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Ariane Web: Conseil d'État 398859, lecture du 5 décembre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:398859.20161205

Décision n° 398859
5 décembre 2016
Conseil d'État

N° 398859
ECLI:FR:CECHR:2016:398859.20161205
Publié au recueil Lebon
3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies
Mme Anne Egerszegi, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP DELAPORTE, BRIARD, avocats


Lecture du lundi 5 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Orange, anciennement dénommée France Télecom SA, a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge ou, à défaut, la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des intérêts de retard correspondants auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2005 et 2006, à hauteur d'un montant de 1 952 322 455 euros. Par un jugement n° 1110039 du 4 juillet 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 13VE02491 du 18 février 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Orange contre ce jugement.

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 avril et 21 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu :

- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société Orange ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 novembre 2016, présentée par le ministre de l'économie et des finances ;



1. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les comptes de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 38 du même code dans sa rédaction modifiée par l'article 43 de la loi de finances rectificative pour 2004, applicable aux exercices clos à compter du 1er janvier 2005 : " 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) 4 bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci. Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit./ Elles ne sont pas non plus applicables aux omissions ou erreurs qui résultent de dotations aux amortissements excessives au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39 déduites sur des exercices prescrits ou de la déduction au cours d'exercices prescrits de charges qui auraient dû venir en augmentation de l'actif immobilisé (...) ".

2. Lorsqu'une provision a été constituée dans les comptes de l'exercice, le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision dont la reprise, lors d'un ou de plusieurs exercices ultérieurs, entraîne, à l'inverse, une augmentation de l'actif net du ou des bilans de clôture du ou des exercices correspondants. Il n'en va autrement que si les règles propres au droit fiscal y font obstacle, notamment les dispositions particulières du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts limitant la déductibilité fiscale de certaines provisions.

3. Pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, lorsqu'une entreprise a, au cours d'un exercice faisant l'objet d'une vérification, comptabilisé une perte tout en procédant à la reprise d'une provision devenue sans objet qu'elle avait comptabilisée au titre d'un exercice antérieur, sans avoir tenu compte de la constitution de cette provision comptable pour la détermination du résultat fiscal de l'exercice concerné bien qu'aucune règle propre au droit fiscal n'y fît obstacle, l'administration fiscale est en droit de corriger la surestimation de l'actif net du bilan d'ouverture de l'exercice au cours duquel la perte a été constatée et la provision a été reprise dans les comptes, en y inscrivant cette provision afin de pouvoir ensuite tirer les conséquences de sa reprise pour la détermination du résultat fiscal de cet exercice.

4. Lorsque la même omission se retrouve dans les écritures de bilan des exercices antérieurs telles que retenues pour la détermination du résultat fiscal, elle doit y être symétriquement corrigée, pour autant qu'elle ne revête pas, pour le contribuable, un caractère délibéré. Ces corrections ne peuvent toutefois, en vertu des dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts citées au point 1, affecter le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit. Ces dispositions font de même obstacle à ce que, pour tirer les conséquences de la reprise d'une provision dont la comptabilisation n'avait pas été prise en compte pour la détermination du résultat fiscal d'un exercice antérieur, l'administration corrige les écritures du premier exercice non prescrit. Les seules exceptions à la règle à caractère objectif que fixent ainsi ces dispositions sont celles qu'elles prévoient à leurs deuxième et troisième alinéas.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, jusqu'au 31 décembre 2004, la société France Telecom SA, devenue la SA Orange, mère d'un groupe fiscalement intégré au sens des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, détenait la totalité du capital de la société Cogecom, incluse dans le périmètre d'intégration fiscale. La société France Telecom a comptabilisé à la clôture des exercices 2002 et 2003 des provisions pour dépréciation des titres émis par la société Cogecom, laquelle avait pour activité la détention et la gestion des principales participations du groupe. Ces provisions n'ont pas été déduites pour la détermination du résultat fiscal. Le 5 décembre 2005, la société Cogecom a fait l'objet d'une transmission universelle de son patrimoine au profit de la société France Telecom, avec effet rétroactif au 1er janvier 2005. Les provisions pour dépréciation des titres Cogecom, devenues sans objet, ont été annulées à la clôture de l'exercice 2005. Cette annulation n'a toutefois pas été prise en compte pour la détermination du résultat fiscal de cet exercice au motif que les provisions n'avaient pas été déduites pour la détermination des résultats fiscaux des exercices antérieurs. En revanche, la société France Télécom a déduit la perte, correspondant à des moins-values, résultant de la transmission universelle de patrimoine à son profit.

6. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé qu'en application des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, les provisions comptabilisées en 2002 et 2003 auraient dû être déduites du résultat de la société Cogecom avant d'être neutralisées au niveau du résultat d'ensemble puis reprises à la suite de la dissolution de la société Cogecom. Cette reprise ne pouvant être neutralisée pour la détermination du résultat fiscal en raison de la sortie de la société Cogecom de l'intégration, l'administration fiscale a rehaussé le résultat de la société France Telecom au titre de l'exercice clos en 2005 pour un montant net de 11 319 millions d'euros et a tiré les conséquences de cette rectification sur l'exercice clos en 2006.

7. Après avoir relevé que les provisions en cause satisfaisaient aux conditions de déduction posées par les dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts citées ci-dessus, la cour administrative d'appel de Versailles a fait application des principes rappelés aux points 2 et 3. Puis, alors même qu'elle avait regardé l'exercice clos en 2005 comme le premier exercice non prescrit, elle a jugé que l'administration fiscale était en droit d'en corriger le bilan d'ouverture afin de tirer les conséquences de l'annulation des provisions litigieuses pour la détermination du résultat fiscal de la société France Telecom. Elle a jugé ainsi pour la raison de droit que la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit posée par les dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts ne peut, selon elle, bénéficier au contribuable dont la surestimation de l'actif de ce bilan d'ouverture procède d'initiatives délibérément irrégulières et pour le motif de fait que, en l'espèce, l'omission de déduction fiscale de provisions régulièrement comptabilisées procédait d'une telle initiative.

8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 4 qu'en prenant ainsi en compte le caractère selon elle délibérément irrégulier de l'omission de déduction fiscale des provisions litigieuses, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Orange est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Orange au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 18 février 2016 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la société Orange la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Orange et au ministre de l'économie et des finances.


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