alors de savoir s'il doit s'apprécier par rapport au montant des recettes affectées au régime d'aides ou par rapport aux dépenses effectivement allouées aux bénéficiaires, à l'exclusion des sommes mises en réserve ou de celles ayant fait l'objet de prélèvements au profit de l'Etat.

15. La réponse à ce moyen, à supposer que le respect du seuil de 20 % doive s'apprécier par rapport aux dépenses consacrées au régime d'aide, requiert enfin de savoir si une telle appréciation doit s'opérer par comparaison du plafond global de dépense figurant dans la décision d'approbation avec le budget global alloué ultérieurement à l'ensemble des aides par l'organisme affectataire ou par comparaison des plafonds notifiés au titre de chacune des catégories d'aides identifiées dans cette décision avec la ligne budgétaire correspondante de cet organisme.

16. Ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat. Elles présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du TFUE et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les conclusions présentées par les sociétés requérantes.




D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
- dans le cas d'un régime d'aides financé par des ressources affectées, lorsqu'un Etat membre a régulièrement notifié préalablement à leur mise en oeuvre les modifications juridiques ayant une incidence substantielle sur ce régime, et notamment celles concernant son mode de financement, une importante augmentation du produit des ressources fiscales affectées au régime par rapport aux prévisions fournies à la Commission européenne constitue-t-elle une modification substantielle au sens du paragraphe 3 de l'article 88 du TCE, devenu l'article 108 du TFUE, de nature à justifier une nouvelle notification '
- dans ce même cas, comment s'applique l'article 4 précité du règlement (CE) n° 784/2004 de la Commission, en vertu duquel une augmentation de plus de 20 % du budget initial d'un régime d'aides existant constitue une modification de ce régime d'aides, et, en particulier :
a) comment se combine-t-il avec le caractère préalable de l'obligation de notification d'un régime d'aides fixée au paragraphe 3 de l'article 88 du TCE, devenu l'article 108 du TFUE '
b) si le dépassement du seuil de 20 % du budget initial d'un régime d'aides existant prévu à l'article 4 précité du règlement (CE) n° 784/2004 de la Commission justifie une nouvelle notification, ce seuil doit-il s'apprécier par rapport au montant des recettes affectées au régime d'aides ou par rapport aux dépenses effectivement allouées aux bénéficiaires, à l'exclusion des sommes mises en réserve ou de celles ayant fait l'objet de prélèvements au profit de l'Etat '
c) à supposer que le respect de ce seuil de 20 % doive s'apprécier par rapport aux dépenses consacrées au régime d'aide, une telle appréciation doit-elle s'opérer par comparaison du plafond global de dépense figurant dans la décision d'approbation avec le budget global alloué ultérieurement à l'ensemble des aides par l'organisme affectataire ou par comparaison des plafonds notifiés au titre de chacune des catégories d'aides identifiées dans cette décision avec la ligne budgétaire correspondante de cet organisme '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SAS Carrefour Hypermarchés, la société Fnac Paris, la société Fnac Direct, la société Relais Fnac, la société Codirep, la société Fnac Périphérie et au ministre de l'économie et des finances et au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne.