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Ariane Web: Conseil d'État 398659, lecture du 5 décembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:398659.20161205

Décision n° 398659
5 décembre 2016
Conseil d'État

N° 398659
ECLI:FR:CECHR:2016:398659.20161205
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du lundi 5 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner l'expulsion de M. B...A...des parcelles du Mas de Taxil situé dans la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 1601880 du 22 mars 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 20 avril, 11 mai et 20 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de régler l'affaire au titre de la procédure de référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code rural ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M.A....


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative " ; que lorsque le juge des référés est saisi, sur le fondement de ces dispositions, d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d'urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse ;

2. Considérant que, pour estimer que la demande du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tendant à l'expulsion de M. A...des parcelles du Mas de Taxil situées sur la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer se heurtait à une contestation sérieuse, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur la seule circonstance que l'intéressé avait introduit devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon un recours tendant à ce que ce tribunal reconnaisse qu'il était titulaire sur ces parcelles d'un bail rural verbal et que cette question ne pouvait être tranchée que par les juridictions de l'ordre judiciaire ; qu'en jugeant que l'introduction d'une telle action pouvait être regardée, par elle même, comme de nature à caractériser l'existence d'une contestation sérieuse de la mesure qu'il lui était demandé d'ordonner, sans rechercher ni si elle présentait des chances de succès, ni les conséquences susceptibles de s'attacher à la reconnaissance d'un bail rural verbal, le juge des référés a entaché son ordonnance d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit ; que, par suite, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est fondé à en demander l'annulation ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 322-9 du code de l'environnement : " Le domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des espaces lacustres comprend les biens immobiliers acquis ainsi que ceux qui lui sont affectés, attribués, confiés ou remis en gestion par l'Etat. Le domaine propre du conservatoire est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver afin d'assurer sa mission (...) Le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres est du domaine public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre " ; qu'aux termes du second alinéa de l'article R. 322-7 du même code : " Le conseil d'administration du conservatoire classe dans son domaine propre, mentionné à l'article L. 322-9, les biens immobiliers qui lui appartiennent lorsqu'ils constituent un ensemble permettant l'établissement d'un plan de gestion conformément à l'article R. 322-13. Il procède dans les meilleurs délais à la cession des immeubles qui n'ont pas vocation à être classés dans son domaine propre " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 322-28 du même code : " Les délibérations du conseil d'administration sont exécutoires à l'expiration d'un délai de huit jours si le ministre chargé de la protection de la nature n'a pas fait d'observations " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'incorporation au domaine public d'un terrain appartenant au Conservatoire de l'espace littoral et des espaces lacustres est subordonnée à l'intervention d'une délibération du conseil d'administration de l'établissement classant ce terrain dans son domaine propre ; que l'entrée en vigueur de cette décision de classement, qui ne constitue pas une décision réglementaire et ne présente pas davantage le caractère d'une décision administrative individuelle, est subordonnée, en l'absence de dispositions contraires, à l'accomplissement de formalités adéquates de publicité ; que les dispositions de l'article R. 322-28 du code de l'environnement, qui ont pour seul objet de ménager au ministre chargé de la protection de la nature la possibilité de s'opposer, dans le délai de huit jours, à ce que les délibérations du conseil d'administration acquièrent un caractère exécutoire, ne sauraient être interprétées comme dispensant de l'exigence d'une publicité adéquate les délibérations pour lesquelles le ministre n'a pas fait usage de cette faculté ;

6. Considérant que, par une délibération du 21 novembre 2013, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a décidé de classer le domaine du Mas de Taxil dans son domaine propre ; qu'il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté que cette délibération n'a pas été publiée et n'a fait l'objet d'aucune mesure de publicité ; qu'ainsi, et alors même qu'elle n'a pas suscité d'observations de la part du ministre chargé de la protection de la nature, elle n'est pas entrée en vigueur ; qu'il en résulte qu'à la date de la présente décision, le domaine du Mas de Taxil ne peut être regardé comme une dépendance du domaine public ; que, par suite, la demande du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tendant à ce que M. A...en soit expulsé ne peut qu'être rejetée ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M.A..., qui n'est pas la partie perdante, le versement des sommes que demande, à ce titre, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres le versement d'une somme de 1 500 euros à M. A...au titre des mêmes dispositions ;





D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 22 mars 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : La demande du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est rejetée.
Article 3 : Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres versera la somme de 1 500 euros à M. A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et à M. B...A....
Copie en sera adressée à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.


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