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Ariane Web: Conseil d'État 393519, lecture du 17 octobre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:393519.20161017

Décision n° 393519
17 octobre 2016
Conseil d'État

N° 393519
ECLI:FR:CECHR:2016:393519.20161017
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 1ère chambres réunies
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
LE PRADO ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du lundi 17 octobre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 201-721 du 17 juillet 2015, la Cour de discipline budgétaire et financière a prononcé la relaxe de MM. A...D..., E...C...et F...B...des fins de la poursuite initiée à leur égard au titre de la gestion de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 septembre 2015 et 27 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le parquet général près la Cour des comptes demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des juridictions financières ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-423 QPC du 24 octobre 2014 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de M. D...et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M. C... ;



1. Considérant que, par un arrêt du 17 juillet 2015 contre lequel le parquet général près la Cour des comptes se pourvoit en cassation, la Cour de discipline budgétaire et financière a décidé de ne pas infliger d'amende à MM. D...etC..., anciens directeurs généraux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, et à M.B..., ancien comptable de cet établissement, à l'issue des poursuites engagées à leur encontre par un réquisitoire du parquet général près la Cour des comptes du 16 juillet 2012 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-1 du code des juridictions financières, relatif aux poursuites devant la Cour de discipline budgétaire et financière : " Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l'engagement des dépenses sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 euros et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle le fait a été commis " ; qu'aux termes de l'article L. 313-3 du même code : " Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé des dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet sera passible de l'amende prévue à l'article L. 313-1 " ; qu'aux termes de l'article L. 313-4 du même code : " Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l'amende prévue à l'article L. 313-1 (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-6 du même code : " Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l'infraction " ;

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

4. Considérant que M. C...et M. D...soutiennent que les dispositions de l'article L. 313-1 du code des juridictions financières, dans la mesure où elles peuvent être interprétées comme imposant à la Cour de discipline budgétaire et financière, lorsqu'elle constate une infraction financière, de condamner son auteur à une amende d'un montant minimal de 150 euros, méconnaissent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

5. Considérant que le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2014-423 QPC du 24 octobre 2014, a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré les dispositions de l'article L. 313-1 du code des juridictions financières conformes à la Constitution ; qu'ainsi, et en l'absence de tout changement de circonstances, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées ;

Sur le pourvoi :

6. Considérant que le législateur a institué, à l'article L. 311-1 du code des juridictions financières, une Cour de discipline budgétaire et financière qui a pour mission d'assurer le respect des règles applicables à la dépense publique et de protéger les deniers publics ; qu'il appartient à la Cour de discipline budgétaire et financière de se prononcer d'abord sur la matérialité de l'infraction dont elle est saisie, sur sa qualification juridique et sur son imputabilité à la personne mise en cause ; que, lorsqu'elle constate la commission d'une infraction imputable à la personne mise en cause, la Cour détermine, dans un second temps, la peine qu'il y a lieu de prononcer à son encontre ; qu'à ce titre, les dispositions du code des juridictions financières citées ci-dessus fixant le montant minimal de l'amende dont sont passibles les personnes justiciables de la Cour ne font pas obstacle à ce que cette juridiction décide, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise et des qualités de gestionnaire de la personne mise en cause, de ne pas lui infliger d'amende ;

7. Considérant que, par l'arrêt attaqué, la Cour de discipline budgétaire et financière a notamment constaté que le versement d'indemnités dépourvues de fondement juridique à certains agents de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille entre le 31 mai 2007 et le 1er août 2010 était constitutif, de la part de MM. D...etC..., des infractions mentionnées aux articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières et, de la part de M.B..., des infractions mentionnées aux articles L. 313-4 et L. 313-6 ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en décidant néanmoins, compte tenu des circonstances de l'espèce qu'elle a souverainement appréciées, de ne pas infliger d'amende aux intéressés, la Cour de discipline budgétaire et financière n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'en particulier, s'agissant de M.D..., la Cour a notamment pu tenir compte, à ce titre, des qualités de gestionnaire démontrées par l'intéressé, y compris postérieurement à l'irrégularité commise ; que, s'agissant de M.B..., elle a pu, sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier, tenir compte de ce qu'il avait été constitué débiteur par la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur, en sa qualité de comptable public de l'établissement, d'une somme de quelque 200 000 euros à raison du même manquement ; qu'est sans incidence sur ce point la circonstance que ce débet avait été prononcé à raison des seules indemnités versées au titre de l'exercice 2008 ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le parquet général près la Cour des comptes n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros chacun à verser à MM. D...et C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. C...et M.D....

Article 2 : Le pourvoi du parquet général près la Cour des comptes est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros chacun à MM. D...et C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au parquet général près la Cour des comptes, à MM. A... D..., E...C...et F...B...et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au ministre de l'économie et des finances.



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