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Ariane Web: Conseil d'État 402941, lecture du 16 septembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:402941.20160916

Décision n° 402941
16 septembre 2016
Conseil d'État

N° 402941
ECLI:FR:CECHR:2016:402941.20160916
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Pauline Jolivet, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public


Lecture du vendredi 16 septembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B...A..., en défense à la demande présentée par le préfet du Doubs d'autorisation d'exploiter les systèmes et équipements informatiques et téléphoniques saisis sur les lieux de la perquisition administrative réalisée sur le fondement des dispositions de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, a produit un mémoire, enregistré le 28 août 2016 au greffe du tribunal administratif de Besançon, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1601395 du 29 août 2016, enregistrée le 30 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, et dans un mémoire, enregistré le 9 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... soutient que les dispositions des alinéas 3 à 10 du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, applicables au litige, ne garantissent pas une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et méconnaissent la décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel en ce qu'elles ne prévoient qu'un dispositif d'autorisation a posteriori par un juge pour la saisie du matériel informatique et qu'elles ne définissent pas le périmètre d'accès aux données ainsi saisies ou copiées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Jolivet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article 5 de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste a introduit au I de l'article 11 de cette dernière loi les dispositions suivantes : " Lorsqu'une perquisition révèle qu'un autre lieu répond aux conditions fixées au premier alinéa du présent I, l'autorité administrative peut en autoriser par tout moyen la perquisition. Cette autorisation est régularisée en la forme dans les meilleurs délais. Le procureur de la République en est informé sans délai. / (...) Si la perquisition révèle l'existence d'éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition. / La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l'officier de police judiciaire. L'agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition rédige un procès-verbal de saisie qui en indique les motifs et dresse l'inventaire des matériels saisis. Une copie de ce procès-verbal est remise aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent I. Les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition. A compter de la saisie, nul n'y a accès avant l'autorisation du juge. / L'autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d'autoriser leur exploitation. Au vu des éléments révélés par la perquisition, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l'autorité administrative. Sont exclus de l'autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée. En cas de refus du juge des référés, et sous réserve de l'appel mentionné au dixième alinéa du présent I, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués à leur propriétaire. / Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée par le juge des référés, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu'il a été procédé à la copie des données qu'ils contiennent, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, a autorisé l'exploitation des données qu'ils contiennent. A l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées sont détruites à l'expiration d'un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, en a autorisé l'exploitation. / En cas de difficulté dans l'accès aux données contenues dans les supports saisis ou dans l'exploitation des données copiées, lorsque cela est nécessaire, les délais prévus au huitième alinéa du présent I peuvent être prorogés, pour la même durée, par le juge des référés saisi par l'autorité administrative au moins quarante-huit heures avant l'expiration de ces délais. Le juge des référés statue dans un délai de quarante-huit heures sur la demande de prorogation présentée par l'autorité administrative. Si l'exploitation ou l'examen des données et des supports saisis conduisent à la constatation d'une infraction, ces données et supports sont conservés selon les règles applicables en matière de procédure pénale. / Pour l'application du présent article, le juge des référés est celui du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de la perquisition. Il statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative, sous réserve du présent article. Ses décisions sont susceptibles d'appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification. Le juge des référés du Conseil d'Etat statue dans le délai de quarante-huit heures. En cas d'appel, les données et les supports saisis demeurent conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I". Les dispositions contestées des alinéas 3 à 10 du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 sont applicables au litige dont était saisi le juge des référés du tribunal administratif de Besançon. Dans leur rédaction en vigueur, elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles ne garantissent pas une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'une part, en ne prévoyant pour la saisie d'éléments informatiques dans le cadre d'une perquisition administrative qu'un dispositif d'autorisation a posteriori par un juge et, d'autre part, en n'encadrant pas avec suffisamment de précisions les conditions d'accès aux données contenues dans ces équipements, afin de le limiter aux seules données en lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, soulève une question sérieuse. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des alinéas 3 à 10 du I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Besançon.


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