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Ariane Web: Conseil d'État 394592, lecture du 5 décembre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:394592.20161205

Décision n° 394592
5 décembre 2016
Conseil d'État

N° 394592
ECLI:FR:CECHR:2016:394592.20161205
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 1ère chambres réunies
M. Cyrille Beaufils, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du lundi 5 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 394592, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 16 novembre 2015 et les 27 et 31 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Sauvegarde du Trégor, l'association Force 5, l'association Plestin Environnement, l'association Sémaphore, l'association Tréduder Nature Patrimoine et l'association Dour ha Douar demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 septembre 2015 accordant la concession de sables calcaires coquilliers dite "concession de la Pointe d'Armor" à la Compagnie armoricaine de navigation, ensemble le rectificatif publié au Journal officiel de la République française du 23 septembre 2015 ;

2°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la compagnie armoricaine de navigation la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 394617, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 novembre 2015 et le 2 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Lannion demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 septembre 2015 accordant la concession de sables calcaires coquilliers dite "concession de la Pointe d'Armor" à la Compagnie armoricaine de navigation, ensemble le rectificatif publié au Journal officiel de la République française du 23 septembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;
- le code de l'environnement ;
- le code minier ;
- le décret n° 2006-798 du 6 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Compagnie armoricaine de navigation et à Me Delamarre, avocat de la commune de Lannion ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 novembre 2016, présentée par la commune de Lannion ;



1. Considérant que les requêtes nos 394592 et 394617 sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 132-2 du code minier : " La concession est accordée par décret en Conseil d'Etat sous réserve de l'engagement pris par le demandeur de respecter des conditions générales complétées, le cas échéant, par des conditions spécifiques faisant l'objet d'un cahier des charges. Les conditions générales et, le cas échéant, spécifiques de la concession, sont définies par décret en Conseil d'Etat et préalablement portées à la connaissance du demandeur " ; qu'aux termes de l'article 15 du décret du 6 juillet 2006 relatif à la prospection, à la recherche et à l'exploitation de substances minérales ou fossiles contenues dans les fonds marins du domaine public et du plateau continental métropolitains : " (...) La concession est accordée par décret en Conseil d'Etat et refusée par arrêté du ministre chargé des mines. Le silence gardé par le ministre pendant plus de trente-six mois sur la demande vaut décision de rejet de cette demande et, le cas échéant, des demandes concurrentes. / La décision délivrant le titre minier désigne le préfet qui exerce les attributions de police dévolues à l'autorité préfectorale par la législation et la réglementation minières, sans préjudice des pouvoirs appartenant au préfet maritime. " ; qu'en application de ces dispositions, le Premier ministre a, par le décret du 14 septembre 2014 attaqué, dont les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir, accordé à la Compagnie armoricaine de navigation la concession de sables calcaires coquilliers dite " concession de la Pointe d'Armor " sur les fonds du domaine public maritime au large des côtes du Finistère et des Côtes d'Armor ; que cette concession est accordée pour une durée de quinze ans avec un volume d'extraction limité à 50 000 m3 la première année, 100 000 m3 la deuxième et 130 000 m3 les trois suivantes et ne pouvant dépasser 250 000 m3 annuels à partir de la sixième année ;

Sur l'avis de l'autorité environnementale :

3. Considérant qu'aux termes du III de l'article L. 122-1 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable à la date de la saisine de l'autorité environnementale : " (...) - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 122-1-1 du même code, alors en vigueur à cette même date : " I.-Sous réserve des dispositions du II et du III ci-dessous, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1 est le ministre chargé de l'environnement : / 1° Pour les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements pour lesquels la décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution est prise par décret ou par un ministre ainsi que, sauf disposition réglementaire particulière, si cette décision relève d'une autorité indépendante ; 2° Pour tout projet de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements, lorsque ce projet fait l'objet d'une étude d'impact dont il décide de se saisir en application du 5° du II de l'article L. 122-3. / II.-L'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1 est la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable pour les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements qui donnent lieu à une décision du ministre chargé de l'environnement ou à un décret pris sur son rapport ainsi que pour les projets qui sont élaborés par les services déconcentrés dans les domaines relevant des attributions du même ministre ou sous la maîtrise d'ouvrage d'établissements publics relevant de sa tutelle. (...) / III - Dans les cas ne relevant pas du I ou du II ci-dessus, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1 est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 du décret du 6 juillet 2006 relatif à la prospection, à la recherche et à l'exploitation de substances minérales ou fossiles contenues dans les fonds marins du domaine public et dub plateau continental métropolitains : " Le demandeur peut présenter simultanément la demande de titre minier et la demande d'autorisation d'ouverture de travaux de recherches ou d'exploitation. Lorsque la demande de titre minier concerne le domaine public maritime, elle est accompagnée de la demande d'autorisation domaniale. / Le dossier unique dont sont assorties ces demandes en vue d'une instruction simultanée comprend : (...) 5° l'étude d'impact définie à l'article R. 122-3 du code de l'environnement (...) " ;

4. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions du code de l'environnement rappelées au point précédent que, le préfet étant l'autorité compétente pour délivrer les autorisations de travaux, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement pour donner son avis sur la demande de titre minier était alors le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux devait être réalisé, y compris lorsque la demande d'autorisation d'ouverture de travaux était présentée simultanément à la demande du titre minier sur le fondement des dispositions également précitées de l'article 3 du décret du 6 juillet 2006 ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la Compagnie armoricaine de navigation a présenté simultanément une demande d'octroi de concession minière et une demande d'autorisation d'ouverture de travaux miniers dans le cadre de cette concession ; que sa demande a été transmise par le préfet instructeur au préfet de la région Bretagne en sa qualité d'autorité environnementale le 26 juillet 2010 ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que la demande de la Compagnie armoricaine de navigation aurait été transmise à une autorité incompétente pour formuler un avis en matière d'environnement ;

6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes l'article de R. 122-13 du code, dans sa rédaction en vigueur à la date de saisine de l'autorité environnementale " (...) L'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement, lorsqu'elle tient sa compétence du I ou du II de l'article R. 122-1-1, donne son avis dans les trois mois suivant la date de réception du dossier mentionné au premier alinéa et, dans les autres cas, dans les deux mois suivant cette réception. L'avis est réputé favorable s'il n'a pas été émis dans ce délai. (...) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Bretagne n'a pas émis d'avis explicite dans le délai de deux mois suivant sa saisine ; que son avis a donc été réputé favorable ; qu'aucun texte ou principe n'imposait à l'autorité environnementale d'émettre un avis explicite et qu'ainsi l'absence d'un tel avis n'a pu entacher d'irrégularité la procédure d'adoption du décret attaqué ; que le moyen tiré de ce que l'absence d'un tel avis explicite méconnaitrait les dispositions de l'article 7 de la charte de l'environnement et des stipulations de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé ; que si le préfet de la région Bretagne a transmis ultérieurement au préfet instructeur, le 13 janvier 2011, un rapport d'analyse du dossier de demande rédigé par ses services et non visé par le décret, cette circonstance est, en tout état de cause, sans influence sur sa légalité ;

Sur la concertation préalable à la délivrance du titre minier :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 13 du décret du 6 juillet 2006 précité : " Dans le délai de quatre mois suivant la remise de son rapport par le commissaire enquêteur et l'accomplissement le cas échéant des consultations prévues au III de l'article R. 122-11 du code de l'environnement, le préfet chargé de l'instruction et le préfet maritime présentent, lors d'une réunion de concertation qu'ils président conjointement, la demande de titre minier, le rapport du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement et, le cas échéant celui du chef du service gestionnaire du domaine public maritime ou du directeur du port autonome ainsi que le projet d'arrêté préfectoral d'autorisation d'ouverture de travaux. (...) " ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la concertation organisée en application de ces dispositions, qui a été complétée par une nouvelle réunion de concertation sous l'égide du ministre chargé de l'économie, aurait été insuffisante ; qu'il ne ressort en tout état de cause pas des pièces du dossier que les services déconcentrés de l'Etat auraient été insuffisamment associés à ce projet ;

Sur l'existence d'une décision implicite de rejet de la demande de concession minière :

8. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 15 du décret du 6 juillet 2006 précité que le silence gardé par le ministre chargé des mines pendant plus de trente-six mois sur la demande de titre minier vaut décision de rejet de cette demande ; que, la demande de la Compagnie armoricaine de navigation ayant été déposée le 15 janvier 2010, une décision implicite de rejet est née le 15 janvier 2013, en l'absence de réponse du ministre ; que, toutefois, cette décision implicite n'ayant créé aucun droit au profit des tiers, le Gouvernement pouvait légalement la rapporter en accordant la concession demandée par le décret attaqué du 14 septembre 2015 ;




Sur le dossier soumis à enquête publique :

9. Considérant, en premier lieu, que l'article R. 122-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors en vigueur, définit le contenu de l'étude d'impact, qui est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ;

10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'étude d'impact jointe au dossier d'enquête publique analyse l'état initial du site, notamment la morphologie et la géologie de la baie de Lannion, s'agissant en particulier des couches sédimentaires, ainsi que les caractéristiques des eaux marines, y compris s'agissant de la turbidité, et de l'environnement naturel ; qu'elle présente les effets attendus du projet sur la faune et la flore marines, incluant le lançon, sur la morphologie des fonds marins et de la côte et sur les activités humaines dans cette baie, notamment le tourisme et la pêche ; qu'elle tient compte des effets cumulés du projet avec ceux de l'exploitation attendue de la concession des Duons, distante d'une quinzaine de kilomètres du site de la Pointe d'Armor ; qu'elle contient un résumé des principales mesures envisagées afin d'atténuer, de supprimer ou de compenser les incidences négatives du projet sur l'environnement ; que ces éléments ont été complétés par une note produite par la Compagnie armoricaine de navigation et jointe au dossier d'enquête publique qui détaille, notamment, les raisons qui l'ont conduite à retenir la concession de la pointe d'Armor (site de Trezen Ar Gorjegou) et présente les autres sites également envisagés ; que la circonstance qu'en réponse aux réserves émises par l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer et la direction départementale des territoires et de la mer du Finistère postérieurement à la clôture de l'enquête publique, le pétitionnaire a fourni, le 24 mars 2011, aux services instructeurs un dossier répondant à ces réserves ne saurait être regardée, en l'espèce, comme établissant l'insuffisance de l'étude d'impact jointe au dossier d'enquête ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact doit être écarté ;

11. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : (...) / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 414-21, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Le dossier d'évaluation d'incidences, établi par le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage, comprend : / 1° Une description du programme ou du projet, accompagnée d'une carte permettant de localiser les travaux, ouvrages ou aménagements envisagés par rapport au site Natura 2000 ou au réseau des sites Natura 2000 retenus pour l'évaluation et, lorsque ces travaux, ouvrages ou aménagements sont à réaliser dans le périmètre d'un site Natura 2000, d'un plan de situation détaillé ; / 2° Une analyse des effets notables, temporaires ou permanents, que les travaux, ouvrages ou aménagements peuvent avoir, par eux-mêmes ou en combinaison avec d'autres programmes ou projets dont est responsable le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage, sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites. / II. - S'il résulte de l'analyse mentionnée au 2° du I que les travaux, ouvrages ou aménagements peuvent avoir des effets notables dommageables, pendant ou après la réalisation du programme ou du projet, sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites, le maître d'ouvrage ou le pétitionnaire complète le dossier d'évaluation en indiquant les mesures de nature à supprimer ou réduire ces effets dommageables, ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes. (...) " ;

12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la concession de la Pointe d'Armor est située entre les sites Natura 2000 de la baie de Morlaix à l'ouest et de la Côte de Granit Rose - Sept-Îles à l'est ; que l'évaluation des incidences Natura 2000 produite par la Compagnie armoricaine de navigation, après avoir présenté les caractéristiques des deux sites et analysé de manière suffisante les incidences du projet sur leur conservation, en particulier au regard des conséquences sur les mammifères marins et poissons du site de la baie de Morlaix et sur les oiseaux et poissons du site de la Côte de Granit Rose - Sept-Îles, conclut à des effets négligeables sur les habitats et espèces marines et à un impact temporaire et faible sur les oiseaux ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle comporterait des erreurs de nature à en remettre en cause la pertinence ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance de l'évaluation des incidences Natura 2000 doit être écarté ;

Sur l'avis du commissaire enquêteur :

13. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article L. 123-10 du code de l'environnement et de l'article R. 123-22 du même code, dans leur rédaction en vigueur à la date de la clôture de l'enquête publique, que, si celles-ci n'imposent pas au commissaire-enquêteur de répondre à chacune des observations présentées lors de l'enquête publique, elles l'obligent à indiquer, au moins sommairement, en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de cet avis ; qu'il ressort des pièces du dossier que le commissaire-enquêteur a, dans ses conclusions, d'une part présenté avec précision les avantages et inconvénients du projet mis en avant par les observations recueillies au cours de l'enquête publique, en indiquant le nombre d'observations favorables et défavorables, et, d'autre part, détaillé les raisons l'amenant, au regard du déroulement de l'enquête et des caractéristiques du projet, à émettre un avis favorable assorti de recommandations ; que les requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que les conclusions du commissaire-enquêteur seraient insuffisamment motivées ;

Sur les modifications apportées à l'issue de l'enquête publique :

14. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 123-14 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors en vigueur : " II. - Au vu des conclusions du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête, la personne responsable du projet, plan ou programme visé au I de l'article L. 123-2 peut, si elle estime souhaitable d'apporter à celui-ci des changements qui en modifient l'économie générale, demander à l'autorité organisatrice d'ouvrir une enquête complémentaire portant sur les avantages et inconvénients de ces modifications pour le projet et pour l'environnement. Dans le cas des projets d'infrastructures linéaires, l'enquête complémentaire peut n'être organisée que sur les territoires concernés par la modification. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il était loisible au Gouvernement de modifier les caractéristiques de la concession de la Pointe d'Armor à l'issue de l'enquête publique, sous réserve, d'une part, que ne soit pas remise en cause l'économie générale du projet et, d'autre part, que cette modification procède de l'enquête ; que doivent être regardées comme procédant de l'enquête les modifications destinées à tenir compte des réserves et recommandations de la commission d'enquête, des observations du public et des avis émis par les collectivités et instances consultées et joints au dossier de l'enquête ;

15. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les incidences du projet, notamment sur l'environnement, ont fait l'objet de nombreuses observations au cours de l'enquête publique ; qu'afin de prendre en compte les observations et de limiter ces incidences, le périmètre annuel d'exploitation a été réduit par rapport au projet initial de 4 à 1,5 km2, les volumes annuels d'extraction de 400 000 à 250 000 m3 au plus, la durée de la concession de 20 à 15 ans et la période annuelle d'exploitation ramenée de l'année entière à une période comprise entre les mois de septembre et d'avril ; qu'ainsi, ces modifications, qui procèdent d'une enquête publique préalable à des travaux susceptibles d'affecter l'environnement et ont pour objet d'en réduire les effets sur ce dernier, ne peuvent, pour substantielles qu'elles soient, être regardées comme constituant une remise en cause de l'économie générale du projet de concession impliquant l'ouverture d'une enquête complémentaire au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 123-14 du code de l'environnement ; que, dès lors, la commune de Lannion n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué aurait nécessité, à peine d'irrégularité de la procédure, une nouvelle enquête publique ;

Sur la consultation du Conseil d'Etat :

16. Considérant que le décret attaqué a été pris après deux avis de la section des travaux publics du Conseil d'Etat ; qu'il ressort des pièces produites par le ministre chargé de l'économie que le cahier des charges était joint à la saisine du Conseil d'Etat et que ce décret ne contient aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet soumis par le Gouvernement au Conseil d'Etat et de celles qui ont été adoptées par ce dernier ; que le simple rectificatif publié au Journal officiel de la République française du 23 septembre 2015 n'imposait pas, à peine d'irrégularité de la procédure suivie, que le Conseil d'Etat soit de nouveau saisi ; que, dès lors, la commune de Lannion n'est pas fondée à soutenir que les règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret auraient été méconnues ;

Sur l'erreur manifeste d'appréciation et le détournement de procédure allégués :

17. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 321-8 du code de l'environnement : " Les extractions de matériaux non visés à les articles L. 111-1 et L. 111-2 du code minier sont limitées ou interdites lorsqu'elles risquent de compromettre, directement ou indirectement, l'intégrité des plages, dunes littorales, falaises, marais, vasières, zones d'herbiers, frayères, gisements naturels de coquillages vivants et exploitations de cultures marines. (...) " ; que l'article L. 133-1 du code minier a pour effet de soumettre l'exploitation des substances minérales ou fossiles contenues dans le sous-sol du plateau continental ou dans le fond de la mer au régime applicable aux substances de mine, au même titre que les substances visées à l'article L. 111-1 du code minier ; que le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 312-8 du code de l'environnement doit être, en tout état de cause, écarté comme inopérant ;

18. Considérant, d'autre part, que les sables coquilliers, dont le décret attaqué autorise l'exploitation, sont largement utilisés en agriculture, afin de fertiliser ou d'amender les sols, en remplacement notamment du maërl, dont l'extraction est désormais arrêtée ; que, si cette ressource naturelle se renouvelle à un rythme beaucoup plus lent que celui de son extraction industrielle, il ne ressort pas des pièces du dossier que d'autres matériaux, tels que des calcaires terrestres, seraient rapidement substituables à ces granulats marins, dans des conditions acceptables d'un point de vue économique et environnemental ; que l'extraction est interdite de mai à août, afin de ne pas compromettre le renouvellement des ressources biologiques et en particulier des lançons ; que l'incidence de cette activité sur le tourisme et la pêche, alors d'ailleurs que l'extraction est arrêtée durant la période estivale ainsi qu'il a été dit ci-dessus, apparaît limitée ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le trait de côte sera modifié ; que le décret est accompagné d'un cahier des charges qui prévoit la réalisation d'études environnementales complémentaires et un suivi annuel de l'activité et de ses incidences sur l'environnement au vu desquels seront définis chaque année, par l'arrêté préfectoral d'autorisation d'ouverture de travaux, les zones à exploiter, les volumes et le suivi environnemental ; que le moyen tiré de ce que le décret serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doit, par suite, être écarté ;

19. Considérant enfin que le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;

20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la Compagnie armoricaine de navigation, que l'association Sauvegarde du Trégor et autres et la commune de Lannion ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la Compagnie armoricaine de navigation qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Compagnie armoricaine de navigation à ce titre ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Sauvegarde du Trégor et autres et de la commune de Lannion sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Compagnie armoricaine de navigation au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Sauvegarde du Trégor, à l'association Force 5, à l'association Plestin Environnement, à l'association Sémaphore, à l'association Tréduder Nature Patrimoine à l'association Dour ha Douar, à la commune de Lannion, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et à la Compagnie armoricaine de navigation.



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