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Ariane Web: Conseil d'État 395704, lecture du 7 octobre 2016, ECLI:FR:CECHS:2016:395704.20161007

Décision n° 395704
7 octobre 2016
Conseil d'État

N° 395704
ECLI:FR:CECHS:2016:395704.20161007
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Marie Sirinelli, rapporteur
M. Jean Lessi, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 7 octobre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...E...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 1er septembre 2015 par laquelle le maire d'Athis-Mons (Essonne) a exercé le droit de préemption sur un bâtiment situé sur la parcelle L n° 171, 65 quai de l'Orge, ainsi que celle de la décision du 27 août 2015 de la même autorité d'acquérir ce bien, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de ces décisions. Par une ordonnance n° 1507001 du 15 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2015 et 14 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 15 décembre 2015 ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Athis-Mons la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de M.C..., et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la commune d'Athis-Mons ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'à la suite de la décision de M. C...d'acquérir un immeuble situé au 65 quai de l'Orge à Athis-Mons, le notaire chargé de la vente a adressé à la commune une déclaration d'intention d'aliéner qui aurait été reçue par les services de la mairie le 1er juillet 2015. Par une décision du 1er septembre suivant, notifiée le jour même au notaire et accompagnée d'un courrier daté du 27 août 2015, le maire de la commune a décidé d'exercer le droit de préemption sur ce bâtiment. M. C...doit être regardé comme ayant demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 1er septembre 2015. Il se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 15 décembre 2015 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande comme irrecevable.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. En vertu des articles R. 611-7, R. 522-9 et R. 522-10 du code de justice administrative, il appartient au juge des référés statuant en urgence, sauf lorsqu'il fait application de l'article L. 522-3, d'informer les parties, le cas échéant au cours de l'audience, de ce que l'ordonnance lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office. En l'espèce, le juge des référés a, dans son ordonnance du 15 décembre 2015, soulevé d'office le moyen tiré de ce que la décision du 1er septembre 2015 n'était pas exécutoire, au motif qu'il ne résultait pas de l'instruction qu'elle avait été transmise au représentant de l'Etat, et en a déduit que la demande tendant à la suspension de son exécution était sans objet et, par suite, irrecevable. Or il ne ressort pas des mentions de l'ordonnance attaquée que le juge des référés ait informé les parties de ce moyen et les ait invitées à présenter leurs observations. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Il n'est, dès lors, pas nécessaire d'examiner l'autre moyen du pourvoi.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l'urgence :

5. Eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets pour l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci en demande la suspension. Il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. A ce titre, il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.

6. En l'espèce, tout d'abord, si la commune d'Athis-Mons invoque l'urgence à réaliser immédiatement le projet qui a motivé l'exercice du droit de préemption, elle ne fait état d'aucune circonstance particulière ni même ne précise la consistance de son projet. Ensuite, la circonstance qu'elle ait décidé d'acquérir le bien aux prix et conditions proposés est sans incidence sur l'urgence à prononcer une mesure de suspension de l'exécution de cette décision, qui peut avoir pour effet, selon les cas, non seulement de faire obstacle à la prise de possession du bien par la commune mais également, si le transfert de propriété est intervenu, dans les conditions prévues par l'article L. 213-14 du code de l'urbanisme, à la date à laquelle il est statué, d'empêcher cette collectivité de faire usage de certaines des prérogatives qui s'attachent au droit de propriété, pour éviter que l'usage ou la disposition qu'elle fera de ce bien jusqu'à ce qu'il soit statué sur le litige au fond rendent irréversible la décision de préemption. Enfin, en l'état de l'instruction, il ne peut être considéré ni que la décision n'a pas été prise dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, ni qu'elle ne serait pas devenue exécutoire à la date à laquelle il est statué, faute de transmission au représentant de l'Etat, et qu'ainsi cette décision ne pourrait avoir pour effet de s'opposer à l'acquisition du bien par M. C.... Dans ces conditions, la condition d'urgence mentionnée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

Sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté :

7. Les moyens soulevés par M. C...et tirés, pour le premier, de la tardiveté de la transmission, prévue par l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, de la décision de préemption au représentant de l'Etat, pour le deuxième, de la méconnaissance de l'exigence de consultation du service des domaines prévue par l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme et, pour le dernier, de l'absence de mention de l'objet pour lequel le droit de préemption est exercé, en méconnaissance de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, paraissent, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige.

Sur la portée de la suspension prononcée :

8. Il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 1er septembre 2015 préemptant le bâtiment situé sur la parcelle L n° 171, 65 quai de l'Orge, en tant qu'elle permet à la commune d'Athis-Mons de prendre possession du bien et d'en disposer ou d'en user dans des conditions qui rendraient irréversible cette décision. En revanche, en l'absence de précision apportée par M. C...sur l'urgence qui s'attacherait, pour lui, à poursuivre son projet avant qu'il soit statué sur sa requête en annulation, il n'y a pas lieu de suspendre cette décision en tant qu'elle fait obstacle à l'aliénation du bien à son profit.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M.C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune d'Athis-Mons le versement d'une somme de 4 000 euros à M.C..., au titre des frais exposés par lui tant en première instance que devant le Conseil d'Etat.





D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 15 décembre 2015 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 1er septembre 2015 est suspendue en tant qu'elle permet à la commune d'Athis-Mons de prendre possession du bien et d'en disposer ou d'en user dans des conditions qui rendraient irréversible cette décision.
Article 3 : La commune d'Athis-Mons versera une somme de 4 000 euros à M. C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C...est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune d'Athis-Mons présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A...E...C...et à la commune d'Athis-Mons.
Copie en sera adressée à Mme D...B....


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